Aujourd’hui la pêche qui constitue l’activité principale de la ville de Saint-Louis, est menacée par l’exploitation du gaz. Le récif très poissonneux appelé ‘‘Diattara’’ où les pêcheurs artisanaux tiraient la plus grande partie de leur prise, est le lieu où est installée la plateforme de la compagnie britannique BP. Cette situation plonge les pêcheurs artisanaux dans l’angoisse et le désespoir. Ils pointent un doigt accusateur, la compagnie britannique BP tout en prédisant la mort programmée de la pêche artisanale à Saint-Louis.
Par Massaër DIA, Dakar
Aujourd’hui à Saint-Louis, les pêcheurs sont interdits de s’approcher à 400 mètres de la plateforme gazière. Selon eux, ce terminal gazier a détourné le trajet des poissons. Beaucoup de pêcheurs estiment que l’exploitation du Gaz à Saint-Louis va les appauvrir parce que quand, le poisson est rare, il n’y a plus de travail. Selon eux, c’est ce qui pousse beaucoup de jeunes pêcheurs à braver l’océan pour partir en Europe.
L’exploitation gazière, une mort programmée de la pêche artisanale
La pêche, l’activité principale pour des milliers de personnes. On a installé une immense plateforme gazière sur un récif naturel très ancien et cela a changé l’écosystème marin. Le rochet, c’est l’habitat des poissons, toutes les espèces de poissons, presque toutes pirogues, tous les pêcheurs vivaient de cette zone-là. Beaucoup de pêcheurs voient en l’exploitation du gaz la mort programmée d de la pêche artisanale. Une communauté entière vive de la pêche. Aujourd’hui, le gaz se situe à 3000 mètres de profondeur au large de la ville de Saint-Louis. Et la ressource est exploitée par British Petroleum (BP) et l’entreprise Kosmos Energy et le gaz sera livré sous forme de GNL, gaz naturel liquéfié.
Les pêcheurs artisanaux partagés entre angoisse et désespoir
Les communautés des pêcheurs sont partagées entre l’angoisse et le désespoir. Beaucoup de jeunes pêcheurs ont aujourd’hui les yeux rivés vers l’immigration irrégulière par la rareté des ressources provoque un chômage chronique chez eux. « La pêche constitue notre principale activité. C’est grâce à la pêche que nous avons construit nos maisons et payer les études de nos enfants. Le lieu où la plateforme est installée, s’appelle « Diattara », c’est une roche poissonneuse cependant cette plateforme installée par BP et Cosmos nous a appauvris. Ils ont installé la plateforme sans impliquer les acteurs de la pêche. Ils ont volé notre « diattara ». Cette plateforme a stoppé le travail des milliers de pêcheurs artisanaux. Du côté de la Mauritanie, nous ne pouvons pas pêcher là-bas car nous n’avons pas de licences. Nous interpellons le président de la Republique pour qu’il vienne nous soutenir. Nous avons manifesté la fois passée pour dire non aux difficultés causées par la plateforme. Aujourd’hui la pêche artisanale est plombée par l’exploitation du gaz. Nous demandons à l’Etat de consulter les vrais acteurs. Bien vrai que la plateforme est installée et nous ne pouvons plus rien mais il y a des solutions si l’Etat consulte la Mauritanie pour nous permettre de pêcher dans leur zone à 30 km », témoigne M. Mohamed Lamine Ndiaye, pêcheur à Saint-Louis, Ndar « Toute ».
- Ibra Seck, pêcheur, de souligner : «Avec cette implantation de cette plateforme qui a réduit notre travail, beaucoup de jeunes pêcheurs n’ont plus d’espoir et tournent vers l’immigration illégale. Ils nous ont avaient promis, d’autres réceptifs comme « Diattara ». Nous ne pouvons plus utiliser notre propre mer et quand nous allons en Mauritanie, nous sommes arrêtés. Aujourd’hui, il y a la rareté des ressources. Vous voyez toutes ces pirogues, elles ne vont plus en mer parce que notre espace de travail est réduit ».
