Si vous souhaitez tisser des liens sains et durables avec vos équipes, apprenez à identifier les quatre types de managers qui se veulent bienveillants mais qui se montrent en réalité toxiques.
Certains liens altèrent notre liberté : ce sont les menottes. D’autres nous libèrent : ce sont les liens sociaux. Depuis les années 1990, la littérature scientifique est univoque sur la dimension essentielle du soutien social pour préserver la santé mentale des salariés (« Healthy Work : stress, productivity, and the reconstruction of the working life », de Robert Karasek et Töres Theorell, Basic Books, 1990).
Quiconque a déjà appartenu à une équipe sait combien la qualité des relations qui l’unissent à ses collègues est déterminante dans sa motivation. Nous sommes des êtres grégaires et l’appartenance à un groupe est une des conditions de la survie de notre espèce. La faible fréquence des conflits permet, au-delà du caractère agréable du quotidien, de préserver les salariés du stress et des altération de la santé mentale. Pour y parvenir, le rôle du manager est déterminant — une étude de 2023 met d’ailleurs en exergue combien le manager peut avoir une influence salutaire sur le vécu des situations de travail.
Au niveau mondial, les salariés interrogées considèrent que leur manager a un rôle aussi important que leurs conjoints dans la préservation de leur santé mentale, et que ce rôle est même plus important que celui de leur médecin et ou de leur thérapeute.
Devenir un manager soutenant pour ses équipes devient une vertu cardinale qu’il s’agit de développer au bénéfices des individus, de l’activité et des organisations du travail. Le rapport « Le bien-être et l’efficacité au travail » (de Henri Lachman, Christian Larose et Muriel Pénicaud, 2010) pointait déjà le rôle central du manager dans la prévention des risques psychosociaux et l’accompagnement des transitions d’entreprise.
Il est alors étonnant de constater une évolution manifeste des situations de tensions dans les équipes et de harcèlement au travail depuis quelques années. Comme l’a mis en lumière une étude menée par Qualisocial et Ipsos, près d’un salarié sur trois aurait été victime de comportement s’apparentant a du harcèlement dans les dernières années. Cette apparente contradiction, montre que, malgré les intentions et les prises de conscience, la transition vers des comportements plus sain n’est pas encore efficace.
Le développement considérable du développement personnel ces dernières années a conquis les situations de travail. De nombreuses entreprises font désormais appel à de prétendus spécialistes des comportements et des attitudes pour améliorer l’efficacité des managers. On assiste donc à pléthores de méthodes dites psychologisantes (ennéagramme, PNL, loi de l’attraction) dont les présupposés scientifiques sont douteux – certains, montrant une vigilance accrue de la part de la Miviludes.
Issu de la pensée New Age, le développement personnel tient comme pilier la loi de l’attraction, et la notion d’intention positive comme promoteur d’une amélioration de la personne. Non seulement, la loi de l’attraction ne montre aucun fondement scientifique sérieux mais elle développe en parallèle des comportements toxiques et des répercussions nocives sur la santé des personnes. Les bonnes intentions et le désir du meilleur ne suffisent donc pas à l’atteindre.
Comment repérer des managers bienveillants mais toxiques ? Voici quatre profils pour vous aider :
Le bienveillant maladroit
Certaines situations de travail sont plus difficiles que d’autres et peuvent générer de l’appréhension chez les collaborateurs. L’anxiété anticipatrice à l’idée de participer à une réunion à fort enjeu, par exemple un comité de direction, peut amener un salarié à solliciter l’aide de son manager ou à lui faire part de son inquiétude. En effet, si le premier rempart contre la détresse psychologique au travail, c’est le soutien des pairs, partager sa peur demeure une bonne stratégie pour la dissiper. Désireux de rassurer son collaborateur, il est malheureusement courant que le manager s’y prenne mal. Par exemple, lorsqu’un collaborateur explique « j’ai peur de passer en codir ce soir, parce que j’ai l’impression que notre projet n’est pas suffisamment solide », le manager « bienveillant maladroit », va se focaliser sur le désir de rassurer, en trouvant des solutions ou en négligeant l’émotion du collaborateur. Voyons deux réponses possibles du bienveillant maladroit :
- « Tu n’as aucune raison de t’inquiéter, ça va bien se passer »: la posture ici est antipathique. En effet, elle demande au collaborateur de nier complètement son émotion de peur et la néglige. Ce faisant, elle ne prend pas en considération ce que ressent la personne qui va se sentir incomprise et rabaissée. Nous sommes capables de saisir l’intention bienveillante du manager, il veut rassurer, mais il passe complètement à côté de l’effet escompté
- « Arrête tout ce que tu as prévu ce matin pour répéter à fond jusqu’à ta réunion de 16 heures »: la posture ici est apathique. Le manager se focalise tout de suite sur la solution opérationnelle, sans montrer qu’il a compris l’émotion qui traverse son collaborateur. L’hyper focalisation opérationnelle témoigne d’un manque d’empathie cognitive qui déstabilise le collaborateur et l’amène à se sentir négligé et incompris. Là encore, l’intention était bienveillante, mais le résultat maladroit : il va d’ailleurs déliter le lien de confiance du collaborateur envers son manager.
Ce n’est pas grave de faire partie des bienveillants maladroits : on l’est même tous un peu de temps en temps. Le secret pour en sortir c’est de reconnaitre la légitimité des émotions d’autrui. Et pour reconnaître il faut connaître au préalable, ce qui invite à écouter, ce qui suppose de se taire. Un soutien efficace c’est moins de conseils pour plus d’écoute, moins d’actions pour plus d’émotions.
