À l’occasion de l’ouverture de la 9ᵉ édition de la Conférence internationale de Tokyo sur le développement de l’Afrique (Ticad), le Premier ministre japonais Shigeru Ishiba a formulé une proposition ambitieuse : la création d’une zone économique intégrée regroupant l’Afrique et la région de l’océan Indien. Une initiative qui dépasse les seules préoccupations économiques pour s’inscrire dans une logique géopolitique globale de redéploiement stratégique.
Devant 49 chefs d’État et de gouvernement africains réunis à Yokohama, Ishiba a détaillé une vision dans laquelle les entreprises japonaises, appuyées par leurs filiales en Inde et au Moyen-Orient, seraient appelées à jouer un rôle pivot dans le développement économique africain. L’Objectif est de réduire la dépendance du continent à l’égard de la Chine, principal bailleur d’infrastructures en Afrique depuis deux décennies.
Après plus de 30 ans de stagnation et de déflation, le Japon cherche de nouveaux leviers de croissance à l’international. L’Afrique, avec sa démographie dynamique, ses besoins en infrastructures et sa transition numérique naissante, apparaît comme une terre d’opportunités pour les entreprises japonaises, longtemps en retrait sur ce continent face à la Chine, aux pays du Golfe et, dans une moindre mesure, aux puissances occidentales.
Cette volonté de repositionnement se manifeste par une diplomatie économique plus offensive. Le Japon ne se limite plus à l’aide publique au développement. Il mobilise désormais le capital privé comme levier principal, avec l’appui direct du gouvernement. « Une croissance accrue peut être obtenue par le renforcement des connexions à l’intérieur et au-delà des régions », a plaidé Ishiba, en référence à une vision intégrée de la zone allant du golfe Persique au littoral atlantique africain.
Vers un corridor d’influence alternatif à la Chine
L’intégration économique de l’Afrique à la région indo-pacifique s’inscrit dans une logique plus vaste d’équilibre stratégique. La Chine a pris une avance considérable avec ses investissements dans le cadre des « Nouvelles routes de la soie ». Le Japon, sans les ressources illimitées de Pékin, mise sur une diplomatie qualitative, axée sur la formation, la technologie et les partenariats durables.
Dans ce cadre, Tokyo se distingue en annonçant un programme éducatif ciblé sur l’intelligence artificielle. Dirigé par le professeur Yutaka Matsuo de l’université de Tokyo, ce projet vise à former 300 000 étudiants africains dans des domaines applicables comme l’agriculture, la logistique ou l’industrie. Douze pays, dont le Kenya et l’Ouganda, seront concernés dans un premier temps.
Le contexte international favorise également cette montée en puissance. Le retrait progressif des États-Unis de certaines zones d’influence, y compris sur le plan de l’aide au développement, ouvre un espace diplomatique et économique que le Japon semble déterminé à occuper. En proposant un partenariat fondé sur le transfert de compétences, la stabilité régionale et l’intégration des marchés, Tokyo offre une alternative crédible aux modèles chinois et américains, tout en consolidant son ancrage dans la région indo-pacifique.
Au-delà des annonces, le sommet Ticad 2025 révèle un changement de posture fondamental dans la politique étrangère japonaise. Plus assertif, plus structurant, ce nouvel engagement ne se limite pas à l’Afrique. Il s’inscrit dans une reconfiguration géoéconomique majeure à l’échelle de l’Asie et de l’océan Indien. Reste à voir si cette stratégie se traduira par des investissements concrets, et si les États africains sauront en tirer parti sans créer une nouvelle forme de dépendance.
Par Babou Landing Diallo
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