- El Hadji Douss Fall, président des pêcheurs artisanaux à la ligne de Saint-Louis, souligne : « Je dirige l’association des pêcheurs artisanaux à la ligne. La plateforme constitue notre grande difficulté, les licences de pêche aussi font partie de nos difficultés, l’arraisonnement des pirogues font partie des difficultés auxquelles nous sommes confrontés. La zone où on a mis la plateforme, est un lieu de pêche très poissonneux. Ils ont détruit beaucoup de pirogues ici. Ils nous interdisent de pêcher dans nos propres eaux et lorsque nous partons en Mauritanie, nos pirogues sont arraisonnées. Nous interpellons le gouvernement du Sénégal sur nos difficultés. Il y a un périmètre de sécurité mais il n’y pas de balise. La Mauritanie a arraisonné plusieurs pirogues ».
Les promesses non tenues de BP
D’après les pêcheurs, la compagnie BP n’a pas respecté ses engagements. Ils estiment que BP leur avait promis de leur créer d’autres récifs comme « Diattara » et jusqu’à présent, ils n’ont rien vu. « BP nous avait promis de créer d’autres sites comme « Diattara » pour nous permettre de pêcher. Nous étions tombés d’accord mais jusqu’à présent BP n’a pas respecté ses promesses. Cette plateforme a fait perdre aux jeunes pêcheurs leur emploi, c’est ce qui favorise l’immigration clandestine à Saint-Louis », affirme M. Ibra Niang Gueye, pêcheur à Ndar.
Cheikh Lébou Séne, vice-président l’association de la pêche en ligne, de renchérir : « Vraiment, c’est très difficile ce que nous vivons au quotidien. Vous voyez ces milliers de pirogues, il n’y a aucun pêcheur qui ne va en mer. Il n’y a plus de poissons en mer. Toutes les promesses de BP ne sont pas encore réalisées. Au tout début, ils nous avaient promis une digue de protection d’un montant de 29 millions mais, on n’a rien vu. Ils nous avaient promis 7 récifs pour remplacer « Diattara » mais rien. La zone de « Diattara » nous donnait beaucoup de poissons. Aujourd’hui, ils ont confisqué ce site en installant leur plateforme. Ils veulent tuer la pêche artisanale ».
- Oumar Ben Khatab Dieye, coordonnateur conseil Local de la pêche artisanale, affirme : «BP, sa porte d’entrée dans la pêche, c’est le CLPA. L’exploitation gazière est accompagnée de deux phénomènes, à savoir la rareté de la ressource, l’impact avec la zone « Diattara » qui ravitaillé toutes les zones de pêche aux alentours. Maintenant avec l’implantation de la plateforme sur cette zone, la solution, c’était de créer d’autres zones comme « Diattara », mais la procédure est très longue. Bien vrai que BP s’active dans le cadre de la RSE, c’est bien mais la priorité, c’est la pêche On avait ciblé 11 à 12 sites pour en faire des zones comme « Diattara ». Ce que nous pouvons faire, c’est d’interpeler l’Etat pour que les procédures avancent pour qu’avant l’exploitation du gaz, les sites puissent s’adapter. Nous demandons à l’Etat de négocier avec la Mauritanie pour avoir une zone tampon ».
