Economie & Finances

2,4 milliards $ de recettes, 6,39 milliards $ de redressements : l’Initiative IISF, moteur discret de la souveraineté fiscale au Sud

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Dix ans après son lancement officiel, l’Initiative « inspecteurs des impôts sans frontières » (IISF) publie un rapport-bilan conjoint OCDE/PNUD sur une décennie d’assistance technique ciblée aux administrations fiscales des pays du Sud. Avec 2,4 milliards de dollars de recettes fiscales supplémentaires mobilisées et plus de 6,39 milliards de redressements opérés dans 70 juridictions, l’IISF s’impose comme un levier discret mais décisif de la souveraineté fiscale. Le Sénégal, pionnier du dispositif, y occupe une place stratégique.

Depuis son lancement officiel en juillet 2015, l’initiative « inspecteurs des impôts sans frontières » (IISF), co-pilotée par l’organisation de coopération et de développement économiques et le programme des nations unies pour le développement (PNUD),s’est progressivement imposée comme un dispositif central de soutien technique à la mobilisation des ressources fiscales dans les pays en développement. Conceptualisée dès 2012 et expérimentée à travers des projets pilotes entre 2013 et 2014, l’IISF s’est d’abord concentrée sur les problématiques complexes de vérifications fiscales internationales et de prix de transfert. Aujourd’hui, elle couvre également les enquêtes pénales fiscales, l’échange automatique de renseignements, la déclaration pays par pays, la transformation numérique des administrations fiscales, la TVA sur le commerce numérique et l’opérationnalisation de l’impôt minimum mondial.

L’impact global de l’initiative est d’ampleur. À la fin 2024, elle a permis de mobiliser 2,40 milliards de dollars de recettes fiscales supplémentaires dans les pays bénéficiaires, avec un total de redressements fiscaux s’élevant à 6,39 milliards de dollars. Par ailleurs, les pertes d’impôt sur les sociétés évitées, grâce à des ajustements proactifs, atteignent 2,5 milliards de dollars. Le rendement de l’investissement dans ces programmes est particulièrement élevé, avec un retour estimé à 125 dollars par euro investi. En termes de couverture géographique, 155 programmes ont été déployés dans 70 juridictions d’Afrique, d’Asie-Pacifique, d’Europe orientale, d’Amérique latine et des Caraïbes. Fin 2024, 59 programmes étaient encore en cours, tandis que 96 avaient été clôturés.

L’Afrique a été à l’avant-garde de l’initiative, tant par le volume de programmes engagés que par les résultats obtenus. Dès 2012, certains pays africains, dont le Sénégal, ont accueilli les premières missions pilotes. Avec un partenariat actif du Forum africain sur l’administration fiscale (ATAF), le continent a engrangé 1,91 milliard de dollars de recettes fiscales supplémentaires à travers l’IISF, sur un total de 4,47 milliards de dollars de redressements fiscaux. Au total, 90 programmes ont été initiés dans 39 juridictions africaines. Fin 2024, 33 étaient encore en cours, 57 achevés, et cinq étaient en phase de lancement. Plus de 80 % des programmes ont porté sur les prix de transfert et la fiscalité internationale, avec des interventions sectorielles dans les industries extractives, les télécommunications ou les services financiers. Des programmes d’enquêtes pénales (9 au total) et de digitalisation (4) ont également été menés.

Parmi les cas les plus emblématiques figurent le Nigéria, qui a mené 280 vérifications de prix de transfert générant plus de 1,2 milliard de dollars de redressements fiscaux, dont 380 millions recouvrés, et la Zambie, qui a mobilisé plus de 320 millions de dollars, dont 150 millions issus de redressements liés aux prix de transfert. Le Sénégal, quant à lui, a marqué l’histoire de l’IISF en accueillant en janvier 2022 le 100e programme de l’initiative, symbole de sa position pionnière sur le continent.

L’expérience du Sénégal illustre la profondeur de l’ancrage de l’IISF dans les stratégies fiscales nationales. Le pays a été l’un des premiers bénéficiaires du dispositif, dès la phase pilote en 2012, avant même son lancement officiel. En 2014, un programme pilote a été lancé avec l’appui de la direction générale des finances publiques française. Ce projet a été suivi par deux autres programmes, l’un entre 2017 et 2018, et un dernier plus structurant entre 2022 et 2024. L’ensemble de ces missions ont permis à l’administration fiscale sénégalaise de renforcer ses capacités dans les domaines techniques de la fiscalité internationale, de la documentation des prix de transfert et de l’évaluation des risques. L’un des aboutissements majeurs de cette coopération réside dans la montée en compétence des équipes locales, qui ont elles-mêmes participé à des transferts de savoir-faire dans le cadre de la coopération Sud-Sud. Le Sénégal a ainsi détaché un de ses inspecteurs auprès de la République démocratique du Congo pour un appui en vérification fiscale internationale.

La dynamique Sud-Sud constitue d’ailleurs l’un des piliers stratégiques de l’IISF. À fin 2024, 35 programmes de coopération technique entre pays du Sud avaient été lancés, le premier ayant vu le jour en décembre 2016. Parmi les pays contributeurs figurent le Brésil, l’Inde, le Mexique, le Maroc, le Kenya, l’Afrique du Sud, le Nigéria et le Sénégal. Cette logique d’apprentissage entre pairs vient compléter les missions classiques d’assistance technique, tout en renforçant l’appropriation régionale des enjeux de souveraineté fiscale.

L’impact de l’IISF dépasse les chiffres bruts. Dans plusieurs administrations bénéficiaires, l’initiative a conduit à la création d’unités spécialisées, à l’adoption de réformes législatives, et à une amélioration globale du civisme fiscal des entreprises multinationales. Une étude indépendante de l’Institut allemand du développement et de la durabilité a montré une hausse significative des recettes issues de l’impôt sur les bénéfices dans 19 à 21 % des pays ayant bénéficié de l’IISF, cinq à six ans après le début des programmes. La documentation sur les prix de transfert a gagné en qualité, et la coopération internationale en matière fiscale s’est structurée. En octobre 2024, le vivier mondial d’experts IISF comptait 189 professionnels issus de plus de 50 juridictions, dont 51 % provenant de pays du Sud et 24 % de femmes, l’initiative ayant lancé un programme de mentorat pour renforcer la participation féminine dans la fiscalité internationale.

Malgré ces succès, plusieurs défis persistent. Le manque de stabilité dans les effectifs des administrations fiscales partenaires, notamment à travers une forte rotation ou des départs prématurés, nuit parfois à la continuité des progrès. Pour y remédier, l’IISF encourage l’adoption de politiques de fidélisation et de plans de relève pour garantir la pérennité des compétences acquises. Les ambitions pour les années à venir sont claires avec 30 nouveaux programmes qui devraient être lancés en 2025, et 35 en 2026. Parmi eux, 15 porteront sur les vérifications fiscales internationales et 6 sur les enquêtes pénales fiscales. L’initiative entend également renforcer son intervention dans les domaines émergents, notamment la TVA sur le commerce numérique et l’impôt minimum mondial.

Dans un contexte où les États africains cherchent à sécuriser et diversifier leurs recettes domestiques face aux pressions budgétaires croissantes, l’IISF s’impose comme un instrument discret mais stratégique de reconquête de la souveraineté fiscale. Pour des pays comme le Sénégal, qui a su combiner engagement politique, expertise technique et diplomatie fiscale, les retombées de cette initiative constituent un levier précieux pour réduire la dépendance à l’aide extérieure et améliorer le financement des politiques publiques.

Par Zaynab SANGARÈ
admin
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