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Pourquoi avoir trop d’informations peut être un frein aux (bonnes) décisions

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Alors que le « big data », l’analyse prédictive et la « business intelligence » occupent une place de plus en plus grande dans le processus décisionnel des entreprises (à l’image de l’importance des algorithmes dans les métiers du trading ou lors de l’allocation de prêts bancaires, voir à ce sujet le livre « Predictive Analytics: The Power to Predict Who Will Click, Buy, Lie, or Die » d’Eric Siegel), la question de l’impact du volume des informations disponibles sur la qualité des décisions prises par les dirigeants se pose. Elle pourrait sembler incongrue, tant les capacités de traitement offertes par des machines qualifiées « d’apprenantes » semblent infinies. Se limiter à ce constat, ce serait oublier que de très nombreuses décisions au sein de l’entreprise (qu’elles soient routinières, stratégiques) sont encore confiées à des individus ou à des groupes d’individus confrontés à de nombreux défis, d’ordre sociologique et psychologique, venant troubler leur capacité à utiliser dans le cadre de leurs prises de décisions les informations obtenues (lire aussi l’article « Leaders : devenez des architectes décisionnels« ). Or nombre de ces défis sont encore à ce jour peu gérés de manière structurelle par les organisations. Cela limite d’autant l’intérêt de disposer d’un volume parfois considérable d’informations.

« Notre quotidien est alimenté par des milliers de décisions automatiques, réflexes, conditionnements, influences diverses, en particulier sociales. Le chiffre de 90% de décisions non conscientes circule généralement » (Sébastien Dathané, auteur de « Décider dans un monde complexe », Maxima, 2015)

D’un point de vue psychologique tout d’abord, le phénomène qualifié de « surcharge informationnelle » (« information overload », bien que le terme ait été popularisé au début des années 1970, il s’agit d’une préoccupation en réalité très ancienne comme cela est souligné dans cet article du Boston Globe ainsi que dans celui de HBR). Il désigne la capacité limitée d’un individu (ou d’un groupe d’individus) à analyser les informations qui lui parviennent. Le psychologue George A. Miller a établi, dès le début des années 1950, que notre « mémoire tampon ou « empan mnésique » ne pouvait traiter de manière simultanée à un instant T que « sept informations plus ou moins deux » (des recherches plus récentes ont estimé que ce chiffre était encore sans doute surestimé).

Quelles sont les principales conséquences de cette surcharge d’informations dans le processus de prise de décision ?

– Elle est tout d’abord génératrice « d’anxiété informationnelle » pour reprendre le terme consacré de l’Américain Richard Saul Wurman, auteur de « Information anxiety », qui désigne l’état psychologique négatif créé par l’écart entre ce que nous comprenons et ce que nous croyons devoir comprendre. D’autres diront de manière plus « classique » que le déluge d’informations auquel nous sommes confrontés est un « facteur de stress » (pour 40% des salariés, le seul vecteur d’informations que représente l’email est un facteur de stress). Or de nombreuses études ont démontré que le stress était rarement conciliable avec des décisions de bonne qualité (lire aussi l’article « Maîtrisez l’art de prendre des décisions« ).

– Des informations pertinentes, qui devraient être intégrées dans le processus décisionnel, ne sont tout simplement pas prises en compte car noyées dans le flot (le fameux « you did not read the memo ?»). Si vous en doutez, sachez que près de 20 à 30% des emails ne sont jamais lus.

– Un excès d’information peut même rendre les individus moins intelligents – on en déduira que les décisions prises seront de moins bonne qualité. Ainsi, une étude commandée par Hewlett-Packard a conclu que les salariés qualifiés perdaient, en moyenne, 10 points de coefficient intellectuel du fait du « déficit attentionnel » créé par les emails et les coup de téléphone reçus au bureau.

En second lieu, de nombreux biais cognitifs viennent affecter la valeur ajoutée d’informations complémentaires. Il en va ainsi, par exemple, des effets qualifiés de « primauté » (mis en évidence au milieu des années 1940 par le psychologue américain Solomon Asch) et de « récence »qui font que l’on accorde une importance disproportionnée aux premières et dernières informations reçues, par rapport à l’ensemble du flux qui nous est communiqué. L’attention étant de plus happée de manière préférentielle par les émotions négatives, l’écrivain et scénariste français Henry Jeanson ironisait « La première impression est toujours la meilleure, surtout quand elle est mauvaise »

Le biais de confirmation pertube aussi fréquemment la prise de décisionsIl s’agit de la capacité inconsciente à sélectionner les informations qui étayent nos croyances, plutôt que celles qui les infirment. Selon le psychologue Raymond Nickerson, « si quelqu’un tentait d’identifier un seul aspect de la problématique du raisonnement humain méritant de l’attention sur tous les autres, le biais de confirmation serait, de tous les candidats possibles, le plus à prendre en considération […]. Il semble être suffisamment fort et persuasif pour qu’on puisse se demander si ce biais, en soi, ne pourrait pas compter dans une part importante des disputes, altercations et mésententes survenant entre les individus, les groupes et les nations ».

Au-delà de cette dimension psychologique, l’usage de l’information dans le cadre du processus décisionnel est par ailleurs très largement influencé par des considérations d’ordre sociologique.

Comme le biais de « l’information partagée » : un groupe a tendance à partager des informations qui sont déjà connues par la majorité du groupe, plutôt que des informations que seule une minorité (voire un seul individu) connaît. Selon plusieurs études, seules 18 % des informations « non partagées » (c’est-à-dire connues d’une seule personne) sont évoquées lors de réunions de groupes alors que ce taux est de 46 % pour les informations « partagées » (Blind spots, biases, and other pathologies in the Boardroom, de Kenneth A. Merchant et Katharina Pick, Business Expert Press, 2012).

Ou encore la « pensée de groupe » qui peut avoir un réel impact négatif sur le processus décisionnel. L’expression, popularisée par le chercheur en psychologie de l’université Yale Irving Janis, désigne « le fait qu’à l’intérieur du groupe se développent des mécanismes qui incitent les individus à rapprocher leurs points de vue les uns des autres, à développer une cohésion qui leur fait prendre des positions irrationnelles ». Ce phénomène est d’autant plus probable que le groupe est isolé, dirigé par un leader fort, que ses membres se connaissent depuis longtemps et disposent d’un niveau d’éducation élevé, et que les méthodes de travail du groupe sont peu structurées.

Big n’est pas beautiful

Si ces facteurs psychologiques et sociologiques ont un impact significatif sur notre capacité de traitement d’informations nouvelles, d’autres facteurs sont également à prendre en considération, comme :

– Le poids le plus en plus important accordé aux informations prévisionnelles, au détriment des données réelles (voir l’étude de Tetlock sur le pouvoir « très relatif » de prédiction des « experts »)

– Les motivations de celui qui transmet l’information ; ces motivations, ainsi que le « biais de surestime de soi », sont à l’origine de nombreux échecs de grands projets d’entreprise

– La qualité de l’information est souvent médiocre : selon une étude conduite auprès de directeurs financiers, 40% d’entre eux n’étaient pas satisfaits de la qualité des informations qu’ils recevaient.

Ainsi, le « big » ne serait pas toujours plus « beautiful » en matière d’informations. Avant d’inonder leurs collaborateurs de rapports, analyses et autres « dashboards » avec l’intention louable d’améliorer la prise de décision, les entreprises devraient donc y réfléchir à deux fois si elles ne veulent pas anéantir les efforts fournis.

 

Par Frédéric Cordel

 

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2 Commentaires

  1. Marisa
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