Economie

Le Sénégal, « précautionneux » dans l’exploitation des énergies fossiles face aux défis du climat, selon le FMI

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ENTRETIEN – Le Fonds monétaire international a accordé fin juin 1,8 milliard de dollars au Sénégal pour soutenir son économie. L’accord trouvé à l’issue d’une récente mission de l’institution de Bretton Woods à Dakar va permettre au pays de la Teranga de poursuivre le déploiement plus aisé de son plan de développement. Pour La Tribune Afrique, Edward Gamayel, chef de mission au FMI pour le Sénégal revient sur les priorités de l’accord, la force motrice qu’est le secteur privé et se prononce notamment sur l’exploitation des ressources fossiles face aux défis climatiques dans ce pays qui mise gros sur ses récentes découvertes de pétrole.

 

LA TRIBUNE AFRIQUE – Vous avez récemment mené une mission au Sénégal, au terme de laquelle le FMI va débloquer près de 2 milliards de dollars en faveur du Sénégal, aux titres de la Facilité élargie de crédit et de la Facilité pour la résilience et la durabilité. Quelles en sont les priorités ?

EDWARD GAMAYEL – Le programme soutenu par la Facilité élargie de crédit (FEC) et un Mécanisme élargi de crédit (MEC) d’un montant de 1,51 milliard de dollars aidera à répondre aux besoins prolongés de balance des paiements du Sénégal et à remédier aux déséquilibres macroéconomiques. Les priorités politiques dans le cadre du programme MEC/FEC portent sur la réduction des vulnérabilités de la dette à travers un assainissement budgétaire favorable à la croissance, le renforcement de la gouvernance et la mise en œuvre de réformes pour une croissance plus inclusive et plus riche en emplois.

Le programme soutenu par la Facilité pour la résilience et la durabilité (FRD) d’un montant de 324 millions de dollars vise à relever les défis structurels à plus long terme liés au changement climatique et à la mise en œuvre des politiques climatiques. La FRD soutiendra les objectifs d’atténuation du changement climatique du Sénégal, accélérera l’adaptation du pays au changement climatique et soutiendra les travaux visant à intégrer les considérations relatives au changement climatique dans le processus budgétaire.

L’émergence d’un secteur pétrolier et gazier au Sénégal vous rend très optimistes pour les performances économiques du Sénégal avec une croissance du PIB attendue à 5,3% cette année, contre 4,7% l’an dernier. Comment abordez-vous, au FMI, la question du développement des énergies fossiles face aux réalités et urgences climatiques, d’autant que vous estimez que relever les défis du changement climatique sera essentiel pour la résilience macro-économique à long terme du Sénégal ?

La production et l’exportation du pétrole et du gaz devraient en effet améliorer les perspectives économiques à court et moyen terme du Sénégal.  Cependant, d’importantes mesures ont été envisagées par le gouvernement du Sénégal pour que l’exploitation des énergies fossiles, dont la part dans l’activité devrait rester relativement limitée autour de moins de 5% du PIB total, n’interfère pas avec son engagement à  relever les défis du changement climatique, tel que réaffirmé par le président Macky Sall dans un éditorial signé avec d’autres chefs d’Etat en juin dernier et publié par Bloomberg.

A cet effet, la Facilité pour la résilience et la durabilité (FRD) approuvée par le conseil d’administration du FMI en juin est un programme important qui retrace un ensemble de mesures et de réformes, tant en termes d’atténuation que d’adaptation, envisagées par le Sénégal pour adresser les principaux risques et vulnérabilités liés aux changements climatiques. De plus, le financement de la FRD contribuera à atténuer les coûts importants à venir liés au changement climatique. De plus, bien que le pays soit en train d’investir dans le secteur des hydrocarbures pour développer son économie, il collabore étroitement avec la Banque mondiale et d’autres partenaires pour s’assurer que l’extraction se fait de la manière la plus propre possible, en réduisant le torchage et les émissions fugitifs de gaz.

