Dans un marché de l’automobile en pleine ébullition, l’entreprise ghanéenne de fabrication de voitures Kantanka Automobile tente de tirer son épingle du jeu, elle qui s’est imposée en quelques années comme l’une des rares marques made in Africa. Filiale du groupe éponyme fondé par le pasteur Kwadwo Safo Kantanka, elle évolue dans un pays qui multiplie les actions afin de se placer au-devant de la scène africaine pour la construction automobile.»
Aux côtés notamment de Mobius Motors (Kenya), Kiira Motors Corporation (Ouganda), Jengu (Cameroun) ou encore Wallyscar (Tunisie), Kantanka Automobile a imposé son nom dans l’histoire très récente des voitures 100 % africaines. Depuis le premier prototype, une berline fabriquée en 1994, ce constructeur automobile a pris le temps d’explorer divers moyens pour améliorer la qualité de ses véhicules et augmenter le confort de conduite, tout en se souciant de produire des modèles accessibles au Ghanéen moyen. Entamée en 2016 seulement, la production de masse a ensuite été boostée par l’ouverture d’un showroom en 2018. Aujourd’hui, Kantanka Automobile, que dirige Kwadwo Safo Kantanka Junior, produit plus de 1 000 véhicules par an et affiche une gamme diversifiée allant de la berline au pick-up en passant par la mini-fourgonnette, les 4×4 (qui ressemblent extérieurement à ceux des grandes marques mondiales), les mini-bus, et même les camions blindés… Autant de véhicules qui sont commercialisés au Ghana et à l’étranger, le constructeur ghanéen – qui peut également se targuer d’avoir assuré la livraison de plusieurs de ses véhicules à des institutions d’État comme l’armée, la police ou le ministère de l’Agriculture – étant présent dans plusieurs pays d’Afrique de l’Ouest et en Europe.
Le fardeau de l’externalisation
Alors que le marché automobile ghanéen est appelé à croître à un rythme effréné dans les prochaines années, tout laisse à penser que le chiffre d’affaires de Kantanka Automobile (7,3 millions d’euros) « devrait connaître un coefficient multiplicateur important », comme le prévoit un analyste. Si elle ne manque pas de créativité ni d’ambition, la marque souffre cependant d’un handicap : pour se fournir en composants-clés comme les pneus, les vitres, ou les étriers de frein, Kantanka importe d’Allemagne, de Chine et d’Espagne, engageant pour ce faire des coûts importants. Même si elle assure que 70 % des composants qu’elle utilise sont locaux (notamment les boiseries ornant les tableaux de bord, provenant des forêts ghanéennes, et les sièges en cuir, fabriqués à Kumasi, NDLR), cette externalisation constitue « un énorme fardeau pour son développement », estime l’analyste ghanéen Gideon Duke Sarpong, qui esquisse des solutions possibles pour le constructeur, comme le recours à de nouveaux fabricants d’équipements et accessoires installés au Ghana et/ou une diversification vers la production de matériels et équipements agricoles. D’autres observateurs sont moins optimistes. Évoquant la forte dépendance de Kantanka aux kits CKD (Complete Knock Down ou « nécessaire en pièces détachées », terme désignant l’ensemble des pièces détachées nécessaires pour assembler complètement un véhicule, NDLR) issus de Chine, ils n’hésitent pas à dénigrer la firme en parlant de made in China, plutôt que de made in Ghana. C’est notamment le cas du journaliste Amenuti Narmer, selon qui le rêve ghanéen pourrait être de courte durée… À ces sceptiques, toute une frange de la population répond que le constructeur automobile fait beaucoup pour sa communauté : il génère des emplois (500 emplois directs et des milliers d’emplois indirects) et octroie des revenus à des Ghanéens fiers d’acquérir des véhicules à des prix abordables. Comparant Kantanka à la marque Apple (produits conçus en Californie et assemblés en Chine), ils s’étonnent : si les modèles Kantanka sont conçus en Chine et assemblés au Ghana, comment expliquer leur prix, bien moins élevé que ceux des véhicules issus des firmes internationales ?
« Les dirigeants du conglomérat technologique Kantanka sont tous habités par la même conviction : c’est dans les compétences et les ressources africaines que se trouvent les réponses aux défis du continent »
Le « Kantanka way »
Nul doute que la compagnie Kantanka a su convaincre dans le pays. Ainsi, en 2021, a-t-on vu le ministre ghanéen des Finances clamer publiquement sa fierté d’être un utilisateur d’une berline Kantanka Amoanimaa. Quant à l’étoile à cinq branches, à la fois logo de la marque et emblème du Ghana, elle s’affiche fièrement sur la calandre de chacun de ces véhicules, dont les commandes sont en twi (la langue la plus répandue au Ghana) et en anglais. Cependant, au-delà des symboles percutants, le succès de la firme réside aussi, probablement, dans la vision du vaste groupe Kantanka, dont elle est une filiale. Outre l’industrie automobile et les transports, celui-ci est en effet présent dans des domaines aussi divers que la sécurité, les services financiers, l’agriculture biologique et durable, l’enseignement ou encore les médias. Il y compte des filiales dont les dirigeants sont tous habités par la même conviction : c’est dans les compétences et les ressources africaines que se trouvent les réponses aux défis du continent. Et partout, un credo domine : celui d’un Ghana capable de satisfaire aussi bien des besoins élémentaires que sophistiqués. C’est le « Kantanka Way », mélange de philosophie et de « Can Do Spirit ».
