Leadership

Trois leçons de leadership du président Zelensky

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Leader “au service” de l’Ukraine, il remporte ses batailles en s’écartant fortement des préceptes classiques du pouvoir et de l’influence. Il mise sur la communication indirecte, la transparence, et l’authenticité.

Depuis la fin février, la guerre en Ukraine fait émerger une figure inattendue, celle de Volodymyr Zelensky. Le président ukrainien personnifie désormais la victoire – encore si fragile – de son pays, de son peuple, face à un agresseur incroyablement plus puissant, la Russie de Vladimir Poutine. Comédien, auteur et acteur principal de la série télévisée Au service du peuple, Volodymyr Zelensky est devenu président pratiquement par hasard. Cela explique en grande partie pourquoi il casse les codes classiques du pouvoir au point d’incarner le servant leadership, une forme d’influence exercée par des managers plus humbles, préoccupés avant tout, en entreprise, par le développement de leurs collaborateurs et, dans le cas présent, la survie de ses concitoyens.

Mais ce n’est pas tout. L’observation de Volodymyr Zelensky offre trois enseignements complémentaires sur la façon de susciter et entretenir l’adhésion, fût-ce contre la pire adversité. Ces enseignements méritent l’attention de tous les managers confrontés aux difficultés du quotidien. Ils sont d’autant plus frappants que, en face, l’autoritarisme de Vladimir Poutine présente trois exacts contrepoints.

1- Le leadership passe par la communication indirecte

Nous ne savons pas exactement sous quelles modalités Volodymyr Zelensky s’adresse à ses concitoyens, mais il ne fait aucun doute que l’énorme activité du président en direction d’audiences internationales participe à galvaniser les Ukrainiens (voir son discours aux parlementaires français en vidéo et la transcription officielle en anglais). En d’autres termes, Volodymyr Zelensky pratique un leadership indirect. Il prend l’initiative de provoquer à l’étranger des réactions, et obtient du soutien sur les plans moral, militaire, logistique, et à travers l’accueil des réfugiés. Tout laisse à penser que les combattants ukrainiens perçoivent ce soutien international a minima de façon subliminale, ou plus concrètement à travers les témoignages de leurs proches. Sur le terrain, ils en tirent fierté, courage, détermination et donc efficacité.

Le leadership indirect n’est pas un mode d’influence auquel les managers pensent spontanément. Au contraire, le point de départ de la pratique du management est généralement le pouvoir, défini comme la capacité d’une personne A à obtenir d’une personne B ce que celle-ci ne ferait pas par elle-même, pour reprendre les termes du sociologue Robert Dahl dans les années 1950 (« The concept of power », Behavioral Science, 2(3): 201–215). Les managers dérivent cette conception et s’efforcent d’exercer une influence directe sur leurs équipes, parfois sans succès. Ce faisant ils passent à côté d’un important levier, qui consiste à faire relayer leur direction par d’autres. Ils ignorent aussi une responsabilité majeure du dirigeant : déjà dans les années 1970, le professeur de stratégie Henry Mintzberg avait remarqué que le rôle du P-DG ne consistait pas tant à prendre des décisions qu’à communiquer, communiquer, et communiquer encore, et cela non seulement avec les équipes sous sa responsabilité directe, hiérarchique, mais aussi auprès de toutes les parties prenantes à l’organisation.

Les informations sur Vladimir Poutine sont rares, mais son schéma est clairement à l’opposé de celui de Volodymyr Zelensky. Le président russe s’inscrit dans la logique du pouvoir hiérarchique et descendant, avec un discours à sens unique. Les autres parties prenantes sont tenues à distance, physiquement, depuis son état-major militaire jusqu’au président Emmanuel Macron en visite à Moscou. Vladimir Poutine ne considère les tiers que comme des relais, qui doivent être à ses ordres ou bien cesser d’exister. Toutes proportions gardées, cela rappelle les postures que résument les directives telles que « Ne m’apportez pas des problèmes, mais des solutions ». Les conséquences en ont été désastreuses pour l’armée russe.

2- Le leadership passe par la transparence

Volodymyr Zelensky communique beaucoup. Même s’il passe certaines informations sous silence (les pertes militaires ukrainiennes, par exemple), il verse aux débats sur la guerre de nouveaux faits chaque jour. Au fur et à mesure, il dévoile les avancées comme les reculs, les succès comme les défaites. En somme, il est un opérateur de la transparence. Il favorise aussi la transparence indirecte. De multiples interlocuteurs sur le terrain sont autorisés à fournir aux journalistes des voies d’accès et des témoignages, qu’il s’agisse de responsables politiques (le maire de Kyiv, par exemple) ou de fonctionnaires intermédiaires.

