Le Knowledge Management rencontre un certain succès auprès des managers. Pourtant, il semble possible d’aller au-delà en intégrant le concept de rente cognitive dans les pratiques du manager.
En pratiquant le Knowledge Management, le manager identifie et améliore les savoirs et les savoir-faire dans son organisation. La démarche s’intègre bien au cadre d’une grande entreprise à fonctionnement pyramidal (« Le knowledge management, entre effet de mode et (ré)invention de la roue », de Jean Michel, Documentaliste-Sciences de l’Information, 2001).
Cependant, par rapport au Knowledge Management, le travail de valorisation de la rente cognitive comporte deux avantages.
➤ Premièrement, comme pour le Knowledge Management, le manager renforce aussi les savoirs et les savoir-faire de son entreprise en explorant et exploitant deux dimensions de la rente cognitive : la maîtrise des procédures (savoirs) et les compétences pratiques (savoir-faire).
Toutefois, il peut aller plus loin que le Knowledge Management en travaillant sur deux autres dimensions de la rente cognitive : l’expertise et l’expérience. Cela permet en particulier au manager de consolider les savoir-être de l’organisation (« Manuel de Knowledge Management : Mettre en réseau les hommes et les savoirs pour créer de la valeur », de Jean-Yves Prax, Dunod, 2019).
➤ Deuxièmement, la démarche de valorisation de la rente cognitive s’adapte mieux à la diversité des cadres organisationnels.
En effet, elle prend le contrepied des approches de valorisation des connaissances – comme le Knowledge Management– conçues surtout pour les très grandes organisations de type pyramidal ou pour les toutes petites structures de type start-up. Ainsi, le manager travaille sur la rente cognitive individuelle et collective de l’organisation sans devoir révolutionner tout le design organisationnel de son entreprise (« S’inspirer du vivant pour organiser l’entreprise », de Éric Delavallée, De Boeck, 2021).
La rente cognitive adaptée à tous les contextes managériaux
Cette adaptabilité présente aussi l’avantage de réduire le risque de blocages et de résistances organisationnelles et individuelles face au projet managérial de valorisation des connaissances.
La rente cognitive est multiforme (individuelle, collective, interpersonnelle) et s’intègre à diverses échelles d’action du manager (collaborateur, équipe, organisation). Cela donne ainsi la possibilité de mobiliser ce concept dans la diversité des projets managériaux, ce qui répond aussi à une réalité actuelle des organisations. En effet, le management des sociétés (de tous profils et dans tous les secteurs) devient de plus en plus orienté projet.
Le manager va donc chercher à savoir quelle dimension de la rente cognitive doit être consolidée pour maximiser les chances de réussite du projet (« La gestion des ressources humaines à l’épreuve du management de projet : état des lieux et perspectives de recherche », de Sabrina Loufrani-Fedida, @GRH, 2019).
Dans la gestion de divers projets, le manager peut alors se demander : Quelles procédures mobiliser pour réussir une démarche RSE ? Quelles sont les compétences pratiques à acquérir pour se lancer dans une nouvelle activité ? De quelle expertise l’entreprise a-t-elle besoin pour un projet de digitalisation ? Comment mobiliser l’expérience des collaborateurs pour la réussite d’un projet ? Etc.
Une facilité d’appropriation par tous les managers
Tous les chemins mènent à Rome. Ainsi, tous les styles managériaux (directif, persuasif, délégatif, participatif) peuvent conduire à une expérience réussie de valorisation de la rente cognitive (« La boîte à outils de la Stratégie », de Bertrand Giboin, Dunod, 2022).
Il faut alors voir le travail du manager sur la rente cognitive dans une perspective situationnelle. Autrement dit, la démarche de valorisation et de création des connaissances doit s’adapter au contexte organisationnel, aux façons de faire du manager, et aux spécificités du collaborateur (« Management situationnel : vers l’autonomie et la responsabilisation », de Dominique Tissier, Eyrolles, 2018).
