Economie

Sénégal–Chine : analyse d’un virage stratégique et économique à l’horizon 2050

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Dans un contexte mondial marqué par une refondation géopolitique et économique, où les puissances du Sud global renforcent leur influence, le Sénégal a récemment franchi une étape décisive en renforçant ses relations stratégiques avec la République populaire de Chine. La signature de dix accords de coopération multisectorielle, dont la valeur cumulée est estimée à 27 milliards de FCFA, traduit une ambition partagée d’accélérer l’industrialisation, de garantir la souveraineté alimentaire et énergétique, et de soutenir une croissance inclusive alignée avec les Objectifs de Développement Durable (ODD).

Cette coopération s’inscrit dans la dynamique de la Vision «Horizon 2050» portée par le gouvernement du président Bassirou Diomaye Faye. Cette vision constitue la feuille de route nationale renouvelée définie par la Commission nationale de Développement (CND), qui oriente les priorités économiques et sociales du pays. Grâce à cette stratégie convergente, Dakar bénéficie non seulement d’un transfert de technologies crucial, mais aussi d’un accès facilité à des financements concessionnels chinois assortis de taux très avantageux, inférieurs à 2 % sur des durées pouvant atteindre 30 ans.

Le secteur agricole constitue un pilier fondamental de ce partenariat. Il est question de renforcer la production alimentaire, notamment dans les bassins rizicoles et maraîchers le long du fleuve Sénégal, par la construction de parcs agro-industriels, l’introduction de semences à haut rendement, ainsi que la mise en place de centres de formation spécialisés dans les technologies agricoles. Cette orientation répond à un impératif pressant, puisque les projections du rapport «Horizon 2050» prévoient que la demande alimentaire nationale triplera d’ici un quart de siècle, portée par une population qui devrait dépasser les 40 millions d’habitants.

En matière d’infrastructures, les accords engagent la construction de routes rurales et de ponts dans des régions clés telles que Kolda, Tambacounda et Matam, ainsi que la modernisation du réseau électrique national. L’interconnexion du corridor sud-est avec le réseau interurbain de la SENELEC est un projet majeur dans ce cadre. Selon les données de la CND, près de 38 % des zones rurales étaient privées d’un accès stable à l’électricité en 2024. L’objectif est ambitieux : réduire ce chiffre à moins de 10 % d’ici 2030, favorisant ainsi la productivité et renforçant l’attractivité des zones rurales.

Dans le domaine des technologies de l’information et de la communication (TIC), la Chine s’engage à étendre la couverture Internet à plus de 80 % du territoire national d’ici 2028. Ce programme prévoit l’installation de 200 stations relais 4G ainsi que la formation de 10 000 professionnels sénégalais dans les métiers du numérique. La CND estime que ce secteur pourrait représenter jusqu’à 7 % du PIB national à l’horizon 2035, contre 3,2 % actuellement, ce qui témoigne du potentiel de transformation économique lié à la digitalisation.

Le partenariat intègre également une forte dimension de développement durable. Parmi les projets prioritaires figurent la construction de centrales solaires à Louga et Kaffrine, ainsi que l’installation d’une unité pilote d’énergie éolienne dans la région côtière de Saint-Louis. Ces initiatives visent à verdir un mix énergétique actuellement dominé à 62 % par les énergies fossiles et à anticiper les impacts croissants du changement climatique. Par ailleurs, la Chine apportera un appui technique précieux pour la gestion durable des ressources en eau, un enjeu crucial alors que certaines nappes phréatiques sahéliennes enregistrent une baisse de plus de 15 % en volume chaque année depuis 2010.

Ce partenariat dépasse la simple dimension financière. Il marque un tournant stratégique dans la politique extérieure du Sénégal, qui cherche à diversifier ses alliances en privilégiant un modèle de co-développement avec les pays émergents, en dehors des circuits traditionnels dominés par les institutions occidentales. Néanmoins, certains experts avertissent des risques de dépendance financière et technologique, soulignant l’importance pour l’État sénégalais d’exiger des transferts de compétences tangibles et des modalités de remboursement durables.

Cette dynamique s’inscrit également dans le cadre d’un nouveau chapitre diplomatique avec la visite officielle annoncée du Premier ministre Ousmane Sonko en Chine, programmée du 22 au 27 juin 2025. Cette visite, sa première sortie diplomatique hors du continent africain, vise à consolider davantage les liens bilatéraux. Ousmane Sonko participera notamment au Forum économique mondial d’été de Davos, organisé cette année en Chine, avant une série de rencontres bilatérales avec les autorités chinoises. Ce déplacement s’inscrit dans la stratégie du gouvernement sénégalais de renforcer la souveraineté économique et de diversifier les partenariats internationaux.

La visite officielle vient confirmer l’importance accordée aux secteurs prioritaires que sont l’agriculture, les infrastructures, les TIC et le développement durable. La poursuite et l’intensification des projets en cours démontrent la volonté du Sénégal d’améliorer la production alimentaire, d’étendre l’accès à l’énergie et à Internet, et de favoriser une croissance économique résiliente et respectueuse de l’environnement.

En définitive, alors que le Sénégal entre dans l’ère de l’exploitation de ses ressources pétrolières et gazières, la Chine s’impose comme un partenaire stratégique incontournable. Premier partenaire commercial du continent africain, elle joue un rôle majeur dans l’agenda économique du pays, notamment en soutenant la transformation structurelle de son économie. À condition que ce partenariat s’accompagne d’une gouvernance rigoureuse et d’évaluations périodiques des impacts, cette coopération pourrait poser les bases d’un développement économique souverain, équitable et durable à l’horizon 2050.

Par Zaynab SANGARÈ 

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