Economie

Madame Nadia Fettah Alaoui, Ministre de l’Économie et des Finances du Royaume du Maroc

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Absentes du Continent depuis cinquante ans, les Assemblées Annuelles des institutions de Bretton Woods se tiennent en Afrique du 9 au 15 octobre prochain. Malgré des complications dues à la pandémie
du Covid 19, et pour la première fois de son histoire, le Royaume du Maroc accueillera à Marrakech près de 189 délégations issues des pays membres mais aussi des universitaires, des représentants des institutions internationales et de la société civile, des ONG ettc. 
Forbes Afrique fait le point avec Son Excellence Madame Nadia Fettah Alaoui, Ministre de l’Économie et des Finances du Royaume du Maroc.

Forbes Afrique : Le Maroc sera le pays hôte des Assemblées Annuelles du FMI et de la Banque Mondiale 2023. Où en est la préparation ?

SEM Nadia Fettah Alaoui : Il y a une très forte mobilisation des équipes dédiées du Fond Monétaire International (FMI) et de la Banque Mondiale (BM). Les deux institutions accompagnent de près l’organisation de l’évènement avec le Ministère de l’Économie et des Finances ainsi que la Banque Centrale, qui en sont les deux «sponsors», au côté de tous les départements ministériels, puisqu’il s’agit d’un projet transversal, que ce soit au niveau central ou au niveau local, à Marrakech.

À cette occasion, nous construisons un village dédié aux Assemblées Annuelles qui respectera les principes de durabilité (constructions en bois, réutilisation des eaux usées…). C’est un engagement important car il ouvre la voie à d’autres pays sur le continent africain qui n’ont pas les infrastructures nécessaires pour accueillir des évènements d’une telle envergure.

La préparation inclut également un programme « Road to Marrakech », organisé conjointement ou séparément du FMI, de la BM ou du Maroc, et avec l’aide d’experts qui rassemblent une série d’évènements, de forums, de conférences et d’autres formats d’échanges, autours de thématiques phares qui vont nous réunir, tels que le financement, le climat, l’éducation, la protection sociale etc.

Au programme des Assemblées Annuelles il y aura les figures imposées. Des réunions qui sont des moments extrêmement importants pour rassembler tous les pays membres, les gouverneurs avec les exécutifs des deux institutions et d’établir des priorités. L’une des grandes questions qui sera abordée à Marrakech concerne la réforme de la Banque Mondiale et des Multilateral Development Banks (MDB). Nous n’avons pas fini la conversation globale sur les sorties de crises. Il y a eu des actions concrètes post Covid mais il y a encore des appels pour aider les pays les plus pauvres et continuer d’y investir à l’avenir, et bien-sûr le financement du changement climatique en amont de la Cop 28, entre autres.

Le Maroc tient un rôle essentiel dans les discussions avec les partenaires financiers que sont le FMI et la BM, tout en développant une relation forte au Sud…

Le Maroc a une position d’ouverture sur l’Europe, et une relation très privilégiée avec le reste du monde, notamment avec les institutions financières. La trajectoire du Maroc avec ces institutions est un très bon exemple de réussite puisqu’elle capitalise au mieux sur les instruments qu’elles offrent pour implémenter son développement économique et social mais aussi financer ses réformes et pour construire ses infrastructures afin de faire face aux crises. Ce rôle que joue le Maroc dans le développement du continent africain est extrêmement important. Sous la vision éclairée de Sa Majesté, le Roi Mohammed VI, le Maroc a toujours été déterminé à jouer un rôle de locomotive en Afrique, à travers différents leviers de coopérations bilatérale, régionale et continentale. Sa Majesté lui-même a tenu des réunions importantes dans de nombreux pays afin de confirmer l’ancrage africain du Maroc et la volonté de travailler ensemble.