Le Sénégal s’est, par ailleurs, engagé à intégrer les normes les plus strictes en matière d’émissions de gaz à effet de serre (GES) tout au long du cycle de vie du pétrole et du gaz. De plus, la production du gaz vise principalement à remplacer totalement le fioul lourd en tant que source de production d’électricité en évoluant vers une technologie moderne à double cycle. Selon le département américain de l’énergie (par l’intermédiaire de son laboratoire national des énergies renouvelables), cette transition pourrait réduire d’environ la moitié les émissions de GES liées à la production d’électricité.

Enfin, en juin de cette année, le Sénégal a également signé un accord de prêt de partenariat pour la transition énergétique juste (JETP) avec les pays du G7 et l’Union Européenne d’une valeur de 2,7 milliards de dollars. Les accords JETP visent essentiellement à combler l’écart entre les pays développés et les pays en développement dans leur transition vers une énergie propre. Cet accord démontre l’engagement ferme du Sénégal à accélérer la transition vers une énergie propre, tel que prévu dans sa stratégie de Contribution Nationale Déterminée (CND).

Avec une dette publique représentant 76% du PIB, de quelles marges de manœuvre dispose le pays face à son fardeau de la dette ?

A fin décembre 2022, la dette publique totale du Sénégal représentait 76.6% du PIB. Cependant, la dette de l’administration centrale était de 68.2% du PIB, ce qui est inférieur au critère de convergence de 70% du PIB fixé par l’UEOMA. La dette publique est projetée de diminuer progressivement pour atteindre 70.4% du PIB d’ici 2025. L’analyse de la viabilité de la dette du Sénégal continue de démontrer que la dette est soutenable avec un risque modéré de surendettement. Néanmoins, la marge de manœuvre pour absorber de nouveaux chocs -afin d’éviter de basculer à un risque élevé de surendettement- est limitée. Les autorités sont résolues à suivre une trajectoire d’assainissement budgétaire et à améliorer la gestion de la dette, ce qui est essentiel pour maintenir la viabilité de la dette.

Comment le secteur privé peut-il être mobilisé pour aider le pays à solidifier la trajectoire économique sénégalaise dans le contexte national et international qui prévaut ?

Le dynamisme et les investissements du secteur privé ont joué un rôle essentiel dans la croissance du PIB réel au Sénégal au cours de la dernière décennie. En moyenne, le secteur privé a contribué à hauteur de 2,8 points de pourcentage au taux de croissance global de 6 % au cours de la période 2013-2019. Il convient de souligner que le dynamisme du secteur privé au Sénégal au cours de cette période été étroitement liée à l’accélération des dépenses publiques, notamment pour la réalisation des projets d’infrastructures dans le cadre du Plan Sénégal Emergent (PSE). Cependant, des reformes additionnelles sont nécessaires afin de consolider cette trajectoire économique et développer le potentiel du secteur privé. Dans le cadre du nouveau programme établi en collaboration avec le FMI, plusieurs réformes clés sont envisagées pour créer les conditions nécessaires au renforcement du rôle du secteur privé dans l’économie sénégalaise. Cela inclut : la mise en place d’un système de gestion foncière centralisé et intégré, qui facilitera la numérisation des procédures liées à la gestion foncière ; l’amélioration du climat des affaires pour attirer les investissements nationaux et étrangers ; l’établissement d’un registre en ligne des sûretés regroupant les données sur les sûretés mobilières et les hypothèques, en partenariat avec la BCEAO ; la révision du code des investissements conformément aux meilleures pratiques internationales.

Ces mesures permettront de simplifier les procédures administratives et à accroître la transparence dans le secteur privé. Ceci contribuera également à attirer davantage d’investissements, tant nationaux qu’étrangers, favorisant ainsi la croissance économique du Sénégal sur le long terme.

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