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ODD 2030 en Afrique : « Il n’existe pas de recette miracle, surtout dans le contexte mondial actuel »

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Atteindre des objectifs de développement durable (ODD) en 2030 sur le continent nécessitera d’accélérer les actions à tous les niveaux, y compris la mobilisation des financements et l’investissement durable dans les secteurs stratégiques. C’est ce qui ressort du dernier rapport de l’OCDE sur les dynamiques du développement en Afrique. Pour La Tribune Afrique, Arthur Minsat, Chef de l’Unité Afrique, Europe et Moyen-Orient au Centre de développement de cette organisation onusienne en décrypte les contours.

LA TRIBUNE AFRIQUE – À sept ans de l’échéance des ODD, le développement durable de l’Afrique en 2030 est-il compromis à votre avis ?

ARTHUR MINSAT – Notre rôle au Centre de Développement de l’OCDE est d’apporter un diagnostic stratégique pour mieux répondre aux enjeux économiques qui touchent l’Afrique aujourd’hui. Concrètement, il s’agit d’appuyer les politiques publiques africaines et internationales – en étroit partenariat avec la Commission de l’Union Africaine et les pays membres du Centre de Développement de l’OCDE-en particulier 11 pays du continent africain- l’Union européenne et de nombreuses institutions et experts africains.

Notre nouveau rapport « Dynamiques du Développement en Afrique 2023 : Investir dans le développement durable », répond à la question de comment mieux mobiliser les investissements pour le développement durable. Nous estimons qu’il faudrait environ 1 600 milliards USD d’investissements jusqu’en 2030. On peut retracer ce déficit d’investissement durable, c’est-à-dire l’écart entre les ressources financières nécessaires pour atteindre les ODD et les ressources disponibles, à 194 milliards de dollars par an en moyenne sur la période 2015-2021. Ce déficit annuel équivaut à 7% du PIB de l’Afrique.

Ce déficit pourrait être comblé avec les moyens financiers existants en Afrique et dans le monde. Ce défaut d’investissement représente moins de 0,2 % du stock mondial et 10,5 % du stock d’actifs sous gestion détenus par l’Afrique.

Justement, le rapport relève le « paradoxe » d’un continent riche en opportunités en termes de développement durable, mais qui peine à capter les investissements directs étrangers (IDE) dans les nouveaux projets. Les récentes crises ne sont-elles pas les seules explications à cette situation ?

Les crises récentes ont entraîné un recul important des investissements vers les économies en développement. Le continent africain a été le plus touché par ces chocs mondiaux dans le sillage de la pandémie de COVID-19, des conflits et du changement climatique. Depuis la crise du COVID, les investissements directs étrangers en faveur de nouveaux projets ont bénéficié aux pays à revenu élevé, au détriment des économies en développement (considérées plus vulnérables aux chocs économiques). Sur 2020-2021, 61% des dépenses d’investissement sont allées aux pays à revenus élevés contre seulement 6% pour l’Afrique – soit la part la plus faible depuis 2004.

De même, l’augmentation du coût du capital a davantage affecté le continent africain par rapport aux autres régions du monde, réduisant leur capacité d’emprunt souverain et freinant l’investissement dans les secteurs durables. L’écart de rendement d’une euro-obligation africaine moyenne (une mesure du coût de l’emprunt souverain) a atteint son niveau le plus élevé en 2022, augmentant d’environ 10 points de pourcentage en septembre dernier pour les 20 pays africains les plus touchés. À titre de comparaison, cette augmentation a éclipsé les pics précédents de la crise financière de 2008 et de la pandémie COVID-19 en 2020.

Les secteurs de la durabilité sont particulièrement touchés : l’Agence Internationale pour l’Energie estime qu’en 2021, le coût moyen du capital pour les projets énergétiques en Afrique était environ sept fois plus élevé qu’en Europe et en Amérique du Nord.

Restaurer la confiance des investisseurs et réduire le coût du capital par la mise à disposition de meilleures informations, la mise en place de mécanismes d’atténuation des risques et l’harmonisation des réglementations et du climat des affaires à travers le continent sont les priorités pour attirer les investissements dans les projets de développement durable.

Coût de la dette, inflation, déficit budgétaire… sont autant de défis auxquels sont confrontés les pays africains depuis un moment. Pourtant, les atouts ne manquent pas pour aider à combler le déficit de financement des ODD : croissance du PIB réel, capital humain constitué par une jeunesse importante et les ressources naturelles. Quelles recettes les pays peuvent-ils exploiter pour tirer avantage du contexte économique actuel ?