Mme Fama Sarr, femme transformatrice de produits halieutiques, secrétaire adjointe du CLPA (Conseil local de pêche artisanale) de Saint-Louis, présidente de l’Union des femmes transformatrices « Gie Dan Sa doolé », avance : « Quand, il s’agit de parler de l’exploitation du gaz offshore à Saint-Louis, on va commencer depuis fort longtemps parce que quand il s’agissait de faire des recherches sismiques, Cosmos avait signé quand il s’agit de faire la communication entre les pêcheurs et les entreprises, c’est le CPLA qui s’est chargé de cette communication. Cela fait maintenant que nous sommes dans ce secteur, nous parlons, nous faisons des plaidoyers mais à chaque fois, on n’a pas gain de cause. On ne sait pas pourquoi, parce qu’il y a beaucoup de choses qui ont été prises dans l’étude d’impact environnemental dont nous, aujourd’hui, en tant que communautés, on essaie de mettre en place un cadre qui sera chargé de ces obligations et sur le suivi de ces études, pourquoi, parce qu’il y a beaucoup de recommandations que les acteurs avaient faites. Si je prends l’exemple de l’immersion des récifs, c’était des mots sortis de la bouche de ceux qui géraient les entreprises BP, qui disaient qu’une fois « Diattara » sera détruite, il y aura d’autres « diattara » qui seront mises en place mais depuis lors la colère de ces pêcheurs, c’est lié à ces faits parce qu’on ne peut pas continuer à courir des risques dans ces zones. Parce que, qui parle d’exploitation de gaz ou bien de pétrole, c’est qu’il y a beaucoup de risques au niveau de ces zones, il y a des périmètres de sécurité, des balises dont les pêcheurs ne maitrisent pas. Il y a eu des courses poursuites qui se sont passées au large de nos côtes et ce qui est très grave par rapport à ce nous attends. Une étude demandée par BP et réalisée par le CROT. Les résultats de cette deuxième étude sont sur la table de BP mais nous, ce qui nous étonne, c’est qu’est-ce BP attende pour prendre ces résultats et les appliquer. BP a choisi de choisir un site au large de la berge, une zone où il n’y a pas de poissons ».
Des pirogues arraisonnées
Beaucoup de pirogues des pêcheurs sont arraisonnées en Mauritanie et au niveau local, les gardes qui assurent la sécurité de la plateforme, endommage parfois des pirogues qui s’approchent de la plateforme. M. Ismaël Ndiaye, pêcheur Gokhou Mbathie, affirme : « Notre pirogue a été arraisonnée parce qu’on reproche d’avoir pénétré dans la zone interdite. Ils ont confisqué nos filets et c’est notre gain pain. Ils ont confisqué tous nos filets, ce qui nous a coûté presque que 1 million de F CFA ».
Mme Oulimata Gueye, ancienne vendeuse de poisson, de rajouter : « Nous vivons le calvaire au quotidien, il n’y a plus de poissons. Nos enfants vont en Mauritanie pour pêcher mais les autorités mauritaniennes arraisonnent leur pirogue. Avec l’exploitation du gaz, c’est sûr que nos enfants vont perdre leur emploi. Cette situation de chômage général peut pousser certains jeunes à verser dans l’agression ou bien à faire l’immigration irrégulière ».
BP invitée à la table de négociations
« Nous, aujourd’hui, on appelle BP sur une table de négociations. Nous ne sommes pas des ennemis, on doit rester 30 à 35 ans de cohabitation. On fera mieux pour que cette cohabitation soit beaucoup plus claire par rapport à ce qui attend les pêcheurs. On interpelle BP mais on interpelle aussi notre Etat, Petrosen. A chaque fois qu’on organise nos rencontres, il est très difficile de les voir autour d’une table, en train de nous expliquer ce qui se passe et ce qui nous attend », souligne Mme Fama Sarr, femme transformatrice de produits halieutiques.
‘‘Diattara’’, zone poissonneuse de 34 mètres de profondeur
Il est 11 heures passées de quelques minutes, sous une chaleur piquante après une pluie qui a fini de faire des flaques d’eau à l’entrée du Port Polonais. A cette heure de la journée, beaucoup de femmes ainsi que des hommes convergent vers le port. Un fil ininterrompu de camions frigorifiques, campe le décor. Toutes les grandes pirogues sont garées. Ici, on note une diminution des activités. Il y a quelques bateaux taxis qui sont garés dans ce port pendant des années. La rareté du poisson a ralenti les activités du port. C’est dans cette ambiance après pluie que nous avons trouvé le vieil Abdoulaye Sockeye Ndiaye, pêcheur de Guedj Ndar en compagnie de ses amis.
