Sais-tu quel animal, célèbre pour son « rire », est un super prédateur chez qui les femelles sont les cheffes ? Aujourd’hui, on va parler de la hyène tachetée dans Bêtes de Science.
Je t’emmène aujourd’hui en Tanzanie, dans un endroit bien précis, aussi impressionnant que chargé d’histoire : le cratère du Ngorongoro. Cette structure géologique impressionnante, que tu vois là-bas, et qui s’est formée il y a 2 millions d’années, ce sont les restes d’un ancien volcan. On raconte qu’il était plus haut que le Kilimandjaro, un autre sommet voisin, qui fait la joie des touristes et des randonneurs et dont le pic Uhuru, le plus haut d’Afrique, atteint les 5 800 mètres d’altitude. Le diamètre du cratère du Ngorongoro est de 20 kilomètres environ, et il culmine à 2 300 mètres au-dessus du niveau de la mer, ce qui est déjà pas mal !
Tout autour de nous, on peut voir un paysage de savane typique, avec ses hautes herbes et ses forêts d’acacias, comme cet arbre tordu que l’on aperçoit là-bas au milieu de la plaine. Un lac sert aussi d’étape à de nombreuses espèces d’oiseaux. Connecté aux fameuses plaines du Serengeti, qui accueillent tous les ans la migration de millions de gnous, de zèbres et d’antilopes, le cratère sert aussi de refuge à d’autres habitants. La richesse de ce milieu et la concentration impressionnante d’espèces qui y vivent ont poussé les humains à en faire une réserve protégée. Les prédateurs, notamment, s’y sentent très bien et l’on peut y croiser aussi bien des lions, que des léopards ou des guépards… ainsi que nos héroïnes du jour !
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Tiens, d’ailleurs, j’avais demandé aux rangers de nous indiquer les meilleurs endroits pour les observer. Un buffle a été tué cette nuit, je pense qu’on a de bonnes chances de croiser quelques gourmandes, en train de faire la sieste pas loin. Allons-y !
Regarde aux jumelles, mais attention, tiens-toi aussi, car rouler sur la piste, ça secoue ! Là bas, sur la gauche, on aperçoit une masse sombre et les larges cornes d’un vieux buffle, qui en émergent. Si le buffle est là… elles ne devraient pas être trop loin. Rien à gauche… Oh, elles sont là ! Tu vois les taches brunes sous le fourré là-bas ? Il y a trois individus, collés les uns contre les autres dans un tas de fourrure emmêlée. Et derrière le buffle, une autre dort carrément au pied de la carcasse !
Ni un canidé, ni un félidé
Les oreilles rondes, la fourrure fauve agrémentée de taches sombres, une drôle de crinière sur le cou, pas de doute, nous sommes bien en présence de hyènes tachetées, de leur nom latin, Crocuta crocuta ! Et le moins que l’on puisse dire, c’est que ce sont des inclassables. Bien qu’elles fassent partie de l’ordre des carnivores, ce ne sont ni des félins comme les lions, ni des canidés comme les lycaons et les chacals. Elles font partie d’une famille à part : les hyénidés. Et si la hyène tachetée est la plus connue de sa famille, il existe d’autres hyènes, qui vivent tout à fait différemment : la hyène brune et la hyène rayée, vivent plutôt en solitaire ou en couple, et le protèle, plus discret encore est une curiosité, unique en son genre puisqu’il se nourrit… de termites et de fourmis !
Mais revenons à nos hyènes tachetées. Tiens d’ailleurs, ça s’agite un peu du côté de nos dormeuses. Une de celles cachées sous le buisson se lève et se rapproche de la carcasse, de sa drôle de démarche. Avec leur dos incliné, leurs pattes avant plus longues que leurs pattes arrières, leur drôle de queue en plumeau et leur long cou, les hyènes ont une drôle de touche. Et pourtant, tout cela s’explique ! Cette étrange apparence est directement liée à la puissance de leur mâchoire. Car oui, la morsure des hyènes tachetées est l’une des plus efficaces qui existe chez des mammifères, et chez les animaux en règle générale. Elles écrasent littéralement les os dont elles se nourrissent et appliquent une pression énorme ! Et pour ça, il faut une grosse mâchoire et des muscles performants ! Même si elles ne sont pas très hautes sur pattes, elles ont une carrure impressionnante avec un corps d’une longueur moyenne d’1 mètre 30 pour un poids qui varie entre 45 et 80 kilos, ce qui est comparable à un très gros chien comme le Saint-Bernard.