Pour un dirigeant, la transparence présente un inconvénient majeur : elle oblige à cet équilibre entre bonnes et mauvaises nouvelles, elle oblige à reconnaître que non, tout ne va pas bien tous les jours. Elle expose aux critiques. Cependant, la transparence offre des avantages inimitables. Elle s’inscrit dans une demande incontournable de notre époque hyper-technologique. Sur nos smartphones et tous nos appareils connectés, nous sommes désormais en perpétuelle recherche de transparence – et même de transparence immédiate. Le président ukrainien tire le meilleur de cette transformation du monde qui rend « normal » le fait de disposer en temps réel d’images satellite et de les diffuser sans obstacle de temps ni de distance. Sans être un “millenial” (il est né en 1977), Volodymyr Zelensky est peut-être le véritable premier dirigeant politique à maîtriser non seulement la technique, mais aussi l’esprit de ce partage généralisé et instantané d’informations à l’échelle de l’Internet. Dans cette guerre, le mouvement n’avait d’ailleurs pas été lancé par lui, mais par les agences de renseignement américaines et britanniques qui ont fourni des informations sur les préparatifs russes pendant tout l’hiver, là encore avec une ouverture inédite.

Par sa transparence, Volodymyr Zelensky conserve l’initiative. Il reste le premier, le leader. Sa transparence lui offre enfin une opportunité unique : en dévoilant les informations, il est à même de les qualifier. Il peut présenter une défaite comme un crime de guerre de ses ennemis, et une victoire comme un exemple. Il « fait sens » et « donne du sens » à son peuple, une fonction majeure du leadership (« Sensemaking and sensegiving in strategic change initiation », Strategic Management Journal, 12(6): 433–448, de Dennis Gioia & Kumar Chittipeddi).

A nouveau, Vladimir Poutine présente un contre-exemple presque parfait. Sa logique de « command and control » – commander l’action et contrôler l’information – repose sur le silence comme posture élémentaire, ponctué de rares mises au point. En corollaire cependant, cela suppose de museler les médias et, in fine, de manipuler grossièrement la réalité. Par construction, cette posture oblige à mentir. Il ne faut pas négliger son efficacité : la population russe soutient le président Poutine. Un manager responsable devrait se demander quel est le prix de ce soutien, surtout comparé à une transparence qui ne coûte rien.

3- Le leadership passe par l’authenticité

Le dernier enseignement que les dirigeants peuvent retirer de l’observation de Volodymyr Zelensky, c’est à quel point les victoires s’obtiennent par la mise en résonance du leadership avec les croyances et les sentiments profonds des participants au projet. Ses messages font vibrer simultanément deux cordes : la corde de l’identité d’un peuple qui, par ses traditions, son histoire, sa culture, se perçoit comme ayant une existence propre, distincte de celle de la Russie ; et la corde des aspirations pour l’avenir, avec un idéal qui conduit les Ukrainiens vers l’Occident plutôt que vers Moscou. En un mot, le président en appelle à l’authenticité de l’Ukraine. L’authenticité est une notion complexe. Des multiples théorisations de leadership qui en appellent à l’authenticité, il est possible de tirer une synthèse en trois caractéristiques (« Towards a unified “Theory Y” of leadership, de Vincent Giolito, CEB Working paper, Solvay Brussels School of Economics & Management working paper, Brussels).

La première, c’est la conscience de sa propre identité, individuelle et collective. Les leaders doivent protéger cette identité. En ce sens, la résistance aux chocs imposés par l’extérieur est un message plus simple à transmettre que le message de changement – cela sert d’ailleurs le leadership de Volodymyr Zelensky lui-même. Deuxième caractéristique, l’authenticité suppose une démarche active de recherche éthique, c’est-à-dire de discernement entre ce qui est bien et ce qui est mal. Pour illustration, le président ukrainien en appelle sans cesse aux valeurs comme la liberté, la démocratie, et la paix pour inviter la communauté internationale à soutenir l’Ukraine. Enfin, l’authenticité dans le leadership exige de l’intégrité, concrètement l’adéquation entre la parole et les actes. Le président Zelensky illustre à nouveau cette caractéristique, en prenant des positions pragmatiques dans les difficiles négociations avec la Russie, par exemple en admettant l’éventualité de la neutralité si cela doit être le prix de la paix.

Même si le parallèle peut sembler distant, les managers en entreprise peuvent eux aussi jouer sur ces trois caractéristiques de l’authenticité : en ayant une meilleure connaissance de ce qui unit leurs équipes, dans leur identité et dans leurs aspirations ; en prenant un instant pour réfléchir aux valeurs que peuvent mettre en jeu leurs décisions ; et en ayant le réflexe de vérifier la concordance entre ce qu’ils promettent et ce qu’ils font dans la réalité. Cette authenticité dans le leadership sera à même de libérer l’énergie, la créativité, et l’adhésion au projet collectif.

A l’opposé, les leaders qui s’appuient uniquement sur leur pouvoir ne sauront compter que sur la discipline et, de façon ultime, la peur, ressort majeur du despotisme, comme le notait déjà Montesquieu dans L’esprit des lois. Les échecs de Vladimir Poutine dans sa campagne ukrainienne ne font que rappeler les limites de cette façon de diriger.

La communication indirecte, la transparence et l’authenticité sont autant d’éléments de leadership illustrés par Volodymyr Zelensky que tout manager gagnerait à intégrer dans sa pratique. Cela suppose d’abandonner quelques schémas classiques, celui du pouvoir absolu incarné par Vladimir Poutine, mais aussi le schéma du leader visionnaire, capable de sacrifier le présent à l’avenir. Les succès de l’Ukraine dans sa résistance à l’agresseur témoignent de l’urgence de cette nouvelle réflexion.

 

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