Certains projets innovants deviendront des entreprises viables, mais la plupart n’aboutiront à rien. Voici comment éviter de faire partie de ceux-là.
Pour beaucoup, générer de nouvelles idées est la première étape pour innover d’un point de vue business. En réalité, ce n’est pas la recherche d’idées innovantes, mais la raison pour laquelle vous recherchez des idées innovantes, qui compte vraiment. Il s’agit de résoudre des problèmes qui auront le potentiel de changer des croyances, des destins, des façons de voir le monde… Le genre de problèmes qui, bien souvent, sont perçus par les uns comme étant impossibles à résoudre – parce qu’ils ont toujours été là, parce qu’on a toujours fait comme cela – jusqu’à ce que quelqu’un décide de faire autrement. La première étape pour innover est de décider de s’attaquer à ce genre de problème. Les projets dits innovants, même d’un point de vue business, échouent lorsqu’ils ne résolvent pas l’un de ce type de problèmes. C’est pourquoi la première étape de toute démarche d’innovation tient non pas à la collecte d’idées, aussi innovantes soient elles, mais à la cause qui motive avec force et constance, la nécessité de rechercher de nouvelles idées.
Ce n’est pas l’idée qui fait l’idée mais l’équipe
Les raisonnements linéaires ou logiques, de cause à effet, généralement parmi ceux que nous préférons adopter parce qu’ils nous apportent des réponses claires et nous confortent dans la définition d’une forme d’exactitude, ne sont pas adaptés à une démarche d’innovation. Le processus d’innovation requiert de s’engager dans un raisonnement circulaire, qui sort de la logique confortable du raisonnement linéaire, et qui sort du cadre de référence « cause-effet ». Dans cette démarche d’innovation, vous devrez :
– définir une stratégie tout en étant capable de naviguer sans stratégie le temps de la définir.
– fixer des objectifs puis les ressources nécessaires pour les atteindre, tout en étant capable d’identifier les ressources disponibles pour définir des objectifs atteignables.
– savoir comment prendre des décisions basées sur le retour sur investissement tout en prenant ces décisions sur la base du retour sur perte de votre investissement.
– convaincre d’autres personnes avec des prévisions fondées sur des références et des données existantes, pour démontrer le probable, à trois ou à cinq ans, alors que vous êtes vous-même celui qui peut rendre ce futur probable ou non.
– savoir comment étudier le marché, alors qu’il n’existera pas avant que vous ayez créer ce que vous avez prévu.
En résumé, comme pour l’exemple de la poule et l’œuf, le processus d’innovation implique de s’exposer à des paradoxes. Vous devrez accepter de ne pas savoir, de ne pas comprendre, de ne pas connaître, l’inconfort comme l’incertitude. Certaines personnes ont peur que leur idée innovante puisse être volée. Or, aucune idée ne peut voir le jour toute seule. Pour qu’elle puisse aboutir, il faut une équipe qui œuvre à transformer cette idée en réalité.
Un élément indispensable, l’environnement d’expérimentation
La plupart des projets innovants n’ont pas besoin de beaucoup d’argent pour démarrer. Cependant, il existe une ressource déterminante sans laquelle il est compliqué d’innover : un environnement d’expérimentation. Si vous vous souvenez avoir déjà été dans un environnement où vous vous sentiez en sécurité pour faire face à des problèmes difficiles, ou des défis nécessitant de dépasser la perception de vos propres limites, et si cela n’a pas été anxiogène, alors vous avez expérimenté ce qu’est un environnement d’expérimentation. L’objectif est de faire de la place à ce qui semble incontrôlable, incohérent, imprécis, imprévisible, défiant le besoin de contrôle, de cohérence, d’exactitude qui conduit continuellement à croire que tout ce que nous pensons impossible l’est vraiment.
L’innovation business commence sans modèle économique éprouvé, sans plan rôdé, sans certitude de génération de revenus, et parfois même sans marché. L’un des plus grands challenges est de les créer. Il y a de fortes chances qu’aucun des plans prévus ne vous guide jusque-là, mais un environnement d’expérimentation vous y aidera.