LA HYÈNE TACHETÉE POSSÈDE UNE MÂCHOIRE PUISSANTE ET SA MORSURE EST L’UNE DES PLUS EFFICACES QUI EXISTE CHEZ DES MAMMIFÈRES. © SEBASTIAN, ADOBE STOCK
De supers chasseresses bien mal-aimées
Les hyènes tachetées ne se nourrissent que de viande et elles se traînent une bien mauvaise réputation de charognardes chapardeuses, qui volent les carcasses aux autres chasseurs. Elles passent donc pour des animaux fourbes et malveillants, pas forcément très futés, qui profitent du travail des autres. C’est d’ailleurs cette image là que l’on retiendra des hyènes dépeintes dans le dessin animé Le Roi Lion, des studios Disney. Incapables de chasser par elles-mêmes, elles font une alliance avec Scar, le lion conspirateur qui veut ravir le trône à son frère. Même la chercheuse Jane Goodall, dont Futura t’a déjà parlé dans l’épisode sur les chimpanzés, ne s’attendait pas à les apprécier, quand elle les a étudiées. Elle a fini par revoir entièrement son jugement et les défendre, ce qui transparaît dans son livre intitulé Tueurs innocents, publié avec son ancien mari Hugo van Lawick, au début des années 1970.
Même s’il est vrai qu’elles sont super équipées pour digérer sans souci la viande en décomposition et qu’elles font aisément disparaître les carcasses, les hyènes sont également d’excellentes chasseuses ! Des études ont montré que dans certaines régions, elles mangent, dans 70 % des cas, ce qu’elles ont tuées par elles-mêmes ! Et il faut dire que ce sont de super prédatrices. Capables de courir à 60 kilomètres/heure, elles sont endurantes et poursuivent leurs proies jusqu’à l’épuisement. Et leur atout numéro un, c’est bien de travailler en équipe ! Elles sont extrêmement sociales, ce qui les rend redoutablement efficaces !
Une société très hiérarchisée
Les hyènes tachetées forment des clans, de taille variable dont l’organisation ne ressemble pas du tout à celles des autres carnivores sociaux comme les loups ou les lions. Ici, dans le cratère du Ngorongoro, les scientifiques qui les suivent depuis de nombreuses années, ont dénombré 8 clans différents, qui comptent entre 33 et 72 individus. Ça en fait du monde ! Mais ailleurs, dans des milieux plus hostiles, comme le désert de Namibie, un clan peut ne compter que 6 membres seulement. D’ailleurs, chez les hyènes, ce sont les femelles les chefs ! Et on ne rigole pas avec la hiérarchie, c’est-à-dire la place que chacun occupe dans la société. Chaque animal occupe une place bien précise dans le groupe et se tient à son rang. Les femelles, qui sont les mieux classées dans la hiérarchie, ont accès en premières aux meilleures ressources : elles mangent en priorité, occupent les abris les plus confortables et choisissent leurs amoureux. En conséquence, elles se reproduisent mieux et élèvent des bébés en bonne santé. Les femelles sont toujours mieux classées que les mâles chez les hyènes tachetées, c’est comme ça.
LES HYÈNES VIVENT DANS DES GROUPES HIÉRARCHISÉS OÙ LES FEMELLES OCCUPENT LA PLACE DOMINANTE. © JOSE, ADOBE STOCK
Et ce qui est encore plus fort, c’est que leur position sociale se transmet… de mère en fille ! Les filles de la femelle dominante hériteront des avantages de leur mère, un peu comme des princesses qui profitent des privilèges de la reine. Les femelles hyènes restent toute leur vie au sein de leur clan, où elles se font des alliées ! Parfois, il peut même y avoir des complots pour piquer la place de la cheffe, et dans ces moments-là, mieux vaut se serrer les coudes à plusieurs ! Les mâles, eux, quittent le groupe où ils sont nés à l’adolescence, vers 3 ans et demi, et rejoignent un autre clan pour se reproduire. Mais sans alliés ni connaissances, ils sont souvent désavantagés !
« Girl Power » !
