Transformation digitale

La transformation comme opportunité : Trois impératifs pour innover face aux situations complexes

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Comment faire de situations complexes de belles opportunités d’innovation ?

L’évolution du monde appelle à des transformations importantes, mais celles-ci sont difficiles parce qu’elles portent sur des problèmes complexes. C’est vrai pour la société, où l’on voit la difficulté à réformer les retraites, l’enseignement ou la santé, comme pour l’entreprise, où il est fréquent que les plans de transformation donnent des résultats décevants.

Un cas emblématique que nous avons pu observer dans de nombreuses entreprises est celui du télétravail. Souvenons-nous des espoirs de “monde d’après” au moment du premier confinement, où le travail allait être réinventé. Las, dès la crise passée, l’ambition s’est réduite à une négociation sur le nombre des jours de télétravail autorisés, sans que le travail lui-même ne change vraiment. Le monde d’après ressemble beaucoup au monde d’avant.

Une des raisons de cette difficulté tient à l’approche dite “paramétrique” de ces problèmes. Celle-ci consiste à les traiter de façon isolée et à en modifier quelques paramètres pour les faire évoluer, toutes choses étant égales par ailleurs. C’est ainsi que la réinvention du travail a été ramenée à une simple négociation sur le nombre de jours de télétravail autorisés.

Les limites d’une approche paramétrique

L’approche paramétrique est un produit de la pensée analytique qui consiste à découper un problème en sous-problèmes plus simples. Elle semble logique mais elle n’est pas efficace pour trois raisons. D’une part, elle consiste à appliquer une solution simple à un problème complexe, ce qui rend peu probable la convergence des intérêts des parties concernées et multiplie les effets pervers. D’autre part, elle isole le problème de son contexte. Elle ignore ainsi de nombreuses dimensions car aucun problème social n’est clairement délimité. La retraite, par exemple, est inséparable de la question plus générale du travail. Enfin, l’approche paramétrique est souvent un jeu à somme nulle. Ce que l’un gagne, l’autre le perd. Elle n’est pas innovante et revient en quelque sorte à modifier la répartition des parts d’un gâteau, au lieu d’essayer de le faire grossir. Non seulement on résout mal le problème, mais on se prive d’une solution créative.

Trois impératifs pour transformer

Notre travail de recherche sur l’innovation et la transformation des organisations suggère au contraire, sans doute de manière contre-intuitive, qu’on agit plus facilement sur un problème complexe en résistant à la tentation de le découper en sous-problèmes. Pour cela, il y a trois impératifs à respecter.

1- Le premier est d’examiner systématiquement les liens du problème avec des sujets connexes. Ainsi le télétravail est évidemment lié au travail et, au-delà, à la façon dont le collectif crée de la valeur, notamment son organisation et ses méthodes. Il est également lié à la question de la confiance : confiance qu’a le manager qu’un télétravailleur sera aussi productif que s’il était au bureau, et confiance du télétravailleur qu’il ne sera pas pénalisé en étant à distance. Il est lié également à la question du bureau, qui doit être repensé à l’heure où il n’est plus le seul endroit où s’effectue le travail, et à celle du management : comment gérer une équipe dont les membres ne sont pas tous présents en permanence ? Il est également relié à l’attractivité de l’entreprise, notamment auprès des jeunes. Et ainsi de suite. On constitue ainsi un “nuage” de sujets qui sont autant de pistes d’innovation. Le gâteau devient plus gros.

2- Le deuxième impératif est de rechercher des objectifs communs aux différentes parties prenantes. Une fois que des sujets sont liés, on peut travailler sur un lien particulier et identifier des objectifs partagés par les différentes parties prenantes concernées. Par exemple, si on associe télétravail avec la qualité de vie au travail et la marque employeur, on peut faire émerger un souhait commun à la direction, aux collaborateurs et à la fonction RH qui facilitera le développement du télétravail.

Recruter des jeunes est difficile, c’est normalement l’affaire des RH, pas des salariés. Pourtant, à y regarder de plus près, il y a des objectifs qui peuvent les unir. Par exemple, des salariés heureux et engagés et qui le font savoir peuvent améliorer la marque employeur auprès des jeunes, ce qui facilite la tâche des RH.

Beaucoup d’autres sujets hors du champ strict du télétravail peuvent aussi être associés, comme le partage d’une même culture d’entreprise ou encore celui de la confiance réciproque entre l’employé et son manager. L’opportunité naît de l’élargissement aux sujets liés, permettant de regarder ainsi la question sous un autre angle que “la présence physique au bureau”. Chacun peut faire grossir le gâteau.

3- Le troisième impératif consiste à ne pas rechercher la solution idéale mais à créer des incitations pour que le système évolue de lui-même. Un problème complexe n’est en effet pas résoluble par un changement mécanique, car cela produit des effets pervers. Il change lorsque les acteurs ont intérêt à ce changement. Ce sont des actions qui permettront de progresser vers des objectifs désormais reliés et non plus antagonistes. En travaillant sur un lien donné, de nouveaux moyens peuvent être vus et donc mobilisés. Par exemple, le télétravail libère du temps de transport, qui peut être une ressource pour des projets innovants. Les gâteaux se multiplient.

Tirer parti de la nature des problèmes complexes

Ces trois impératifs s’appuient sur une propriété des systèmes complexes qui porte un nom un peu barbare, celui de la quasi-décomposabilité. De quoi s’agit-il ? Nous avons l’habitude de considérer que deux sujets sont soit dépendants l’un de l’autre (le travail et le salaire, par exemple), soit indépendants (le salaire et les goûts artistiques). La quasi-décomposabilité envisage une possibilité intermédiaire : deux sujets ni totalement dépendants, ni totalement indépendants. Le terme “quasi” exprime l’idée qu’un problème peut être décomposé en sous-problèmes, mais jamais totalement du fait que tout reste lié. Il est donc intéressant de se concentrer sur les sujets qui sont fortement liés. Dans notre cas, par exemple, le télétravail et la confiance. Qu’en est-il du télétravail et de la guerre en Ukraine ? Les sanctions réduisent l’accès à une énergie peu chère venue de Russie, qui influence le coût du transport, qui augmente l’intérêt pour le télétravail. Il y a donc un lien entre le télétravail et la guerre, mais il est faible et il n’y a pas intérêt à essayer de l’exploiter en priorité. L’idée est donc que si tous les sujets sont liés, certains le sont plus fortement que d’autres et c’est sur eux qu’on peut se concentrer. On identifie ainsi des moyens qui n’étaient pas visibles quand les sujets étaient séparés.

Identifier des sujets fortement liés est une source de créativité considérable. C’est en liant des sujets, et non en les isolant, que l’on se donne une chance d’agir sur un système pour le transformer. Au lieu de résoudre – difficilement et mal – un problème, on crée des opportunités et on invente de nouvelles solutions.

Contrairement à une idée largement répandue, réformer un système complexe est possible. L’histoire économique, sociale et industrielle le montre. Mais cela suppose pour le décideur d’abandonner sa posture « jupitérienne » qui veut qu’un problème complexe puisse être transformé en une solution simple, pour peu que la volonté et la vision soient là. Embrasser la complexité, en faire jouer les ressorts profonds pour redonner une dynamique à ce qui est bloqué et inventer des solutions nouvelles, voilà un beau programme dont les entreprises et la société ont profondément besoin.

 

admin
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