Les politiques publiques doivent être adaptées à chaque pays africain dans un cadre national, régional et continental, car il n’existe pas de recette miracle, surtout dans le contexte mondial actuel difficile. Notre rapport souligne trois priorités, qui peuvent être mises en œuvre avec les partenaires du développement. Tout d’abord, faciliter la collecte et la diffusion de données est essentiel pour aligner les perceptions du risque aux réalités. Lorsque les informations manquent ou sont coûteuses à rassembler, notre enquête auprès d’investisseurs en Afrique montre qu’ils renoncent ou retardent leurs projets d’investissement. Cette perte de ressources est importante, alors que les rendements moyens sont plus élevés sur le continent africain que dans d’autres régions du monde, notamment dans les secteurs du commerce de gros, de la finance et de l’assurance. À titre illustratif, en 2020-2021, les IDE intra-africains vers de nouveaux projets ont enregistré un recul trois fois moins important (-20 %) que les IDE en provenance de l’extérieur du continent (-58 %) par rapport à 2018-2019. Les investisseurs basés en Afrique ont renforcé leur participation à de nouveaux projets d’investissement dans les TIC, les énergies renouvelables et les métaux.

Ensuite, renforcer les partenariats avec les institutions financières africaines peut améliorer l’allocation des financements pour le développement, faciliter la mise en œuvre d’instruments d’atténuation des risques adaptés aux contextes nationaux et stimuler les investissements dans des activités locales durables. La capitalisation boursière des 28 bourses nationales et 2 bourses régionales d’Afrique reste pour l’instant très en deçà de celle des économies en développement comparables : en 2021, la valeur totale des introductions en bourse africaines représentait ainsi moins de 1 milliard USD (contre 14 milliards USD au Brésil et 17 milliards en Inde). L’interconnexion des bourses peut réduire les coûts de transaction, accroître l’activité et renforcer l’intégration des marchés de capitaux, comme le projet « African Exchanges Linkage Project » lancé en 2022. Des initiatives telles que le Programme d’appui à la planification et aux activités préparatoires du Fonds vert pour le climat peuvent aider les institutions financières de développement (IFD) africaines à renforcer leurs actifs financiers, dont la valeur n’excède pas 3 % du PIB des pays, et diversifier leurs portefeuilles. Les gouvernements africains peuvent notamment recourir aux obligations vertes, sociales et durables ou aux crédits carbone. En 2021, le Gabon est devenu le premier pays africain à recevoir, pour ses efforts de réduction de la déforestation en 2016-2017, des fonds (17 millions USD) au titre de l’accord de 150 millions USD dans le cadre de l’Initiative pour la forêt de l’Afrique centrale. InfraCredit Nigeria, qui octroie des garanties en monnaie locale, a par exemple mobilisé depuis 2017 près de 240 millions USD auprès de fonds de pension nationaux pour le financement d’actifs d’infrastructure.

Enfin, l’accélération de l’intégration africaine, notamment par la mise en œuvre de la Zone de libre-échange continentale africaine (Zlecaf) et de son protocole sur l’investissement, permettra d’harmoniser les politiques publiques entre les pays et créer de nouvelles opportunités d’investissement par le développement des chaînes de valeur. La libéralisation des échanges et l’harmonisation de la législation sur l’investissement, la concurrence et les droits de propriété intellectuelle dans le cadre de la Zlecaf pourraient accroître de 122 % le stock d’IDE à destination de l’Afrique en provenance de l’extérieur du continent et de 68 % le stock d’IDE intra-africain par rapport aux niveaux de 2017. L’expansion de l’infrastructure numérique via le Système panafricain de paiement et de règlement est en train de faciliter le commerce, en réduisant notamment le frais de change dans les 42 monnaies africaines.

La notion de risque étant intrinsèque à l’acte d’investir, le risque d’investissement durable a-t-il quelque chose de différent du risque lié à l’investissement conventionnel ? Sont-ils perceptibles de la même manière sur le continent africain dont le potentiel est conséquent pour l’humanité notamment en termes de puits carbone et de ressources naturelles pour la transition énergétique ?