Plus concrètement, nous sommes actifs auprès de l’Union Africaine pour opérationnaliser la zone de libre-échange entre autres programmes continentaux. Nous avons aussi facilité et encouragé l’investissement des entreprises marocaines étatiques comme l’OCP (anciennement Office Chérifien des Phosphates), bancaires ou secteur privé sur le continent. Nous sommes l’un des premiers investisseurs en Afrique avec des succès certains. Par exemple, dans le secteur financier, nous représentons près de 40% de parts de marché en Afrique de l’Ouest, et nous sortons de la zone francophone pour aller un peu partout en Afrique. C’est à notre sens le moyen le plus efficace de partager des expériences. Nous avons tous en Afrique des problèmes d’inclusion financière, de bancarisation, de mobilisation de l’épargne domestique entre autre.

Sur le plan public, l’OCP qui est géré comme une multinationale, est aussi un partenaire essentiel sur le continent africain. Depuis 2 ans, les perturbations au niveau géopolitique ont mis en difficulté beaucoup de pays notamment sur la question de la sécurité alimentaire. L’OCP a dédié cette année quasiment un tiers de sa production d’engrais au continent africain. Cela passe aussi par des implantations sur le continent afin d’être plus impactant pour trouver la composition d’engrais la plus adéquate. C’est ainsi que l’OCP s’implante pour comprendre les enjeux et être au plus près des besoins sur le terrain. Nous sommes donc vraiment contents de cette expérience qu’il faut démultiplier.

Le pipeline qui va du Nigeria jusqu’au Maroc est un autre projet d’intégration intéressant. Au total, ce sont 17 pays qui seront reliés par le gazoduc. Ce projet valorise une ressource naturelle rare et demandée qui s’appuie sur une coopération économique concrète entre plusieurs pays et qui s’organise avec l’Europe. Aujourd’hui le Maroc est déjà connecté, sur le plan énergétique, à l’Europe via l’Espagne. Nous avons une connexion électrique, achetons de l’électricité sur le marché espagnol et envoyons du gaz mais que nous importons aujourd’hui. Cette connectivité bénéficiera donc à d’autres pays producteurs et elle pourra se développer davantage auprès d’autres pays européens. Il y a par ailleurs toutes les énergies renouvelables comme le vent, le soleil, que l’on pourra mettre en commun pour ce genre de connectivité.

Sur le plan humain, j’ai également deux exemples de coopération entre le Maroc et le reste du continent. D’une part, la Royal Air Maroc (RAM), qui s’arrête toutes les nuits et tous les matins dans des capitales africaines et qui fait voyager les africains y compris les marocains vers le monde. D’autre part, le Maroc accueille environ 15 000 étudiants du continent chaque année, et finance environ 12 000 bourses. Cela est très important car ce réseau est la meilleure intégration qui soit.

Revenons sur votre présence au Cap Vert. Quelle est l’importance du Caucus Africain pour faire parler le continent d’une seule voix lors des AA2023 ? Quels sont les grands points d’accord en vue des AA2023 ?

De façon générale, le Caucus africain est une belle plateforme institutionnelle qui permet aux pays membres des institutions de Bretton Woods et des gouverneurs qui les représentent au sein des instances, de se réunir et de discuter des problématiques importantes.

Annuellement, le Caucus fait une déclaration, un mémorandum qui est transmis aux patrons des deux institutions pour porter d’une voix commune et alignée ce que nous recommandons, ce que nous demandons, ce que nous voulons mettre en exergue.

Je suis très heureuse d’être au Cap Vert pour cette édition qui arrive à deux mois environ des Assemblées Annuelles. C’est une occasion assez unique de porter de nouveau la voix de l’Afrique à un moment crucial où des réformes de l’architecture financière mondiale sont en discussion, où des grands bouleversements géopolitiques, économiques sont en cours. Il est important de rappeler que ce continent est une priorité pour tout le monde. Nous l’entendons beaucoup mais le voyons peu en application. Or, le devenir de l’Afrique est le devenir du monde ; et il faut rappeler que nous n’avons pas réglé les problèmes pour lesquels ces institutions ont été créées, soit : l’éradication de la pauvreté, les fondements d’un développement social et humain dignes.