Par exemple, une lacune de connaissances trop importante sur un sujet chez un salarié peut justifier temporairement un management plus directif ; à l’inverse, un travail sur la valorisation de l’expérience nécessiterait un management plus participatif pour encourager le partage horizontal de pratiques et de connaissances informelles.
Pour faciliter le travail de valorisation de la rente cognitive, le manager a à sa disposition des outils. Il peut aisément se les approprier car ils ont été conçus en s’inspirant du fonctionnement de dispositifs populaires auprès des managers : modèle de Karasek pour la gestion des risques psycho-sociaux, matrice BCG, grille de positionnement, questionnaire d’évaluation, etc. (« La rente cognitive. Pour un meilleur usage stratégique des connaissances », de Sébastien Bourbon, EMS Editions, 2023).
Les projets de valorisation de la rente cognitive concernent les trois principaux niveaux de management d’une organisation : manager de direction, manager intermédiaire, et manager de proximité (« Gestion des ressources humaines », de Pascal Moulette, Dunod, 2019).
Ainsi, la démarche de valorisation des connaissances peut constituer :
- un objectif stratégique pour une entreprise (management de direction) ;
- un projet de hausse des performances par une mise à jour des connaissances des collaborateurs (management intermédiaire) ;
- une démarche d’évaluation des équipes en intégrant les quatre dimensions de la rente cognitive (management de proximité).
Une aide à la décision managériale
Face à des impasses stratégiques et managériales (pertes de marchés, turnover, etc.), les entreprises peinent à prendre des décisions pertinentes dans un contexte inédit. Elles ont même le réflexe de réitérer des décisions passées, mais inadaptées à la situation nouvelle (« La rente cognitive, une valeur refuge en temps de crise », de Sébastien Bourbon, Management & Data Science, 2020).
Le concept de rente cognitive apporte alors une plus-value aux décideurs. Il peut être mobilisé pour poser un regard nouveau sur des problématiques externes et internes à l’organisation.
Par exemple, du point de vue externe, la difficulté à s’implanter sur un marché s’analyse aussi comme la nécessité de mieux valoriser l’expertise de l’entreprise auprès de parties prenantes externes. Sur le plan interne, des phénomènes de résistance au changement peuvent se comprendre comme la conséquence d’une trop forte asymétrie de connaissances des collaborateurs par rapport aux attentes d’un projet.
La rente cognitive ne constitue pas la solution magique qui remplace tous les autres outils mobilisés pour la décision managériale. En revanche, le manager a la possibilité d’utiliser le concept et ses outils en complément d’autres dispositifs d’analyse stratégique et/ou managériale pour en améliorer les résultats (« Exploring cognitive rent: A strategy for countering algorithms », de Sébastien Bourbon, Management & Datascience, vol. 5, n° 1, 2021).
Par exemple, une entreprise voulant se lancer sur un nouveau Domaine d’Activité Stratégique (DAS) peut ajouter à la liste des Facteurs Clés de Succès (FCS) le type de connaissances que ses collaborateurs doivent acquérir pour mieux se déployer sur ce DAS.
Le niveau de qualité de la rente cognitive des entreprises d’un secteur représente également un élément complémentaire aux forces de Porter pour évaluer l’intensité concurrentielle d’un marché.
Le manager explore et exploite la rente cognitive pour améliorer en continu l’efficience au sein de ses équipes et de son organisation. Il peut aussi appliquer cette démarche à lui-même pour garder ses compétences à niveau :
- D’un côté, un travail sur les quatre formes de ses connaissances (maîtrise des procédures, compétences pratiques, expertise, expérience) aboutit à tirer le meilleur des pratiques managériales existantes.
- D’un autre côté, le manager fait aussi émerger de nouvelles façons de faire qui vont le rendre plus performant dans son activité dans une logique d’amélioration continue.
La démarche de valorisation de la rente cognitive constitue donc un puissant levier managérial dans la mesure où elle constitue : un dispositif intéressant pour la conduite de projets ; un complément d’analyse utile à la pratique managériale ; et une aide précieuse à la décision stratégique dans un contexte où les idées neuves s’avèrent plus que jamais nécessaires.
Par Sébastien Bourbon
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