Economie & Finances

FINTECHS EN ZONE UEMOA : ATTENTION À NE PAS BRISER UN MOTEUR D’INCLUSION FINANCIÈRE

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Par Magaye GAYE, économiste international et ancien de la BOAD

 

La Banque Centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) a récemment durci le ton à l’égard des fintechs. Lors d’une conférence de presse à Dakar, le Directeur national a justifié le blocage de plusieurs dossiers par leur qualité jugée insuffisante. Certes, la rigueur réglementaire est nécessaire, mais à condition qu’elle ne freine pas une dynamique qui contribue activement à l’inclusion financière et à la modernisation de nos économies.

 

  1. Un écosystème déjà interconnecté : pourquoi réinventer la roue ?

Les fintechs ne sont pas en marge du système financier. Dans de nombreux cas, elles opèrent en partenariat étroit avec les banques et agissent comme leviers d’accès aux services financiers pour les populations non bancarisées. Elles permettent :

-une baisse de la circulation de liquidités physiques ;

-une fluidification des transactions quotidiennes ;

-et surtout, une inclusion économique et sociale massive.

Autrement dit, elles jouent un rôle que le système bancaire classique n’a pas su assumer seul. Loin d’être des structures à encadrer avec méfiance, elles sont les bras digitaux des banques, une forme de distribution décentralisée de la finance.

  1. Réglementer oui, mais sans tuer la poule aux œufs d’or

La BCEAO risque, à force de rigueur, de compromettre les fondements d’un secteur naissant mais vital. La situation rappelle celle du secteur informel, que l’on cherche à intégrer sans pour autant l’asphyxier. Plutôt que de centraliser tous les contrôles, responsabiliser les banques en les incitant à choisir, encadrer et superviser leurs partenaires fintechs serait une voie plus agile et efficace. On protège sans étouffer.

  1. Ne pas se cacher derrière la réglementation pour restreindre l’activité économique

Le souci légitime de sécuriser les opérations et de lutter contre le blanchiment ne doit pas servir de prétexte à une forme de contraction monétariste de l’économie. Il ne faudrait pas que la régulation devienne un outil indirect pour ralentir les flux économiques afin de « protéger » artificiellement la monnaie. Ce serait une erreur stratégique dans des économies qui ont précisément besoin de plus de circulation et de fluidité.

  1. Une régulation sans diagnostic préalable, c’est naviguer à vue

Avant d’appliquer des textes techniques, un état des lieux du secteur aurait été indispensable :

-Combien de citoyens utilisent aujourd’hui les services fintech ?

-Quels volumes financiers sont concernés ?

-Quel est l’impact macroéconomique de ces services ?

Et surtout, quelles seraient les conséquences d’un retrait massif d’acteurs fintechs du marché notamment en matière d’emploi et de difficultés de transfert d’argent depuis une importante population d’immigrés vers des populations locales fragiles ?

 

La régulation, si elle est mal calibrée, peut produire des effets multilatéraux négatifs : ralentissement de la consommation, perte de compétitivité numérique, voire augmentation de la circulation de cash — l’exact opposé des objectifs affichés.

  1. Éviter le piège du copier-coller réglementaire

Nos économies sont spécifiques : infrastructures encore incomplètes, forte informalité, faible bancarisation, etc. Imposer des normes conçues pour des marchés développés, sans adaptation locale, revient à mettre des chaussures trop grandes à un enfant qui apprend à marcher. L’histoire regorge d’exemples où des normes venues d’ailleurs ont été inefficaces, voire contre-productives.

 

  1. Une leçon du passé : le ratio de structure du portefeuille

Dans les années 2000, lors d’un séminaire organisé par la BCEAO à Ouagadougou, la même logique réglementaire avait été contestée. Il s’agissait du ratio de structure du portefeuille, qui se calculait comme suit :

Total des encours bénéficiant d’un accord de classement ÷ Total des encours globaux de la banque.

À l’époque, l’ancien gouverneur Charles Konan Banny souhaitait imposer son respect strict. Mais les opérateurs économiques avaient fait entendre leur voix : le ratio était inapplicable en l’état. La BCEAO avait fini par reculer. Il faut retenir cette leçon : la réalité du terrain doit guider l’application des normes, et non l’inverse.

 

En définitive les Fintechs ne sont pas une menace à contenir mais une chance à accompagner. Il faut les encadrer, certes, mais avec discernement, intelligence économique, et en tenant compte de nos réalités. L’Afrique ne peut pas se permettre de freiner ceux qui accélèrent son inclusion financière.

 

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