Il y a beaucoup de discussions sur le changement climatique, les transitions énergétiques, la transition digitale… L’Afrique paye cher une pollution et des industries qui ont abimé l’atmosphère alors que globalement, le Continent est déjà en émission zéro carbone, donc nous sommes est en train de payer une facture humaine, économique, financière, pour quelque chose que nous n’avons pas provoqué. Nous sommes de facto dans cette discussion et il faut maintenant l’adresser et la financer. Mais ça ne peut pas être un choix entre cela ou le développement. Nous avons besoin des deux. Il faut financer le budget de l’État car il reste l’instrument le plus approprié à cette étape du développement des pays, et pour ce faire, il est nécessaire d’obtenir des prêts concessionnels. Nous ne pouvons aller sur les marchés financiers car cela est très coûteux, ce n’est pas accessible. Il faudrait appeler à tripler ce montant du concessionnel. Le sujet de la dette est également important. La liste des pays à risque se comptent sur les doigts d’une main. Mais ceux qui ne font pas défaut auprès des institutions financières font défaut aux générations futures car le ministre des finances n’a pas le choix. Il paye sa dette d’abord puis il achète du blé, du sucre et un peu de charbon ou une autre énergie. Le problème de la dette doit être traité, selon de bons indicateurs, car le PIB ne marchent pas pour tous les pays. Cette vue par le prisme du niveau d’endettement sur les échéances, les durées des dettes, devraient peut-être être revue pour être plus adapté au continent africain. Un appel est également discuté pour que cette revue des MDB aboutisse à une Banque Mondiale plus riche et plus agile, parce qu’il y a des pays qui doivent attendre deux ou trois ans de discussions. Pourtant avec le traitement du Covid ou de la guerre en Ukraine, il y a eu des mobilisations extrêmement rapides et d’une envergure importante. Cette agilité doit être la même pour les thématiques qui concernent le continent africain.

Quelles sont les retombées économiques attendues pour Marrakech, et pour le Maroc après l’organisation de l’AA2023 ?

Ceux qui viendront verront les réalisations concrètes menées sous les hautes orientations de Sa Majesté depuis maintenant vingt ans : une vraie démocratie, une vraie implication de la société civile, une jeunesse talentueuse. D’ailleurs, nos programmes gouvernementaux et le Nouveau Modèle du Développement du Maroc s’appuient sur l’état social et le capital humain, car c’est la ressource la plus précieuse. Il y a aussi des progrès significatifs dans les infrastructures, donc on va utiliser nos trains, nos aéroports, nos infrastructures hôtelières et autres. Mais au-delà de cela, nous voulons expliquer l’ambition que nous avons pour les quinze prochaines années sous le leadership de Sa Majesté, ce qui nous fixe une échéance de développement à 2035. Nous l’abordons avec discipline, méthode et beaucoup de pragmatisme.

Il y a dans notre ADN une ouverture sur le monde, à travers les accords de libre-échange. Nous accueillons le monde chez nous, nous travaillons avec tout le monde, sans dogme ni a priori. D’ailleurs le Maroc est l’un des rares pays africains a avoir signé un accord de libre-échange avec les États-Unis. Nous continuons d’importer plus que nous exportons mais avons accès à de la technologie, et relevons notre niveau d’exigence. Tout cela a permis de former plus d’ingénieurs, d’acquérir plus de technologie, d’améliorer notre production, nos ports, notre logistique. Nous sommes donc un pont essentiel entre
l’Afrique et l’Europe. Et nous pouvons être un pont entre l’Afrique et les Amériques, ou l’Asie etc….Nous savons défendre nos intérêts et tirer le bénéfice pour nos partenariats. Le Gazoduc est un très bel exemple puisque nous sommes 17 pays qui allons, je l’espère, être connectés au marché électrique européen.

À plus court terme pour le pays et pour la ville de Marrakech, il y a une effervescence et une dynamique concrète et cela donnera probablement l’envie à beaucoup d’autres institutions de venir organiser leurs réunions annuelles ou leur forum au Maroc, ce tourisme d’affaire est aussi une belle opportunité pour nous.

Parlons des défis auxquels la plupart des pays africains sont confrontés, notamment dans les domaines de l’emploi, de l’énergie et des infrastructures. Comment faire face à ces défis dans un contexte incertain quand on sait que le Maroc figure dans le Top 10 des pays les mieux gouvernés du continent, selon l’indice Ibrahim de la gouvernance en Afrique ?

