Dakar – Mai 2025 — Un document officiel publié par le ministère sénégalais de l’Économie, du Plan et de la Coopération, intitulé « La liberté économique au Sénégal : enjeux, profil et perspectives », fait l’objet d’une critique sévère de la part de l’économiste sénégalais Demba Moussa Dembélé. Dans une analyse approfondie, ce dernier dénonce une approche qu’il qualifie de « néo libérale extrême », reposant sur des indicateurs et des cadres conceptuels provenant de think tanks internationaux idéologiquement marqués.
Selon Dembélé, le rapport s’appuie sur une interprétation univoque et idéologique de la notion de liberté économique, s’inscrivant dans la lignée directe des courants dominants du néolibéralisme promus par Milton Friedman et Friedrich Hayek. Il reproche au document de présenter la primauté du marché et la minimisation du rôle de l’État comme des objectifs normatifs, masquant ainsi une orientation politique derrière un vernis technique.
L’analyse critique pointe du doigt le recours à deux institutions de l’Institut Fraser (Canada) et de l’Heritage Foundation (États-Unis), comme principales sources des indices de liberté économique mobilisés par le ministère. Demba Moussa Dembélé décrit l’Institut Fraser comme un think tank conservateur militant pour le démantèlement des services publics et une dérégulation complète de l’économie. Quant à la Heritage Foundation, il la présente comme un acteur central du conservatisme américain, étroitement lié aux politiques de l’ancien président Donald Trump, et promoteur d’un agenda radical à travers son projet stratégique Project 2025.
Dembélé s’interroge sur le bien-fondé de l’adoption de ces indicateurs pour évaluer l’économie sénégalaise. Il estime que ces outils ne mesurent pas la performance économique réelle, mais plutôt le degré d’adhésion aux normes de l’économie de marché mondialisée. Le fait que le Sénégal soit classé devant la Chine dans l’indice Fraser, malgré le poids économique indiscutable de cette dernière, est cité comme un exemple des biais idéologiques de ces classements.
Le Professeur Dembélé remet également en question la validité des comparaisons faites dans le rapport entre le Sénégal et des économies asiatiques telles que Singapour ou la Corée du Sud. Ces pays, souligne-t-il, doivent leur développement non à une réduction du rôle de l’État, mais au contraire à une intervention publique massive, à une politique industrielle stratégique et à une régulation forte.
Il critique par ailleurs l’interprétation selon laquelle une faible intervention de l’État, en particulier en matière de dépenses publiques, serait un signe de performance. Cette lecture serait, selon lui, non seulement économiquement erronée, mais historiquement contredite par les résultats des politiques d’ajustement structurel imposées aux pays africains dans les années 1980 et 1990.
Professeur Dembélé conteste plusieurs affirmations du document gouvernemental, notamment le lien supposé entre liberté économique et amélioration des indicateurs de développement humain, de démocratie ou de protection de l’environnement. Il cite les rapports d’Oxfam International, qui montrent une croissance fulgurante des inégalités au niveau mondial malgré la généralisation des politiques de libre marché.
Sur le plan environnemental, il dénonce les effets pervers de la dérégulation, notamment dans les secteurs extractifs opérant au Sénégal, où l’absence de cadre étatique fort favoriserait les abus environnementaux. Il récuse également le postulat selon lequel la liberté économique serait un moteur d’innovation, prenant l’exemple de la Chine — classée « non libre » dans ces indices — comme l’un des leaders mondiaux de la technologie.
Enfin, le professeur Dembélé souligne que le rapport ministériel semble en porte-à-faux avec les engagements du nouveau président sénégalais Bassirou Diomaye Faye et de son Premier ministre Ousmane Sonko. Tous deux ont placé la souveraineté économique et la transformation structurelle au cœur de leur programme politique. Selon lui, faire de la liberté économique un pilier du développement, sur la base de références issues des milieux ultraconservateurs nord-américains, revient à inscrire le Sénégal dans une trajectoire contraire à celle d’un développement souverain et autonome.
Demba Moussa Dembélé met en garde contre une instrumentalisation idéologique de concepts économiques présentés comme neutres. Pour lui, ce document du MEPC reflète davantage une tentative de légitimation du paradigme néolibéral, discrédité par de multiples crises récentes, qu’un véritable outil de diagnostic économique. Il appelle à une réorientation profonde des politiques économiques nationales vers des modèles ancrés dans les réalités locales, mettant l’État au cœur de la transformation économique.
Par Zaynab Sangarè
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