Le consommer local en bandoulière
Pour le Ghana, la présence du constructeur automobile local constitue un atout important, à l’heure où le pays multiplie les initiatives afin de se positionner comme un acteur clé de l’industrie automobile en Afrique de l’Ouest. Ainsi l’État ghanéen a-t-il adopté il y a trois ans un plan stratégique pour l’industrie automobile, qui prévoit d’importantes exemptions fiscales pour les sociétés installant des sites d’assemblage dans le pays. Les résultats ne se sont pas fait attendre : après Volkswagen en août 2020, le groupe Toyota a lancé, en 2021, une usine d’assemblage dans le pays. Pour contrer cette concurrence nouvelle, Kantanka Automobile met donc les bouchées doubles. La firme, qui vient de réaliser une levée de fonds de 100 millions de dollars (environ 94 millions d’euros), multiplie les efforts pour séduire la population locale, encore très encline à préférer un modèle issu d’un constructeur international, jugé plus fiable. Le groupe a ainsi lancé, à destination des foyers ghanéens les plus modestes, une nouvelle gamme de véhicules offrant un bon rapport qualité-prix. Il a également initié une vaste campagne publicitaire (sa maison mère possède une chaîne de télévision) et accru sa présence déjà très forte sur les réseaux sociaux. Enfin, il n’hésite pas à multiplier les actions médiatiques lorsqu’il s’agit de mettre en avant sa capacité à fournir des véhicules particuliers aux institutions ghanéennes : pick-up Omama à l’armée ghanéenne, fourgonnettes blindées de transfert de fonds pour les banques… Des opérations séduction qui auraient porté leurs fruits dans trois pays africains et permis d’enregistrer 13 000 commandes. Surtout, après la voiture thermique, Kantanka Automobile se lance désormais dans la production de véhicules électriques depuis son usine de Kumasi, au sud du Ghana. Son objectif est de produire 4 300 unités de ce type, proposées à un prix moyen de 45 000 cédis ghanéens (un peu plus de 2 millions de francs CFA et environ 3 350 euros). En comparaison des véhicules neufs proposés par les grands constructeurs à des prix allant de 18 000 à 35 000 euros, l’offre a de quoi séduire le marché local et pourquoi pas international, l’ambition de la firme ghanéenne étant bel et bien d’exporter ses modèles. Fabriquer des voitures faites au Ghana, par des Ghanéens pour les Ghanéens : le pari du pasteur Kwadwo Safo Kantanka a été relevé avec succès, en quelques années seulement. Une nouvelle page s’ouvre maintenant pour Kantanka, à l’heure où le marché africain de l’automobile présente l’une des perspectives de croissance les plus élevées au monde.
Deux leaders avant-gardistes
Dans le pays, on le surnomme « l’Apôtre » ou « l’Étoile du Ghana ». Président fondateur de Kantanka, le pasteur Kwadwo Safo Kantanka a bâti un groupe qui est aujourd’hui le plus grand conglomérat technologique ghanéen. L’homme, autodidacte, est non seulement un innovateur, un technologue, mais aussi un philanthrope qui croit en l’émancipation des Africains. Innovateur scientifique prolifique, sa renommée dépasse les frontières de son pays. « L’Apôtre » a produit une centaine de gadgets et l’exposition technologique qu’organise chaque année son conglomérat est devenue un rendez-vous incontournable au Ghana. Véritable pionnier de l’automobile dans son pays, il est à l’origine de la marque automobile à l’étoile argentée à cinq branches. Le pasteur dirige également la mission religieuse Kristo Asafo du Ghana, qui compte plus d’une centaine d’églises dans le pays. Son fils Nana Kwadwo Safo Akofena (Kantanka Junior), âgé de 37 ans, a été nommé PDG du groupe en 2016. Pilote de formation, ce serial entrepreneur est titulaire d’un MBA obtenu à l’Institut ghanéen de gestion et d’administration publique (GIMPA). Engagé sur les questions de formation professionnelle, il a été porté au rang d’ambassadeur de l’Institut national professionnel et technique (NVTI). Avant de prendre la tête du conglomérat, il a passé dix années aux côtés de son père.
L’industrie automobile au Ghana
Le Ghana importe près de 100 000 voitures par an, dont une majorité (environ 90 %) d’occasion. Son secteur automobile est en grande partie composé de détaillants de véhicules d’occasion importés et de quelques distributeurs qui vendent au détail des véhicules neufs. Soucieux de développer une filière industrielle autonome dans le pays, le gouvernement ghanéen a établi en 2019 un plan pour l’industrie automobile, avec une mise en place progressive : assemblage de kits semi-démontés, puis fabrication avec assemblage de kits entièrement démontés. Par des mesures fiscales, il s’efforce d’attirer les investissements consentis par les principaux fabricants d’équipement d’origine (OEM). Volkswagen, Nissan, Toyota et Suzuki ont d’ores et déjà signé des accords d’assemblage avec le pays, qui a également adopté un amendement visant à interdire l’importation de voitures accidentées et celles de plus de dix ans. Actuellement, le Ghana doit faire face à une sortie annuelle de 1,5 milliard de dollars (1,4 milliard d’euros) de devises fortes en produits importés.
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