Ah, deux autres hyènes sortent des fourrés et se rapprochent de la carcasse pour un petit goûter. Même si certains articles précisent que les femelles sont visiblement plus grosses que les mâles, en réalité, c’est très difficile de les différencier. Même les scientifiques s’arrachent les cheveux ! Il faut dire que les femelles possèdent un pseudo-pénis, quasiment impossible à distinguer du vrai pénis des mâles. Pendant très longtemps, on a donc pensé que les hyènes pouvaient changer de sexe, ou bien qu’elles étaient hermaphrodites, c’est-à-dire que chaque individu serait à la fois mâle et femelle, comme les lombrics ou les escargots. Mais en fait, non ! Ce pseudo-pénis rend en fait l’accouplement un peu acrobatique, ce qui, même si ça ne parait pas évident, donne un avantage aux femelles, qui choisissent ainsi très précisément le papa de leurs futurs petits ! C’est encore elles qui mènent la danse. Mais en contrepartie, l’accouchement est souvent sportif. La maman hyène accouche d’un à deux bébés, dans une tanière individuelle, qu’elle creuse à l’écart de la tanière commune du clan. Les petits ouvrent très rapidement les yeux, mais ils seront allaités pendant près de 2 ans, avec un lait extrêmement riche ! Chez les jumeaux, ça se bagarre assez tôt. Même chez les bébés hyènes, il faut trouver sa place, et le rang se détermine tout petit.
Bêtes de science : ces animaux rient pour éviter les malentendus
Pour rajouter une couche de complexité sur tout ça, sache que la société des hyènes tachetées est vraiment particulière. Elle ressemble assez à l’organisation que l’on retrouve chez les éléphants, certains singes, comme les chimpanzés et les babouins, des mammifères marins, comme les dauphins, ou encore certains perroquets. On parle de fission-fusion : des petits groupes se détachent, font leur vie, vont chercher de la nourriture à droite à gauche, et retrouvent le reste du clan, plus tard dans la journée. Le groupe bouge donc tout le temps, et les individus qui le constituent, aussi ! Un peu comme toi, quand, dans une journée : tu fais plusieurs activités et manges à l’extérieur, avant de rejoindre le reste de ta famille le soir, au moment de te coucher. Mais comment les hyènes gardent-elles le contact entre elles au gré de leurs activités et de leurs déplacements, sans smartphone, ni GPS ?
POUR COMMUNIQUER ET SE COORDONNER, LES HYÈNES TACHETÉES DISPOSENT D’UN TAS DE VOCABULAIRE SONORE QUI LEUR PERMET D’IDENTIFIER L’ÂGE, LE SEXE, LA LOCALISATION, L’ÉTAT ÉMOTIONNEL ET L’IDENTITÉ DE LA HYÈNE QUI CRIE. © GUMPAPA, ADOBE STOCK
Rire comme une hyène ? Pas vraiment…
On l’a vu, la force des hyènes tachetées réside clairement dans le collectif, et leur société complexe et organisée contribue à leur efficacité ! Et pour communiquer entre elles et se coordonner, elles donnent de la voix et utilisent tout un tas de sons différents !
Celui-ci, par exemple, a été très étudié par les scientifiques. Il faut dire qu’on ne peut pas le louper ! Ces cris, répétitifs, que les anglais appellent les whoops, permettent de signaler sa présence aux autres, parfois de très loin, jusqu’à 5 kilomètres de distance. On pense qu’ils pourraient également servir à se regrouper, ce qui est utile pour partir chasser à plusieurs, mais aussi pour défendre collectivement le territoire contre d’autres hyènes, ou les lions, leurs ennemis jurés ! Et bien sûr, chaque hyène a sa propre voix, ce qui est pratique pour se reconnaître ! Un article paru en 2022, analyse ces whoops et démontre qu’ils varient légèrement entre chaque hyène ; on parle alors de signature individuelle. Les mamans hyènes répondent précisément aux whoops de leurs bébés, et il semblerait que, grâce à ces whoops, chaque individu soit en mesure d’identifier l’âge, le sexe, la localisation, l’état émotionnel et l’identité de celui ou celle qui crie. Toute une carte d’identité géolocalisée en un appel ! C’est fou, non ? En revanche, il n’y aurait pas de signature propre aux membres d’un même clan, donc pas de signature de groupe.
Quant aux fameux rire qu’on leur associe bien souvent, c’est un cri que les hyènes émettent quand elles sont très excitées, frustrées, ou dans une situation de stress. On peut par exemple l’entendre quand une dominante ou un dominant chasse un animal moins bien classé dans le groupe, ou encore quand les hyènes se rapprochent des lions, ce qui représente un très grand danger, et donc une source d’angoisse car les félins n’hésitent pas à les chasser et les tuer, pour éliminer toute concurrence ! De quoi crier d’effroi, mais pas franchement de se laisser aller à la rigolade !
Pour l’heure, les dernières hyènes arrivées autour de la carcasse du buffle, se reniflent et s’appellent. Pas de doute, l’heure de la chasse approche et le clan se réunit.
Gare à vous les herbivores, les reines de la savane arrivent !
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