Par Daniel Baroin
L’engagement des collaborateurs est un enjeu majeur pour les entreprises, et l’alignement organisationnel un levier puissant en la matière.
Dans les enquêtes d’engagement déployées dans nombre d’entreprises, on retrouve globalement les mêmes batteries de questions censées identifier et mesurer les principaux leviers d’engagement des salariés (« La mesure de l’engagement des collaborateurs », de Serge Perrot, Observatoire de l’Engagement, 2016). Parmi les leviers considérés comme au cœur du modèle d’engagement, les thématiques relatives à la fierté d’appartenance, l’adhésion à la stratégie et à la vision de l’entreprise, la confiance dans le top management. Figurent également dans ce « cœur modèle », l’attention portée par le management aux personnes, l’équité de traitement et de reconnaissance, l’adhésion aux valeurs et à la culture de l’entreprise.
La dimension organisation / mode de fonctionnement est bien identifiée mais sous divers paramètres dissociés venant faciliter ou freiner l’engagement des collaborateurs. Parmi ces paramètres, la perception par les salariés de leur environnement de travail entendu au sens des conditions physiques, du rythme horaire mais aussi du contenu du travail. L’autre paramètre que l’on retrouve dans les enquêtes d’engagement porte sur l’efficacité organisationnelle et plus précisément sur la perception par les salariés de l’efficacité des processus, la clarté des rôles et des responsabilités ou encore la fluidité des processus de décision.
Finalement tout se passe comme si ces enquêtes venaient confirmer que l’organisation, n’était pas considérée comme un levier de premier rang au cœur du modèle d’engagement des collaborateurs et que la dynamique d’alignement première se situait plus au niveau de l’adhésion à la vision, aux choix stratégiques et dans la confiance à l’égard du management. Pourtant au-delà de ces résultats et représentations, certaines entreprises ont placé le réalignement organisationnel et les modes de management associés comme des vecteurs déterminants de l’engagement des collaborateurs
Une transformation d’importance du modèle organisationnel et managérial
L’expérience de Michelin est exemplaire de comment une remise à plat de l’organisation du travail, qui replace l’humain au centre, permet de réinventer un modèle d’engagement des collaborateurs source de performance.
Au début des années 2010, la direction de Michelin cherchait à relancer l’initiative et la créativité locale pour surmonter l’essoufflement du grand programme de normalisation industrielle déployé les années précédentes et tenter de renouer avec les valeurs entrepreneuriales du fondateur. En expérimentant au niveau des usines un nouveau modèle d’organisation du travail basé sur des équipes autonomes aux compétences et aux activités étendues, les effets sur la productivité et l’engagement se sont révélés remarquables. Fort de ses résultats, l’entreprise a même décidé d’étendre l’expérimentation au-delà du secteur de la fabrication.
Dans un toute autre contexte, un groupe comme l’Oréal, avec son programme simplicity, a initié un changement majeur dans la façon de travailler et les manières de manager avec un double objectif : gagner en agilité et répondre aux attentes des salariés, découragés par un leadership vertical et le primat de la réussite individuelle. Ce programme simplicity s’est focalisé sur les façons de se comporter, d’interagir et de diriger en s’appuyant sur quelques principes forts « la coopération plutôt que la confrontation, la délégation et l’engagement personnel plutôt que la remontée des décisions au niveau supérieur, le respect et la confiance plutôt que le contrôle, la focalisation sur le client plutôt que sur le produit… » (« Transformation managériale : une arlésienne, vraiment ? », de David Arnéra et Frank Demaille, Journal de l’école de Paris du management, 2023).
Pour accompagner ce changement systémique, l’entreprise a mis œuvre un effort conséquent en matière de formation à des outils et des standards communs pour les managers (plus de 12 000 personnes formées).
Au total des entreprises comme Michelin, l’Oréal, (et on pourrait en citer beaucoup d’autres parmi les PME et les ETI) sont emblématiques d’une nouvelle dynamique en matière d’engagement des collaborateurs que l’on pourrait caractériser comme suit :
- Un réalignement organisationnel, d’envergure, porté par le dirigeant qui vient bouleverser globalement les modèles existants
- Une ligne managériale formée, outillée, attentive aux équipes et impliquée dans ces nouveaux modes de fonctionnement
- Des collaborateurs plus engagés qui génèrent une amélioration de la performance et qui impulse une nouvelle culture managériale et sociale
L’alignement organisationnel au plus près des personnes et des équipes
La mise en œuvre de projets majeurs de transformation organisationnelle, impulsé par le top management, pour réengager les collaborateurs reste encore l’apanage de quelques sociétés. Dans la plupart des d’entreprises, l’ajustement organisationnel se réalise, à l’exception des phases de reconfiguration globale des structures, à un niveau plus micro, avec un rôle déterminant du manager de proximité.
Dans l’étude sur le management de proximité, Lionel Garreau décrit la tension existante pour les managers de terrain du fait de leur double rôle attendu entre un rôle opérationnel (faire tourner le business, pallier les problèmes opérationnels, assurer le reporting) et un rôle gestionnaire (anticiper les évolutions des emplois et des compétences, motiver, engager les équipes). Et encore, cette étude réalisée avant la pandémie, ne prenait pas en compte les nouvelles tensions liées à la gestion complexe du travail hybride, la pression sur les ressources qualifiées ou encore la montée de l’individualisme des collaborateurs (« Managers de proximité et dynamiques d’engagement: discours et réalité des pratiques », de Lionel Garreau, Observatoire de l’Engagement, 2019).
Aussi, le défi pour le manager de proximité est- il aujourd’hui immense. Pour engager les collaborateurs, il doit réaligner en permanence la recherche de performance, la qualité du contenu du travail, le partage des valeurs et la capacité à donner du sens.
Dans cette perspective, le travail sur l’organisation se révèle être un levier majeur. La capacité du manager de proximité à développer l’autonomie, la responsabilisation, la qualité des interactions, la clarification des rôles et des contributions attendues sera déterminante. En ce sens, le réalignement organisationnel se doit d’être continu pour maintenir un niveau d’engagement fort des collaborateurs.
Dans l’air du temps, l’alignement considéré comme noble, privilégié par les dirigeants et les leaders d’opinion, demeure celui qui uni la raison d’être de l’entreprise, la cohérence des choix stratégiques, la culture, le modèle de leadership et l’engagement des collaborateurs. Le réalignement organisationnel impulsé à un niveau global ou au plus près des personnes et des équipes constitue pourtant un puissant vecteur, très opérationnel, de performance et de réengagement des collaborateurs.
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