Le Maroc est ravi de partager son expérience et de montrer qu’en respectant les institutions, en renforçant la démocratie, le multipartisme, on peut trouver sa voie de développement économique et social. Nous avons eu des gouvernements de mouvances très différentes depuis vingt ans au Maroc et cela n’a pas empêché́ le vivre ensemble, la tolérance l’esprit collectif. Et nous ne sommes pas les seuls : le Cap Vert a eu une belle trajectoire de développement en comptant sur ses hommes et femmes, et en s’inscrivant dans ce processus démocratique. Il faut qu’ensemble sur le continent Africain, on valorise les expériences réussies, pour pouvoir encourager et accompagner nos jeunes démocraties, et travailler de façon continentale et régionale.

Pour sortir de ces challenges, il ne faut pas s’arrêter de développer. Comment peut-on choisir entre électrifier le continent, donner accès à l’eau potable, aux soins… et en même temps, parler de transition énergétique ? Aujourd’hui nous avons à notre portée de la technologie, de la recherche, de la jeunesse, et une diaspora forte, qui nous permettraient de faire des sauts qualitatifs dans le temps pour régler ces problèmes.

Malgré la conjoncture à la fois nationale (inflation, cherté de la vie…) et internationale, le Royaume du Maroc semble déterminé à dérouler son Nouveau Modèle de Développement basé sur les ressources locales (industrie, hydrogène vert, jeunes…). Serait-ce la voie du succès ?

Je ne sais pas si c’est la voie du succès, mais c’est la voie de l’avenir et je pense que son exécution connaîtra beaucoup de succès. Ce qui est important dans le processus du Nouveau Modèle de Développement impulsé par Sa Majesté, est d’être à l’écoute des citoyens Marocains. Ce qui compte pour eux c’est l’éducation, la santé et l’emploi. Ces trois dernières années, il a fallu gérer les crises successives sans abandonner cette trajectoire sur la construction d’un état social fort et sur la création suffisante et qualitative d’emplois futur pour notre jeunesse. Cela a été possible car il y a de vrais fondamentaux économiques, sociaux et macroéconomiques. Nous avons commencé́ par creuser significativement le déficit mais revenir à des choses raisonnables. Cela donne une crédibilité qui a permis à nos partenaires de nous suivre lorsque nous avons décidé de faire une aide directe à 5 millions de ménages. Aujourd’hui, les institutions comme le FMI, la BM et d’autres partenaires, ont salué les choix qui ont été faits pour gérer la crise, comme maintenir le prix de l’électricité par exemple. En parallèle, le calendrier des réformes n’a été ni reporté, ni changé.

L’idée de travailler à court, moyen et long terme était importante. Et nous allons expliquer et rendre des comptes de façon disciplinée. Ce qui a permis cela, c’est la stabilité politique et le dialogue social avec des discussions tous les six mois entre le patronat et les syndicats par exemple.

Au niveau de l’agriculture, la nouvelle stratégie Green Generation pour créer une classe moyenne agricole a été contrainte par quelques années difficiles de sécheresse. Il nous faut donc trouver des solutions alternatives : financières, technologiques ou autres ; pour que les agriculteurs restent debout le temps que les solutions structurelles soient effectives. Par exemple, cela fait deux années de suite que nous avons des plans d’un milliard de dollars par an pour l’agriculture.

Dans votre parcours, vous avez commencé dans le secteur privé avant d’arriver dans la sphère publique. Qu’est-ce que vous avez apporté dans ce bagage ?

Nous sommes plusieurs membres du gouvernement à avoir des parcours similaires ce qui permet d’aborder des problématiques avec une approche peut-être différente. Pour mettre à profit ma double expérience, j’essaye de reconstruire le dialogue entre ces deux mondes, public et privé, car il y existe des a priori entre eux. Ce sont des missions différentes mais complémentaires. Il faudrait créer davantage de ponts, avoir des ministres qui viennent du secteur public et des personnes de la fonction publique qui peuvent faire des immersions dans le privé et vice versa, pour tirer bénéfice de l’expertise des deux mondes.

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