L’innovation est synonyme d’inconfort
Les organisations les plus conformistes sont de facto celles où le potentiel d’innovation est le plus contraint. Toutes les entreprises veulent être innovantes, mais toutes sont naturellement plus ou moins enclines à se conformer à une culture établie, protégée comme une forteresse. Y inclure une différence dans la façon d’être, de penser, d’expérimenter est en ce sens évité, car perçu comme un cheval de Troie. Pourtant, toute personne qui se distingue par le fait d’entrer en conformité quasi-parfaite avec une culture établie, annule toute capacité réelle ou supposée à apporter quelque chose de nouveau, et donc à pouvoir l’enrichir, en créant de nouveaux schémas de pensée. Plus vous optez pour la diversité, plus vous saisissez l’opportunité de pensées diverses, qui aident à repousser les limites du plafond d’innovations inaccessibles.
Inclure toutes formes de diversité crée de nouvelles façons de voir un même problème, des angles de lecture complémentaires, et différents de ceux déjà tracés, dans lesquels se sont constitués des habitudes. C’est une zone d’inconfort. Chercher à travailler avec des gens qui nous ressemblent, agissent comme nous, pensent comme nous, ont vécu les mêmes expériences que les nôtres, encore et encore, tout en s’attendant à des résultats différents, est voué à l’échec. Plus vous vous connectez avec des personnes ayant des pensées, des expériences, des antécédents différents, plus vous augmentez la probabilité de faire des choses que d’autres ne penseraient même jamais tenter : de nouveaux modèles économiques, de nouvelles propositions de valeur, de nouveaux développements de produits, etc.
Innover, c’est prendre le risque d’engager et de construire des liens avec des personnes éloignées de là où l’on est. La diversité des idées, des voix, des points de vue et des croyances est un ingrédient essentiel à la créativité.
Pas la perfection, mais la vitesse
En technologie comme dans le business, la clé du succès réside dans le processus de recherche. Pendant ce processus (illustré dans le schéma ci-dessous), vous devrez trouver des preuves :
– Des preuves que l’idée est faisable (preuve de concept),
– Des preuves que ce qui est faisable peut avoir de la valeur pour un nombre important de personnes (preuve de valeur),
– Des preuves que ce qui peut avoir de la valeur pour un nombre important de personnes est utilisable (preuve d’usage via un prototype),
– Des preuves que ce qui est utilisable peut être viable économiquement (preuve de viabilité via un « minimum viable product »),
– Des preuves que ce qui peut être économiquement viable, peut trouver son marché (preuve de marché),
– Des preuves que ce qui peut trouver son marché, peut ensuite être déployé dans une perspective d’expansion (preuve de montée à l’échelle),
– Des preuves que ce qui peut être déployé à l’échelle peut enfin être optimisé pour s’installer sur le marché durablement, idéalement, dans une position de leadership (preuve d’optimisation).
De la recherche de preuves de concepts à la recherche de preuves de quelque chose d’économiquement viable, il s’agit d’accepter l’échec, et de faire de l’expérimentation la norme. Plus vous faites d’expériences, en vue de cumuler le maximum de ces preuves, plus vous avez de chances de trouver la bonne formule pour réussir. Ce n’est pas la perfection du résultat de l’expérimentation mais la vitesse à laquelle vous êtes capable de produire ces résultats d’expérimentations qui compte.
Une recherche a montré que certains embryons de dinosaures avaient mis deux fois plus de temps que les œufs d’oiseaux de taille similaire à éclore. Cette longue période d’attente a probablement contribué à l’extinction des dinosaures non aviaires, il y a environ 65 millions d’années, lorsqu’un astéroïde de 10 kilomètres de long a percuté la Terre.
Par analogie, cela illustre l’importance vitale de la rapidité lorsqu’il s’agit de la période d’incubation nécessaire avant de faire éclore une innovation sur le marché. Prendre le temps de la perfection est un formidable avantage concurrentiel dans un ordre établi qui ne bouge pas, mais qui devient un poison dans un monde imprévisible où l’adaptation et la rapidité sont des conditions de vie ou de mort à l’innovation. Soyez « l’oiseau », pas le « dinosaure ».
Echouer rapidement n’a de sens que pour apprendre le plus possible, le plus vite possible. Penser que la peur de l’échec empêche d’innover est un raccourci. Tout le monde a peur d’échouer et tout le monde vise à réussir. Plus que la peur de l’échec, c’est le désir de perfection par rapport à une forme de conformité, de normalité, qui paralyse la volonté d’innover. Ce faisant, vous favorisez involontairement l’interdiction d’apprendre de nouvelles choses, ce qui est le fondement même de l’innovation. Le niveau de connaissance qui garantit un certain succès dans l’innovation n’est ni balisé, ni standardisé – il ne s’apprend qu’à travers le test et l’échec.
