La 2ème partie de notre dossier est consacrée aux craintes des acteurs de la pêche de voir leurs activités s’arrêter. Les témoignages recueillis auprès de ces acteurs trahissent clairement leurs désespoir et désarroi.
Réalisé par Massaër DIA, Sénégal
Une peur de perdre l’activité de pêche et les activités connexes
Dans les îles de Djiffère, Dionwar et Niodior, les pêcheurs, les tenants d’activités connexes, tous les acteurs qui gravitent autour de la pêche craignent, avec l’exploitation du pétrole, une disparition de l’activité de pêche avec toutes les autres activités qui en dépendent.
Non loin, se trouve l’école élémentaire de Djiffère dont le mur d’une des classes situées du côté de la plage commence à subir les assauts des vagues. M. Pape Ousmane Samb y est enseignant et pratique aussi la pêche. Président du club environnement mangrove de Djiffère, il évoque les craintes sur l’activité de pêche et les conséquences que la disparition de l’activité pourrait avoir sur l’économie sénégalaise.
« Nous craignons pour l’activité des pêches parce que si tout ce que nous venons d’énumérer se passe, l’activité risque de connaître vraiment des impacts négatifs. Et quand la pêche ne va plus, imaginez-vous les conséquences qui vont en suivre ? L’activité des femmes transformatrices va connaître un problème. Il y a beaucoup de personnes qui s’activent au niveau de la pêche. Parce que quand on parle de pêche, il y le transport du poisson, il y a la place pour la conservation des poissons, mais il y a beaucoup de personnes qui ont des activités à Djiffère. Et tout ça, c’est grâce à la pêche. Les charretiers, ceux qui font la manutention, ceux qui font la relation entre les pêcheurs et les mareyeurs, il y a des gens qui achètent des poissons au niveau des pêcheurs pour les revendre aux mareyeurs (c’est ceux-là qu’on appelle les lague- lague ») ».
Aux dires de Pape Ousmane Samb, l’exploitation de l’or noir peut avoir « des conséquences sur la mangrove. S’il n’y a plus de mangrove, la pêche risque de disparaitre dans ce lieu parce que la mangrove participe énormément dans la pêche à savoir au niveau des poissons pour la raison que les poissons viennent dans la mangrove pour se reproduire. La mangrove constitue en quelque sorte un lieu de reproduction des poissons, c’est un lieu où les petits poissons peuvent se cacher jusqu’à la maturation. C’est pourquoi si nous perdons la mangrove, nous risquons de perdre la pêche dans la région de Fatick. Ce qui fait une grande partie de la pêche au Sénégal risque de disparaitre à cause du pétrole ».
Mamadou Faye, pêcheur à Dionwar souligne : « Nous avons peur pour l’avenir de la pêche à Dionwar avec la présence du pétrole. Notre seule source de revenus c’est la mer; et le pétrole menace aujourd’hui notre activité. Depuis l’arrivée du bateau qui doit extraire le pétrole, les poissons fuient notre localité ».
Mme Fatou Sarr, responsable du groupement ‘‘Niamane’’ de 700 femmes, étale ses craintes. « Le pétrole va impacter notre activité. Nous avons peur que le pétrole détruise notre activité qui est notre gagne-pain. Il y a des gens qui étaient venus nous parler du pétrole. Tout peut arriver, ils peuvent aller jusqu’à dire qu’il faut qu’on déplace les populations de Dionwar car on a trouvé du pétrole sur les lieux ».
Les pêcheurs unanimes sur la présence en mer d’un liquide toxique qui tue les poissons
Mamadou Faye, pêcheur à Dionwar, témoigne : « Ici au niveau de Dionwar, nous avons constaté la présence d’un liquide en mer et ça tue les poissons. Jusqu’à présent, nous ignorons ce genre de liquide. Avec la présence de ce liquide, le poisson se fait rare. Nous pensons que le liquide échappe du lieu où le pétrole est exploité. La présence de pétrole ne rime pas avec ressources halieutiques. Le pétrole détruit la mer et tue les ressources halieutiques. Peut-être le pétrole, c’est bon pour le développement du pays mais forcément, ça nuit l’activité de pêche ».
