Alors que les économies mondiales multiplient les efforts pour verdir leur croissance dans un contexte de plus en plus contraint par les dérèglements climatiques, le Sénégal s’affirme comme l’un des pays africains les plus actifs dans l’intégration des enjeux environnementaux dans ses politiques économiques. Malgré une contribution marginale aux émissions mondiales de gaz à effet de serre, le pays fait face à des impacts climatiques d’ampleur sur son littoral, ses secteurs agricoles, ses ressources hydriques, son économie urbaine et sa santé publique.
Le littoral sénégalais, qui représente 68 % du PIB national et s’étend sur 720 kilomètres à travers six régions, est aujourd’hui exposé à une pression climatique croissante, entre érosion côtière, inondations récurrentes et perte de biodiversité. La vulnérabilité de ce socle économique compromet les acquis du développement durable, exacerbe la pauvreté et génère des mouvements migratoires internes et régionaux. Ces défis s’inscrivent dans un contexte global où les États, selon les dernières données du FMI et de l’ONU, doivent concilier résilience écologique et viabilité budgétaire, notamment dans les économies en développement.
Dans le secteur agricole, qui dépend à 90 % de la pluviométrie, les effets du dérèglement climatique se traduisent déjà par une baisse des rendements de 5,8 % pour le maïs et de 2,3 % pour le blé. Dans la pêche, secteur vital qui emploie plus de 100 000 personnes, la biomasse des ressources démersales côtières a chuté à 75 580 tonnes, tandis que celle des espèces pélagiques atteint 744 520 tonnes, en baisse continue, avec un impact direct sur les revenus, l’emploi et la stabilité des communautés littorales.
L’accès à l’eau, enjeu stratégique pour l’horizon 2030, est également sous pression. Environ 34 % des ressources hydriques du pays proviennent de territoires transfrontaliers en amont, alors que 80 % du territoire sénégalais se situe dans ces bassins partagés. Le projet stratégique Grand Transfert d’Eau lancé en octobre 2024 vise à sécuriser l’alimentation en eau potable de près de 5 millions de Sénégalais dans les zones urbaines clés comme Dakar, Thiès, Mbour et Touba, avec une extension prévue à 11 millions de bénéficiaires d’ici 2050.
Dans les transports, le coût économique des embouteillages à Dakar est estimé à plus de 100 milliards de FCFA par an, tandis que la croissance du nombre de déplacements (4,3 % par an) dépasse la croissance démographique (2,5 %). En réponse, le Sénégal a lancé plusieurs initiatives structurantes, dont le Train Express Régional (TER), qui génère déjà des gains économiques estimés entre 3 et 10 milliards FCFA par an, et le Bus Rapid Transit (BRT), conçu pour transporter jusqu’à 300 000 passagers par jour sur 18 km, avec une extension en bus électriques prévue pour 2025 afin d’éviter plus de 59 000 tonnes de CO2 chaque année.
Sur le plan de la qualité de l’air, les particules fines atteignent une moyenne de 63,33 µg/m³ par an, soit plus de 12 fois la norme de l’OMS (5 µg/m³). En 2021, l’Indice de Qualité de l’Air était jugé bon seulement 34 % du temps, avec 20 % de jours jugés mauvais et 8 % très mauvais. La dégradation environnementale touche également la biodiversité : entre 1990 et 2015, le Sénégal a perdu plus de 1 075 000 hectares de forêts, un recul majeur pour le puits carbone national.
Face à ces défis, le Sénégal articule une réponse macroéconomique ambitieuse. Sa Contribution Déterminée au niveau National (CDN) fixe un objectif de réduction des émissions de GES de 7 % de manière inconditionnelle, pouvant atteindre 29,5 % avec un appui international. En 2010, les émissions s’élevaient à 16 752 Gg CO2e ; elles pourraient atteindre 37 761 Gg CO2e en 2030 sans action. Pour soutenir cette trajectoire, la politique fiscale sénégalaise propose un crédit d’impôt de 30 % du bénéfice pour les entreprises investissant dans les énergies renouvelables, assorti d’une réduction d’impôt sur le revenu de 30 % pour les projets solaires ou éoliens. Des instruments fiscaux appliquant le principe du pollueur-payeur ont rapporté près de 500 milliards FCFA via la taxation des véhicules puissants et plus de 1,4 milliard FCFA via la taxe sur les sachets plastiques non recyclables.
L’État a également introduit pour la première fois dans le budget 2024 des provisions spécifiques pour les catastrophes climatiques à hauteur de 30,76 milliards FCFA. Pour 2025, une enveloppe de 18 milliards FCFA est déjà prévue. Le financement de la campagne agricole, fortement exposé aux aléas climatiques, a été renforcé, avec 80 milliards FCFA en 2022, 100 milliards en 2023 et 120 milliards en 2024. Le Programme d’Investissement Public 2025-2027 affecté des montants significatifs à des secteurs sensibles soit 13 milliards pour la pêche, 14,9 milliards pour l’environnement, 14,1 milliards pour l’élevage, 23,4 milliards pour l’industrie et le commerce, 71,6 milliards pour les infrastructures et 48,8 milliards pour l’énergie.
Sur le plan énergétique, le pays vise une part de 30 % d’énergies propres dans son mix national. Le projet solaire de Taïba Ndiaye, avec une capacité de 30 MW, devrait éviter 300 000 tonnes d’émissions de carbone. En parallèle, le Programme national de biogaz (PNB-SN) vise le déploiement de plus de 50 000 biodigesteurs pour une réduction attendue de 904 341 tonnes de CO2eq d’ici 2030.
Alors que de nombreuses économies avancées peinent à concilier objectifs climatiques et impératifs de croissance, le Sénégal s’impose comme un acteur engagé de l’économie verte sur le continent africain. La cohérence de sa stratégie, l’ancrage budgétaire de ses objectifs et l’alignement croissant de ses politiques sectorielles avec les standards internationaux de durabilité font du pays un cas d’étude pertinent dans les rapports du FMI, de la Banque mondiale et des agences spécialisées. Si les défis restent immenses, notamment sur le plan du financement climatique et de la gouvernance locale, le Sénégal trace une voie pragmatique et proactive, alignée sur les agendas globaux de la transition écologique et du développement inclusif.
Par Zaynab Sangarè
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