Fondamentalement, les entreprises existantes sont conçues pour générer de la croissance et de la rentabilité dans des secteurs d’activité existants. Par conséquent, la gestion du « business as usual » se concentre principalement sur les opérations courantes, en mettant l’accent sur le développement de compétences pour résoudre les problèmes principalement liés à la performance opérationnelle actuelle – mais pas pour commencer à explorer de nouveaux domaines, de nouveaux leviers d’avantages concurrentiels potentiels, ce qui implique d’avancer avec un degré d’incertitude élevé.
Il existe un conflit entre les décisions qui contribuent à faire avancer le modèle économique d’aujourd’hui et celles qui favoriseront l’invention du modèle économique de demain. De ce fait, il existe souvent un déséquilibre important entre les investissements d’innovation consacrés à l’entretien du modèle économique existant, pour sécuriser sa durabilité, par rapport à ceux visant à prendre les paris nécessaires pour créer ceux qui prendront son relai. Ce n’est donc pas parce que vous en faites plus pour innover dans la manière d’exploiter au maximum le modèle économique actuel que vous en faites plus pour innover en vue d’une perspective long terme. Cela signifie au mieux mettre tous ses œufs dans le même panier, en pensant que les modèles économiques existants pourront durer éternellement.
Pas d’innovation sans progrès, pas de progrès sans transgression
Combien de projets d’innovation réinventent totalement les activités existantes, tout en coupant littéralement la branche sur laquelle reposent la rentabilité et la croissance actuelles ? Combien de projets d’innovation ont le potentiel d’ajouter un nouveau moteur de croissance et de rentabilité particulièrement prometteur à la gamme d’activités existantes ? Pour cela, il faut rompre avec la logique de la permission. Toute innovation est une désobéissance à une règle, une norme, une habitude, un processus, une façon de faire, une pensée établie, un système de croyances que l’organisation porte. Si ce n’était pas le cas, il ne s’agirait pas d’une innovation.
Lors d’une démarche d’innovation, il va falloir lutter contre le syndrome du « reste à ta place », qui assigne à résidence les uns et les autres, en les astreignant à rester dans leur silo, en appauvrissant les ressorts de la collaboration et de l’échange de points de vue différents, pourtant nécessaire pour créer de nouvelles choses. Il n’y a pas d’innovation sans progrès, pas de progrès sans transgression, pas de transgression sans désobéissance, pas de désobéissance sans questionnement, pas de questionnement sans risque. Préparez-vous à avoir des adversaires. L’innovation ne se produit pas à partir de ce qui est convenu par consensus. Comme le disait Winston Churchill : « Vous avez des ennemis ? Bien. Cela signifie que vous avez défendu quelque chose, à un moment donné de votre vie ».
Etre le meilleur n’est plus suffisant
Vouloir être le meilleur suppose avoir un point de comparaison. Or, ces points de comparaison peuvent maintenir la pensée enchaînée à une façon de faire, de voir le monde, de se conformer. Cela peut être une contrainte à penser à l’intérieur d’un ordre établi, et à considérer les règles de la compétition existante pour acquises. Enfin, être le meilleur, est une situation temporaire. A l’ère du numérique, c’est un avantage fragile. C’est pourquoi être le meilleur n’est plus suffisant : être différent est ce qu’il y a de mieux.
L’innovation doit permettre de créer et de renforcer une différence de valeur qui n’est accessible que par vous. Il s’agit de réfléchir à la création de valeur qu’il est possible d’apporter non seulement à ses clients, mais aussi aux clients de ses clients, aux parties prenantes de ses clients, aux partenaires de ses clients, à leur écosystème, etc. Il s’agit aussi de remettre en question la segmentation des marchés existants, telle qu’elle s’est normalisée ; de se concentrer sur ce que les marchés existants tiennent pour acquis et sur ce qui pourrait être modifié, évoluer, voire être éliminé pour créer une proposition de valeur inédite.
En d’autres termes, si ce que vous faites est largement perçu comme possible, alors inquiétez-vous – il y a très peu de chances que vous poursuiviez quelque chose d’innovant. Si ce que vous faites est largement perçu comme impossible, et que peu sont d’accord avec vous, alors vous avez là peut-être des raisons d’y croire. Car il y a des chances que vous teniez quelque chose qui fasse réellement la différence.
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