Depuis mars 2022, l’Union européenne (UE), animée par la volonté de se soustraire à sa dépendance au gaz russe, se tourne vers l’Afrique qui dispose de vastes ressources encore inexploitées. La course au gaz permettra-t-elle d’éclairer les 600 millions de foyers africains toujours privés d’électricité ?
Par Marie-France RÉVEILLARD
« À ce jour, l’Afrique procure 20 % du gaz consommé en Europe. Les Africains estiment que la crise énergétique est une opportunité unique pour développer des projets de gaz naturel, en tirant avantage des nouveaux investissements pour renforcer leur mix énergétique », estime Hamza Mjahed, analyste international au Policy Center for the New South (Maroc).
Avec 100,8 Mds de m3 par an en 2022, l’Algérie caracole en tête des pays gaziers africains, devant l’Égypte (67,8 Mds de m3) et le Nigéria (45,9 Mds de m3), selon le BP Statistical Review of World Energy 2022. Ces trois pays représentent 85 % de la production africaine, auxquels s’ajoutent de nouveaux acteurs comme le Mozambique ou le Sénégal. Grand tortue Ahmeyim (GTA), le projet gazier ultra-deep sénégalo-mauritanien, et le gisement Yakaar-Teranga ont fait entrer le Sénégal dans le Top 5 des pays producteurs de gaz en Afrique.
« La demande en gaz naturel liquéfié va augmenter de 50 % d’ici 2030 pour passer de 360 millions de tonnes à 550 millions de tonnes et la contribution du GNL africain augmentera de 14 % », explique Mamadou Fall Kane, conseiller en énergie à la présidence du Sénégal. Pour l’expert, il faudra néanmoins que l’Europe s’adapte à la nouvelle conjoncture, car « en se tournant vers le GNL, le marché européen doit construire des terminaux de regazéification ».
« La demande en gaz naturel liquéfié va augmenter de 50 % d’ici 2030 pour passer de 360 millions de tonnes à 550 millions de tonnes et la contribution du GNL africain augmentera de 14 % »
« En 2021, l’Afrique a produit 257,5 Mds m3 de gaz naturel contre 701,7 Mds m3 pour la Russie. À court terme, le continent ne remplacera pas les approvisionnements en gaz russe », estime pour sa part Hamza Mjahed. D’autant que la hausse de la demande est aussi bien externe qu’interne. Or, si le Nigéria n’a consommé que 5 Mds de m3 des 47 Mds de m3 de gaz naturel produits en 2021, l’Égypte, elle, en a consommé 62Mds m3 sur 67Mds m3.
Au-delà d’une augmentation de la production à grand renfort d’investissements (en particulier pour le projet de gazoduc transsaharien qui s’étend sur 4 000 km entre le Nigéria et l’Algérie via le Niger), le secteur gazier se heurte également à des contraintes d’ordre géopolitique. « L’Égypte a la capacité de devenir un hub gazier en Afrique et en méditerranée orientale, et pourrait s’imposer sur le terrain du GNL, mais des pays comme Israël sont-ils prêts à donner toutes les cartes gazières à l’Égypte ? », s’interroge ainsi l’analyste marocain.
Le gaz africain à la croisée des enjeux socio-climatiques
Pour Felipe Pathé Duarte, enseignant-chercheur à la Nova School of Law (Lisbonne), il existerait un lien ténu entre l’insécurité et les mégaprojets gaziers. « L’insurrection au nord du Mozambique a commencé peu après la découverte des gisements gaziers dans la région très pauvre de Cabo Delgado. Ces découvertes ont suscité beaucoup d’attentes et autant de déceptions. Malgré un accès à l’électricité très limité dans le pays, les projets de GNL ne profiteront pas aux Mozambicains, car la majeure partie du gaz sera expédiée sur les marchés étrangers », explique-t-il. Une situation qui a généré des frustrations récupérées et instrumentalisées par des mouvances terroristes locales : en juin 2020, les images de Praia aux mains des Shababs ont fait le tour du monde.
Enfin, quid de l’empreinte carbone de tels projets fossiles, à l’heure où tous les voyants du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) sont au rouge ? « Selon l’Agence internationale de l’énergie (AIE), si l’Afrique exploitait tout son potentiel pétrolier et gazier, sa contribution d’ici 2050 ne dépasserait pas 4 % des émissions de gaz à effet de serre. Le problème n’est pas africain », estime Mamadou Fall Kane. Ce n’est pas l’avis des ONG sud-africaines, vent debout contre les nouveaux projets gaziers du géant TotalEnergies, qui menacent la faune marine locale… Quoiqu’il en soit, d’après la société indépendante de recherche énergétique et de veille économique Rystad Energy, la production gazière de l’Afrique devrait tripler d’ici 2035.
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