Expert en cybersécurité, Ouanilo Medegan, 36 ans, est à l’origine du premier campus africain d’Epitech à Cotonou et inspire déjà toute une génération de hackers. Bourreau de travail, il nourrit d’ambitieux projets numériques pour faire rayonner le pays du vaudou sur la toile et en dehors des frontières du Bénin.
Enfant surdoué, Ouanilo grandit dans une famille d’intellectuels de quatre enfants. Il est le fils d’une mère épidémiologiste et d’un père chercheur en biochimie qui inventa le VK500, un traitement contre la drépanocytose breveté en 2005 à l’Institut national de la propriété intellectuelle (INPI), en France. « En 1995, mes parents étaient parmi les 1ers à posséder un ordinateur au Bénin. Je l’utilisais pour m’amuser jusqu’au jour où mon grand-frère qui s’informait sur le piratage a oublié de fermer sa fenêtre de recherche. C’est comme ça que je suis devenu hacker ! ».
À 13 ans, il crée un site Internet appelé le Bénin Underground Institution pour vulgariser l’informatique. « Lorsque grand-mère me voyait penché sur l’ordinateur en pleine nuit, elle était convaincue que je travaillais et le rapportait à mes parents à leur retour de voyage. En réalité, je passais mon temps à cracker des systèmes », dit-il en riant.
Ouanilo n’en est pas moins un esprit brillant. Il obtient son baccalauréat à 15 ans et pars suivre un DEUG MIAS (mathématique et informatique appliquée aux sciences) à l’Université d’Orléans. « J’avais choisi cette filière, car il y avait de l’informatique. Au bout du compte, j’ai dû suivre quatre heures d’informatique hebdomadaires, dont la moitié sur papier. J’étais déçu, d’autant que je détestais les maths ! », explique-t-il rétrospectivement.
À son arrivée en France, Ouanilo est en décalage. « Je dormais dans un foyer de jeunes travailleurs où je passais l’essentiel de mon temps derrière mon ordinateur. Les conditions n’étaient pas mauvaises, mais je n’avais pas les codes. Je portais des joggings avec une banane en bandoulière, car la seule image que j’avais des Noirs en Europe était celle des jeunes de cités que je voyais à la télévision française (…) J’avais du mal à me motiver pour les cours, mais j’ai quand même réussi à obtenir mon diplôme », avoue-t-il. Dès la deuxième année, il découvre l’école d’informatique Epitech qui changera son parcours…
Epitech : la formation qui change une vie
À 17 ans, le DEUG en poche, il « monte à Paris » pour intégrer Epitech, créée quelques années plus tôt. La formation est technique, il est dans son élément. En une année scolaire, il rattrape le programme des trois premières années. « J’enchaînais jusqu’à 110 heures de travail par semaine et il m’arrivait de rester dormir sur les tables des salles de cours. À ce moment-là, j’habitais, chez ma sœur et mon frère aînés qui partageaient un appartement à Sevran-Beaudottes, assez loin de Paris », explique-t-il.
L’année suivante, il se voit confier des cours en sécurité informatique et devient coach-assistant au sein d’Epitech. En 5e année, après un stage chez 9 Télécom, il est embauché pour travailler sur la rétro-ingénierie et développe un laboratoire de R&D sur les technologies propriétaires. À l’âge de 20 ans, il réalise « l’un de ses plus beaux coups », en réécrivant le protocole hypersécurisé de Skype. Deux ans plus tard, il rejoint une société qui édite des solutions d’antivirus et d’antispams (Cloudmark).
En 2010, Ouanilo reçoit un appel de ses anciens directeurs pédagogiques de l’école Epitech en pleine expansion régionale. Pendant deux ans, il fait le tour de France pour renforcer la pédagogie des différents campus, avant d’intégrer l’équipe dirigeante à Paris. Peu après, la moitié du corps pédagogique se lance dans une nouvelle aventure et crée l’école 42, sous l’impulsion de Nicolas Sadirac qui est aussi l’un des co-fondateurs d’Epitech. Malgré les sollicitations, Ouanilo reste fidèle à Epitech et devient à 26 ans, son directeur pédagogique. Toujours un peu « décalé », le jeune homme a troqué ses vêtements de hip-hop contre des tresses africaines.