L’évitant chaleureux
Qui n’a jamais entendu son manager dire : « ma porte est toujours ouverte, je suis là pour vous ». À première lecture, cette phrase paraît particulièrement chaleureuse et montre une proximité et un désir d’accompagner du manager. Là encore, l’intention est positive mais sa réalisation beaucoup moins. Premièrement, si la porte de ce manager est effectivement toujours ouverte, alors il va être dérangé régulièrement. Il va vivre un morcellement du travail nocif pour sa propre santé mentale et son efficacité (« La revue des conditions de travail », Anact, 2014).
Par conséquent, il va se sentir frustré de ce qui est lui est légitimement dû : la possibilité de se concentrer pour travailler correctement. Cette frustration va engendrer une forme d’agressivité (« Roots of Agression : The frustration-aggression hypothesis revisited », de Leonard Berkowitz, Atherton Press, 1969).
Le manager va donc se montrer plus agressif et incivil envers les collaborateurs qui viendraient solliciter l’aide qui leur a lui-même proposé de saisir à tout moment. Certes, la proposition est chaleureuse, mais elle va générer un évitement voire une agressivité envers les collaborateurs. Ce manager chaleureux deviendra toxique pour lui, pour les autres et pour les relations interpersonnelles. Vouloir soutenir efficacement suppose la comprehension du caractère bénéfique des comportements de santé proactif pour le manager (« Predictors and processes of satisfaction with work–family balance », de Julie H. Matthews, Russell Crawford, Wayne Casper et Wendy J. Wayne, Human Resource Management, 2019).
S’il développe activement des comportements permettant de préserver ses ressources, le manager sera dans un second temps plus en capacité à soutenir ses collaborateurs. Les comportements de soutien envers les autres ont donc vocation à devenir actifs plus que passifs : mieux vaut une porte fermée qui ne s’ouvre que lorsque l’on est prêt à accueillir les émotions, qu’une porte toujours ouverte qui finira par déliter les relations.
L’enthousiaste castrateur
La diffusion des concepts de bonheur au travail depuis une quinzaine d’années temps à valoriser l’expression des émotions positives dans le quotidien professionnel. Il est socialement valorisé et « corporate » de se dire heureux, joyeux, inspiré, enthousiaste. En contrepartie, des émotions négatives devraient être dissimulées pour ne pas être perçu comme un empêcheur de tourner en rond. On valorise ainsi le “surface acting”, c’est-à-dire une dissonance émotionnelle entre les émotions telles que nous les éprouvons et leur expression (« The Role of Surface Acting in the Relationship between Job Stressors, General Health and Need for Recovery Based on the Frequency of Interactions at Work », de Giulia Sciotto et Francesco Pace, Int J Environ Res Public Health, 2022).
Celui qui a peur, qui est en colère, agacé ou frustré, va dissimuler ses émotions pénibles et arborer un sourire de façade dont on sait qu’il est particulièrement nocif pour la santé. Les managers qui valorisent l’expression des émotions positives mais refusent l’expression des émotions négatives pour aller dans le sens des prescrits organisationnels sont certes conformes aux normes et exigences de l’organisation, mais créent un climat d’insécurité psychologique, propice au développement de la détresse psychologique (« Psychological safety, respect, and values: Foundations of a psychologically healthy workplace », de M. P. Leiter et H. K. S. Laschinger, Research Presentation in the Second World Congress on Positive Psychology Philadelphia, 2011).
Certes, il est agréable d’avoir un manager souriant et enthousiaste, mais seulement si l’expression de ces émotions est la conséquence d’un choix délibéré et non d’une imposition à être heureux en contradiction avec nos ressentis.
Le soutenant frustrant
Certains managers, comme le bienveillant maladroit, vont s’orienter instantanément sur des solutions en négligeant les émotions de leur collaborateur. Ils vont s’orienter vers l’usage d’un soutien instrumental, une des quatre formes du soutien social qui se définit par l’aide concrète apportée à quelqu’un. Le problème, même si l’intention est bienveillante, c’est que cette unique forme de soutien peut frustrer le besoin d’autonomie des collaborateurs. À force de proposer son aide directe ou de faire leur place, il empêche les collaborateurs de faire usage de leur connaissance et compétences et d’apprendre à se débrouiller seuls. Or, l’autonomie, comme le besoin de compétences font partie des besoins fondamentaux de l’être humain en situation de travail (« Intrinsic motivation and self-determination in human behavior », de Edward L. Deci et Richard M. Ryan, Plenum Press, 1996).
Il existe trois autres formes de soutien qui vont permettre de satisfaire les besoins fondamentaux :
- Le soutien informationnel qui permet aux managers de donner à autrui les informations ad hoc dont il a besoin pour résoudre un problème.
- Le soutien émotionnel qui vise la réassurance dans des moments de doute et permettra d’accueillir les émotions d’autrui.
- Le soutien d’estime qui rappelle à son collaborateur ses succès passés pour lui donner confiance en sa capacité à réussir ses défis futurs
Si l’enfer est pavé de bonnes intentions, vouloir faire le bien ne suffit pas à le créer. Un manager qui voudrait soutenir son équipe peut donc se montrer vigilant à développer son empathie, favoriser un soutien actif, diversifier les formes de soutien qu’il propose et à accueillir une large gamme d’états émotionnels.
Par Adrien Chignard
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