L’investissement durable porte moins de risques, car il doit correspondre à des critères de durabilité économique, sociale, environnementale et de gouvernance. On peut néanmoins considérer qu’il est plus coûteux et requiert plus de temps, afin de répondre aux exigences de durabilité. Les investisseurs d’impact, qui vont par exemple cibler les entreprises micros, petites et moyennes, s’heurtent ainsi à une collecte de données plus difficile dans un contexte d’entreprises familiales largement informelles.

Notre enquête conjointe avec la Commission de l’Union Africaine auprès des investisseurs met en lumière les principaux freins à l’évaluation et au suivi de la durabilité des investissements : le manque de capacités de mesure des partenaires au sein des chaînes d’approvisionnement et le manque de clarté des critères de durabilité. Le manque de cadres d’investissement durable internationaux, ainsi que les contraintes liées aux données et aux capacités de gestion, entravent les évaluations précises de la durabilité. Par exemple, moins de la moitié des plus grands fonds de pension africains partagent des informations concernant leurs stratégies de durabilité et leur mise en œuvre. Les décideurs africains et la communauté internationale peuvent encourager ces évaluations de la durabilité, tout en soutenant la capacité des petites entreprises à collecter des données sur la durabilité de leurs activités par le biais de formations et d’incitations.

Vous identifiez les énergies renouvelables en Afrique australe, la monétisation des écosystèmes naturels au Centre, la finance climat au Nord et l’agroalimentaire à l’Ouest comme les domaines à fort potentiel pour les investissements durables intéressés par le continent. Pourquoi ces domaines en particulier dans ces sous-régions ? Comment les secteurs publics et privés peuvent-ils saisir ces opportunités ?

Nous avons choisi ces domaines car ils représentent les secteurs d’activités stratégiques pour chacune des cinq régions africaines reconnues par l’Union Africaine. Ces secteurs offrent des opportunités intéressantes cumulant les trois dimensions du développement durable : économique, sociale et environnementale. Ces études de cas permettent d’illustrer par des exemples concrets la mise en œuvre des priorités d’action que nous avons identifiées au niveau continental : amélioration des données et des informations ; renforcement des institutions financières africaines ; et renforcement des politiques régionales. Ce sont aussi des secteurs innovants, et dans certains cas insuffisamment ciblés par les investissements par rapport avec leur potentiel.

Par exemple, en Afrique centrale, l’amélioration de la comptabilité du capital naturel pourrait débloquer des financements supplémentaires. Ce secteur est stratégique pour les enjeux climatiques mondiaux, car les forêts du bassin du fleuve Congo sont devenues le plus grand puits de carbone de la planète (évalué à 55 milliards USD par an). Les forêts d’Afrique centrale contribuent à hauteur de 62 % au stockage de carbone du continent. Pourtant, elles n’ont bénéficié ces dix dernières années que de 12 % des financements internationaux alloués à la gestion durable des forêts, contre 34 % pour le bassin de l’Amazone et 55 % pour les forêts d’Asie du Sud-Est – notamment en raison d’un manque d’information et de cadres pour attirer ces financements.

En Afrique du Nord et de l’Ouest, différents partenariats pilotés par des institutions africaines font progresser le développement des instruments de financement vert (obligations vertes, financement mixte pour l’adaptation des pratiques agricoles au changement climatique…). Des consultations multipartites et des réformes réglementaires ont ainsi permis à l’Égypte et au Maroc de mobiliser 1.1 milliard USD via l’émission d’obligations vertes, soit 25 % du total des émissions de ce type à travers le continent sur la période 2014-21. On peut répliquer ces initiatives dans d’autres pays africains et mobiliser plus de fonds par ces mécanismes innovants. L’Initiative ouest-africaine pour une agriculture intelligente face au climat (West African Initiative for Climate-Smart Agriculture) passe par des institutions financières locales et des tiers pour octroyer une assistance technique et des prêts à des taux d’intérêt pour subventionner des organisations d’agriculteurs qui utilisent des pratiques agricoles résilientes face au climat.

En Afrique de l’Est et en Afrique australe, les projets transfrontaliers tels que le Corridor des énergies propres peuvent soutenir le développement des énergies renouvelables et leur commerce transnational. Reliant le pool énergétique de l’Afrique de l’Est à celui de l’Afrique australe, le Corridor des énergies propres en Afrique vise ainsi à multiplier par 2.5 la fourniture d’électricité et à satisfaire 40 % à 50 % des besoins énergétiques des deux régions à l’horizon 2030, tout en réduisant de 310 mégatonnes les niveaux annuels d’émissions de CO2.

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