Une équipe internationale de physiciens des universités d’Amsterdam, de Princeton et d’Oxford a montré que des particules extrêmement légères, appelées axions, pourraient s’être rassemblées dans de grands nuages denses autour des étoiles à neutrons. Ces axions pourraient constituer les toujours élusives particules de matière noire. Plongées dans le puissant champ magnétique de ces astres, elles donneraient lieu à une signature détectable dans le domaine radio en utilisant notamment des pulsars.
On sait que des années 1980 aux années 2000 le paradigme de la matière noire s’est imposé en cosmologie, notamment grâce aux observations des galaxies et du rayonnement fossile. Pour comprendre leurs caractéristiques, il a fallu supposer l’existence de nouvelles particules encore jamais vues en laboratoire et interagissant très faiblement avec la matière normale, voire uniquement par la gravitation, et donc, sans pouvoir émettre de lumière.
Pendant les mêmes décennies, les confirmations de la validité du modèle standard de la physique des hautes énergies avec la découverte des bosons W et Z, ainsi que de nouveaux quarks prédits par ce modèle, donnaient aux théoriciens des raisons solides d’utiliser les raisonnements ayant conduit à la construction de ce modèle pour l’étendre au-delà en postulant naturellement de la nouvelle physique. Une pléthore de candidats possibles au titre de particules de matière noire en a résulté. Mais, à la grande surprise de la majorité des physiciens et astrophysiciens des particules, aucune de ces nouvelles particules n’a été encore mise en évidence directement ou indirectement.
Les chercheurs ne sont toutefois pas découragés et ils continuent à penser que l’une de ces particules postulées devrait bel et bien exister. Ils l’appellent l’axion. Elle est supposée être très légère et tout de même capable d’interagir un peu avec des champs électromagnétiques au point de pouvoir apparaître avec des photons dans un champ magnétique, ou inversement de se convertir en photons dans un même champ. On estime qu’il s’en est produit beaucoup pendant le Big Bang et que les étoiles, y compris le Soleil, en fabriquent un peu aussi encore de nos jours.
Pierre Brun est physicien des particules à l’Irfu et travaille à la frontière entre la physique des particules et la cosmologie. Il s’intéresse à une théorie qui postule l’existence d’une particule dénommée « axion », qui résoudrait certains problèmes liés à la violation de symétrie dans les lois de la physique de l’interaction forte. Neutre et léger, et interagissant très faiblement avec la matière, l’axion a toutes les caractéristiques pour être une particule de matière noire. © CEA Sciences
De la matière noire qui sédimente dans le champ de gravité des pulsars ?
Le physicien Dion Noordhuis de l’université d’Amsterdam et ses collaborateurs pensent avoir une piste pour enfin découvrir si la matière noire est bien faite d’axions ou, pour le moins, poser de nouvelles contraintes sur les masses et les intensités de couplage aux champs électromagnétiques possibles de ces particules.
Leur raisonnement est le suivant, soutenu par des calculs et des simulations numériques.
Les axions étant très légers, ils doivent être très nombreux dans le cosmos observable pour constituer les distributions de masses plus élevées que celles de la matière normale expliquant des anomalies dans le comportement des galaxies et des amas de galaxies. Il est raisonnable de penser qu’ils peuvent être capturés en masse par les puissants champs de gravitation d’astres très compacts, comme les trous noirs et les étoiles à neutrons.
Rappelons que ces étoiles pouvant contenir la masse du Soleil dans le volume d’une sphère de quelques dizaines de kilomètres de diamètre doivent aussi posséder des champs magnétiques particulièrement intenses, bien plus extrêmes que dans les expériences faites dans des laboratoires sur Terre et dont Julien Bobroff parle dans son dernier ouvrage.
Qu’est-ce qu’une étoile à neutrons ? Quelle différence entre ces étoiles et notre Soleil ? Roland Lehoucq, astrophysicien au CEA, nous explique que les étoiles à neutrons rayonnent très peu en lumière visible, contrairement à notre Soleil. Aussi, les étoiles à neutrons ont des tailles beaucoup plus petites que celle du Soleil : une étoile à neutrons a un diamètre compris entre 10 et 15 kilomètres, contre 1,4 million de km pour le Soleil. Ce sont également des objets compacts qui contiennent une quantité importante de matière dans un volume très petit. Étudier ces étoiles permet de tester à une échelle différente les théories de physique nucléaire. © CEA Recherche
Dion Noordhuis et ses collègues avancent donc maintenant que les étoiles à neutrons doivent, au bout de plusieurs millions d’années, être entourées par des enveloppes nuageuses de matière noire capturée par la gravité et dont la densité pourrait être de 20 ordres de grandeur supérieure à celle de la distribution de matière noire à l’échelle des galaxies et des amas de galaxies. Les calculs montrent aussi que tout comme dans le cas de l’intérieur des étoiles classiques, des axions pourraient être produits aussi en grande quantité par des étoiles à neutrons.
