Rompre son isolement en rencontrant de nouvelles personnes, mieux délimiter sa vie personnelle et ses activités professionnelles tout en étant dans un cadre propice au travail sans pour autant être au bureau, telles sont les promesses des espaces de coworking. A cela se greffe une offre de service étoffée avec des animations régulièrement organisées, des moments d’échanges entre coworkers, et souvent des cours de sport ou de bien-être. Tous les éléments paraissent ainsi réunis pour attirer les salariés du tertiaire, notamment pour leurs journées de télétravail. Mais qu’en est-il vraiment ?
Le coworking, un tiers-lieu à part
Les espaces de coworking sont initialement et majoritairement fréquentés par des auto-entrepreneurs et des free-lances, ce qui coule de source puisque leur principal argument commercial repose sur les liens sociaux et les rencontres d’acteurs locaux qu’ils permettent, couvrant ainsi le premier besoin de tout indépendant en quête de collaborations, de marchés et de visibilité.
Toutefois, de récentes recherches européennes ont montré qu’au Pays-Bas notamment, ces espaces étaient aussi fréquentés par des étudiants (environ 20%) et des salariés d’entreprise (environ 15%) (« User preferences for coworking spaces; a comparison between the Netherlands, Germany and the Czech Republic », de Rianne Appel-Meulenbroek, Minou Weijs-Perrée, Marko Orel, Felix Gauger et Andreas Pfnür, Review of Managerial Science, 2021).
Néanmoins, cette étude ne dit pas s’il s’agit de salariés dont l’entreprise louerait des locaux dans un espace de coworking ou si ces individus ont délibérément fait le choix d’aller y travailler pendant leurs journées de télétravail. Cette question est intéressante car elle soulève en creux celle de l’alternative au domicile pour les journées de télétravail – et donc de l’énorme marché potentiel que représenteraient les télétravailleurs pour ces espaces de coworking.
Fréquentation effective et attractivité
Pour répondre à cette question, nous avons lancé un questionnaire pour voir en premier lieu dans quelle mesure ces espaces de coworking étaient déjà fréquentés par des salariés du tertiaire en France, au Royaume-Uni, en Allemagne et en Italie. Le choix de tester plusieurs pays simultanément permettait aussi d’interroger de possibles écarts culturels entre ces pays. Puis, nous avons sondé l’attractivité de ces lieux en demandant aux individus de se prononcer sur le type de lieu de travail qu’ils aimeraient le plus s’il devait changer d’employeur. Au total, un peu plus de 2000 salariés d’entreprise nous ont répondu (avec une répartition sensiblement égale par pays).
Les données que nous avons récoltées mettent en avant le très faible taux de fréquentation des espaces de coworking par des salariés d’entreprise : cela concerne moins de 1% de notre échantillonnage, avec des résultats particulièrement bas en France et en Allemagne. En revanche, lorsque les mêmes individus sont interrogés quant au lieu de travail le plus souhaitable s’ils changent d’employeur, les résultats sont supérieurs comme le montre le graphique suivant :
En détaillant le profil de ces répondants favorables aux espaces de coworking, nous observons qu’ils ont en moyenne 39 ans et que l’ensemble des pays testés présente à peu près cette même tranche d’âge.
En termes de genre, nous observons qu’au Royaume-Uni et en Italie, les femmes sont nettement plus favorables à la perspective de travailler dans des espaces de coworking plutôt que les hommes. Ces différences sont nettement moins marquées en France et en Allemagne.
Enfin, en termes d’ancienneté chez leur employeur actuel, celle-ci est en moyenne de huit ans chez les salariés ayant choisi les espaces de coworking comme le type d’espace de travail le plus souhaitable pour eux.
Ainsi, nos résultats montrent que l’attractivité des espaces de coworking est supérieure à leur fréquentation effective – pratiquement nulle – chez les salariés du tertiaire interrogés, ce qui tend à montrer que ces espaces commencent légèrement à s’imposer dans les esprits comme des alternatives aux locaux traditionnels des organisations.
Ce point est intéressant car il tend à confirmer le fait que la location d’espaces dans ces tiers-lieux pour y loger une partie de ses propres salariés peut remplacer un déménagement ou une réorganisation des locaux, ce qui représente toujours un coût considérable pour les organisations. Par ailleurs, la modularité de ces espaces de coworking offre aussi une riche palette de solutions pour ces entreprises qui deviendraient clientes, de l’open-space au bureau privatif. (« Les espaces de coworking : ni tiers-lieux, ni incubateurs, ni fab labs », de Julie Fabbri, Entreprendre & Innover, 2017).
Et les télétravailleurs ?
En revanche, en situation de télétravail, l’espace de coworking se trouve en concurrence directe avec le domicile. Or, dans ce contexte, ce sont les conditions spatiales de travail qui priment, et une recherche que nous avons récemment menée (en cours d’évaluation) montre que le plus important pour les télétravailleurs est de pouvoir contrôler leur environnement immédiat – c’est-à-dire de se protéger de toute perturbation, distraction et du bruit – pour maintenir un bon niveau de concentration, et donc avoir une meilleure performance (un travail mieux réalisé, en moins de temps). Cela corrobore les nombreuses études qui ont été menées sur les effets des nuisances sonores dans les lieux de travail qui mettent en lumière notamment le fait qu’elles rendent difficile le maintien de l’attention (« The relationship between interior office space and employee health and well-being – a literature review », de Susanne Colenberg, Tuuli Jylhä & Monique Arkesteijn, Building Research & Information, 2020).
Ramené au contexte d’un espace de coworking où la rencontre avec l’Autre est l’essence même du lieu, et que par conséquent il s’agit d’un espace vivant où les discussions sont les bienvenues, il n’est pas certain que ce type de lieu puisse rivaliser avec la quiétude du domicile (si l’on est seul à y travailler, naturellement). Enfin, une autre question – pourtant essentielle – reste à poser dans la perspective d’un télétravail à effectuer dans un espace de coworking : Qui paie ? En effet, peut-on envisager que les entreprises financent un autre lieu de travail pour leurs salariés en télétravail quand rien ne pousse ces derniers à aller travailler ailleurs que dans le lieu que leur organisation leur fournit déjà ? Ce premier lieu de travail, nécessaire, qui représente déjà le deuxième poste de dépense pour les entreprises, tout de suite après les salaires (« Linking the physical work environment to creative context », de Janetta Mitchell McCoy, The Journal of Creative Behavior, 2005).
De la même façon, existe-t-il vraiment des salariés prêts à payer la location d’un bureau pour aller travailler ailleurs qu’au travail ou à la maison ? Surtout si l’on considère que les prix les plus intéressant dans les espaces de coworking sont des bureaux en Flex sur des plateaux décloisonnés. Tant que cette question du financement n’est pas réglée entre entreprises et télétravailleurs, il nous semble que ces derniers ne seront pas des cibles à considérer pour les espaces de coworking. En revanche, multiplier les offres vers les entreprises pour devenir des alternatives solides à d’éventuels déménagements ou ré-aménagements coûteux nous parait nettement plus prometteur pour ces espaces de coworking.
Par Harvard Business Review France
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