Sa réputation dépasse désormais les frontières de l’Hexagone. Il se voit proposer un poste chez Qualcomm dans la Silicon Valley californienne, mais choisit de rester à Paris auprès de sa future épouse, avec l’ambition de créer Epitech au Bénin. En 2015, parallèlement à ses fonctions au sein de l’école, il se lance dans le conseil. Le candidat Patrice Talon qui est alors en pleine campagne pour l’élection présidentielle au Bénin entend parler du jeune homme…
Retour au Bénin pour structurer la cybersécurité
En avril 2016, Patrice Talon devient président de la République et inscrit l’économie numérique au cœur de ses priorités. Il ambitionne notamment de créer Sémé City, une Silicon Valley nationale. Entre Epitech dont il a pris la coordination et ses missions de conseil informatique, Ouanilo Medegan multiplie les déplacements au Bénin, dès qu’il en a l’occasion. Quelques mois plus tard, il est appelé par la présidence, pour rentrer au pays afin de participer à la structuration de l’écosystème numérique national.
Début 2018, une hausse d’attaques cyber pousse les autorités béninoises à réagir. En avril, la loi n° 2017-2020 sur le Code numérique est promulguée. Simultanément, les descentes de police dans les cybercafés s’enchaînent. En deux mois, près de 500 « brouteurs » (cybercriminels) sont arrêtés, suite à une vague d’enlèvements d’enfants. L’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (ANSSI) voit le jour. Il en prend la direction et lance un concours révélant les meilleurs technologues béninois qui sont immédiatement intégrés à l’agence. En trois ans, le Bénin passe de la 149e à la 56e place mondiale dans l’Indice global de la cybersécurité (GCI), publié par l’Union internationale des Télécommunications.
Parallèlement, Ouanilo Medegan n’a pas abandonné son projet d’implanter Epitech au Bénin. En 2019, l’école ouvre ses portes à une première cohorte composée d’une vingtaine d’étudiants triés sur le volet. Quatre ans plus tard, la franchise compte 435 inscrits. En 2024, un nouveau campus verra le jour en Côte d’Ivoire. « Nous souhaitons développer ce modèle en Afrique centrale et à l’est du continent », confie-t-il.
Une légende qui s’écrit dans les faubourgs de Cotonou
Aujourd’hui, Ouanilo Medegan Fagla, costume cintré et allure impeccable, ne se cherche plus. Marié et père de trois enfants, il est devenu un véritable rôle-modèle pour toute une génération de hackers (éthiques) africains.
Suivant l’adage « un esprit sain dans un corps sain », il pratique le Mixed Martial Arts (MMA), tout comme son père, et forme les champions du Bénin, dans son club, le Hevioxo MMA (du nom du Dieu du tonnerre béninois), situé dans le très chic quartier de la Haie Vive à Cotonou. Depuis sept ans, il organise le Benin Fighting Championship (BFC).
Pas question de quitter le Bénin pour le moment pour Ouanilo qui veut continuer à travailler sur « des sujets de cybersécurité, de gouvernance et de confiance numériques ». Il entend accompagner le renforcement des compétences nationales, estimant qu’il est essentiel pour l’Afrique de se doter de ses propres experts numériques.
« Le Bénin dispose de talents qui pourraient rapidement s’imposer dans l’outsourcing », explique le jeune homme, devenu en 2022, le Responsable national cybersécurité de l’Agence des systèmes d’information et du numérique (ASIN). Lorsqu’il se retourne sur son parcours, Ouanilo estime qu’il a eu « beaucoup de chance », sans évoquer le déracinement précoce, ni les nuits sans sommeil qui ont permis cette rapide ascension professionnelle.
En tant que lauréat de la promotion 2023 des Young Leaders de la French African Foundation, il continuera à encourager la jeunesse béninoise pour initier de nouvelles dynamiques 2.0 sur le continent. « J’apporterai ma contribution à la French African Foundation pour créer de nouveaux ponts entre la France et le Bénin, mais aussi avec le reste du continent », ajoute-t-il, des projets plein la tête.
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