Le point clé est que dans les gigantesques champs magnétiques de ces étoiles, des nuages denses d’axions devraient produire par conversion dans ces champs des photons avec des caractéristiques bien précises et surtout en bien plus grande abondance que dans les conditions bien moins extrêmes que, par exemple, notre Soleil.
Un nuage d’axions autour d’une étoile à neutrons. Si certains axions échappent à l’attraction gravitationnelle de l’étoile, beaucoup restent liés à l’étoile et forment sur une longue période un nuage qui l’entoure. L’interaction avec le champ magnétique puissant de l’étoile à neutrons provoque la conversion de certains axions en photons, une lumière que nous pouvons éventuellement détecter avec nos télescopes sur Terre. © D. Noordhuis et al.
Une raie spectrale radio trahissant la désintégration des axions ?
Les astrophysiciens des particules pensent même que ce scénario est inévitable avec la majorité des étoiles à neutrons et avec les axions dans une large gamme de masses (entre 10-9 et 10-4 eV).
On sait également que les étoiles à neutrons peuvent être des pulsars émettant des ondes radio, comme le montre les chercheurs dans un article publié et en accès libre sur arXiv, il y aurait une signature détectable dans le spectre radio des pulsars, notamment sous la forme d’une raie d’émission associée à l’énergie de masse des particules axioniques.
Les perspectives sont vraiment intéressantes, d’autant plus que des théories avec des axions émergent naturellement de plusieurs scénarios possibles en théorie des supercordes. Il reste cependant encore à affiner les calculs en espérant qu’ils conduiront bien à une découverte.
Américaine d’origine australienne, Helen Quinn, née en 1943, est une physicienne des particules dont les contributions à la recherche d’une théorie unifiée pour les trois types d’interactions de particules ont été reconnues par plusieurs distinctions, dont la médaille Dirac. Elle est surtout célèbre pour ses travaux concernant la chromodynamique quantique, la QCD. © Dan Quinn
Le saviez-vous ?
Rappelons pour terminer quelques explications supplémentaires déjà données par Futura au sujet de la théorie derrière ces particules hypothétiques que sont les axions et les raisons de leur introduction.
Le modèle standard des particules élémentaires prédit une valeur très faible du moment électrique dipolaire de l’électron (l’équivalent du moment magnétique d’une barre aimantée avec deux pôles magnétiques, mais avec deux charges électriques opposées), si menue qu’elle n’est pas encore à la portée des expériences destinées à la mesurer. Certaines théories, au-delà du modèle standard, prédisent en revanche une valeur plus importante, et c’est pourquoi la quête de la mesure du moment électrique dipolaire de l’électron est une voie de recherche possible pour découvrir de la nouvelle physique.
À l’inverse, le modèle standard, plus précisément les équations de la QCD, la théorie des forces nucléaires fortes, autorise une valeur très élevée pour le moment dipolaire du neutron, en contradiction avec les expériences qui ne lui en attribuent aucune. L’explication la plus couramment admise aujourd’hui fait de nouveau intervenir de la nouvelle physique.
En 1977, Roberto Peccei et Helen Quinn ont émis l’hypothèse que le terme, dans les équations du modèle standard, responsable de l’apparition d’un moment dipolaire pour le neutron, était éliminé par l’existence d’un nouveau champ scalaire (un cousin de celui du boson de Brout-Englert-Higgs) en facteur devant ce terme, car la valeur de ce champ après le Big Bang serait devenue nulle. Ce terme était aussi responsable de phénomènes violant la symétrie CP dans le cadre de la chromodynamique quantique qui, là non plus, n’étaient pas observés expérimentalement. Comme ces deux prédictions fausses du modèle standard « entachaient » celui-ci, le prix Nobel de physique Frank Wilczek a donné le nom d’axion à la particule associée au champ scalaire de Peccei et Quinn, en référence à une marque de lessive.
Tout, tout, tout sur les axions. Pour obtenir une traduction en français assez fidèle, cliquez sur le rectangle blanc en bas à droite. Les sous-titres en anglais devraient alors apparaître. Cliquez ensuite sur l’écrou à droite du rectangle, puis sur « Sous-titres » et enfin sur « Traduire automatiquement ». Choisissez « Français ». © PBS Space Time
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