« Diattara a une profondeur de 34 mètres, une roche dont la longueur est de 1 km, avec une largeur de 100 et quelques mètres. Elle est placée dans une eau fraîche, il y a toujours des poissons en toute période. C’est pourquoi, lorsque la plateforme est installée à « Diattara », tous les pêcheurs de Saint-Louis, l’ont ressenti. On peut dire que « Diattara » est la banque de poissons des pêcheurs de Saint-Louis. On y trouve toutes les variétés de poissons. Aujourd’hui, nos enfants vont dans l’immigration irrégulière parce qu’ils n’ont plus de travail. Le secteur de la pêche artisanale est en train de mourir. Nous pratiquons la pêche à la ligne, filets dormants, chaîne tournante. Au Début BP et Cosmos nous avaient promis de créer d’autres « Diattara » mais jusqu’à présent rien. Aujourd’hui, les pêcheurs artisanaux ne travaillent plus. On nous interdit de pêcher aux alentours de la plateforme et dans l’autre partie, c’est la Mauritanie qui arraisonne nos pirogues. J’ai aujourd’hui deux enfants qui sont partis dans l’immigration irrégulière. Si BP avait respecté ses engagements, nous n’en serions pas là aujourd’hui. Vraiment la plateforme ne fait que nous causer des problèmes. Il n’y a plus de poissons. Si la situation perdure, ça peut provoquer d’autres choses », témoigne M. Abdoulaye Soukeye Ndiaye.
Quant à M. El Hadji Douss Fall, président des pêcheurs artisanaux à la ligne de Saint-Louis, il avance : « Ce sont nos ancêtres qui avaient découvert le site, qu’on surnomme « Diattara ». C’est l’exploitation du gaz, la plateforme est installée à Diattara mais ce qu’il faut comprendre, le gaz se trouve en pleine mer, le produit se trouve entre le Sénégal et la Mauritanie. C’est à 40 km qu’ils ont mis la plateforme. Je demande pourquoi, ils ont pris la zone de Diattara pour faire leur installation out en sachant que cette zone est poissonneuse et c’est notre lieu de travail. Ils ont pris notre récif. Le gaz doit être exploité durant 30 ans, ils ont dragué la zone, ils ont mis 21 tessons, plus du sable, ils ont percé la roche. Ce qui constitue une grande dégradation de l’environnement. Ils ont détruit l’environnement en installant leur plateforme. Ils nous avaient promis des récifs artificiels mais jusqu’à présent, ils n’ont rien fait ».
Ibra Niang Gueye, pêcheur à Ndar, souligne : « Avec l’installation de la plateforme, nous avons eu une audience publique à Gokhou Mbathie. Lorsque BP s’est installée, elle nous avait demandé, qu’est-ce qu’on pense de cette nouvelle donne. BP nous avait promis après concertation qu’elle va produit un rapport et ils vont nous le présenter mais jusqu’à présent, rien n’est fait et ils ont commencé à installer leur plateforme pour exploiter le gaz. Nous avons une zone de pêche très réduite et nous avons une frontière avec la Mauritanie. Ils ont fait des investigations jusqu’à découvrir l’emplacement du gaz. Nous avons fait nos investigations jusqu’à découvrir les zones poissonneuses. Le lieu où est installée la plateforme, c’est une roche découverte par nos ancêtres, la zone s’appelle « Diattara ». Tous les biens possédés par les pêcheurs aujourd’hui, proviennent de « Diattara ».
Réaction de la représentante de BP à Saint-Louis
Mme Fatimata Sow, représentant de BP à Saint -Louis que nous avons eu au téléphone, n’a pas voulu parler sur les interpellations des communautés des pêcheurs. C’est des communautés qui s’expriment, je pense que ça ne représente pas toute la communauté. Pour l’instant, nous n’avons pas de commentaires à faire, on communiquera lorsque ça sera le moment de communiquer. Pour l’instant, nous observons comme vous ce qui se passe à Saint Louis. Pour l’instant, nous essayons de comprendre, nous ne pouvons pas faire de commentaires mais nous respectons la liberté des uns et des autres, nous ne pouvons réagir sur le champ sans comprendre. On essaye de comprendre ces manifestations. On ne refuse pas de communiquer, je pense que nous le faisons très prochainement. Nous ne pouvons pas communiquer sur quelque chose dont nous ne connaissons pas la source.
Massaër DIA
(Afrik Management/ Août 2024)
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