Quant à Limamou Bâ, pêcheur à Djiffère, il avance : « Le pétrole a commencé à impacter notre activité. Nous notons la présence d’une eau rougeâtre qui tue les poissons. Avec la présence de cette eau, les poissons pourrissent vite. Pour nous, cette mauvaise eau provient des installations en pleine mer ».
Cherif Diakhaté dit « Zeum », pêcheur à Djiffère abonde dans le même sens, il témoigne : « Le pétrole nous a causé beaucoup de dommages. Il faut signaler qu’il y a un liquide de très mauvaise odeur, qui tue les poissons et éloigne les autres types de poissons. Même, nous en tant que pêcheur, nous sommes en danger, nous portons des masques pour ne pas respirer l’odeur. Je pense que cela échappe de la plateforme ».
Sidy Ndour confirme les autres pêcheurs, il avance : « Des produits échappant des installations tuent les poissons. L’exploitation du pétrole détruit l’activité de pêche. Il y a un liquide de très mauvaise odeur en mer et cela porte atteinte à notre activité. Nous ne savons pas, c’est quel genre de liquide ».
Abdou Ndiaye de Dionwar se dit convaincu que : « Nous sommes convaincus que c’est le liquide qui échappe de cette zone d’exploitation qui tue les poissons. Il faut que les autorités prélèvent ce liquide qu’elles analysent en laboratoire pour éclairer notre lanterne ».
Rareté des ressources halieutiques
« Les pêcheurs qui vont en mer quotidiennement nous disent que les poissons se font de plus en plus rare, et nous pensons que c’est aussi l’effet de cette implantation », note Pape Samb.
Mor Gueye, président des mareyeurs industriels : « Aujourd’hui, nous assistons à une raréfaction des ressources halieutiques. Les quantités de capture ont diminué. Nous craignons pour la pêche avec l’exploitation du pétrole. Nous n’avons pas de poissons, tous les camions frigorifiques sont garés du fait du manque de poisson. Depuis l’annonce du pétrole, notre chiffre d’affaires a baissé. Dans notre zone, certaines espèces sont en voie de disparition. Nous ne pouvons plus avoir les quantités de poulpes, seiche que nous avions avant ».
Mamadou Sarr, pêcheur à Niodior abonde dans le même sens. « Nous craignons pour notre activité parce qu’on ne peut plus avoir des huitres et autres produits que les femmes ramassent dans les mangroves. Nous assistons à une raréfaction des ressources halieutiques dans la zone. Les pirogues sont interdites dans la zone près de l’implantation de la plateforme».
Un autre pêcheur de témoigner : « On nous demande de tenir une distance de 500 mètres par rapport au bateau en mer parce qu’il y a des câbles de courant. J’ai aperçu le bateau, il y avait beaucoup de lumières dans la plateforme. La lumière attire les poissons dans la plateforme et nous sommes interdits d’aller là-bas, cela pose problème. La plateforme attire les poissons à cause de la lumière. Les poissons vont converger vers la plateforme et nous n’avons pas le droit de pêcher aux abords. Rien qu’avec ça, nous n’arriverons plus à avoir du poisson dans la zone où nous pêchons, c’est ce qui a entraîné la rareté des ressources au niveau Niodior ».
« Actuellement, il n’est plus possible d’avoir 50 caisses de ‘‘Yaboye’’. Nous commençons à subir les conséquences de la présence du pétrole dans notre zone », dira un autre pêcheur.
Même son de cloche pour Pape Dione qui affirme que « l’exploitation du pétrole peut impacter la pêche car déjà, les poissons se font rare. Le pétrole et le poisson ne font pas bon ménage ».
Comme ses collègues pêcheurs, Sidy Ndour rappelle que Djiffère est une zone très poissonneuse. Mais mieux, on retrouve presque les espèces en voie de disparition à Djiffère. L’homme se désole devant l’implantation de la plateforme de production de pétrole dans les eaux de Djiffère. « C’est une zone carrefour surtout en matière de pêche. Cependant avec l’arrivée du pétrole, les choses se dégradent et les poissons se font de plus en plus rare ».
« Nous pouvons faire des jours en mer sans avoir d’importantes captures. Les quantités de poissons ont diminué dans notre zone. C’est dans la zone d’exploitation du pétrole où on doit pêcher le poulpe », dira Abdou Ndiaye, pêcheur à Dionwar.
Les pêcheurs estiment que Woodside entreprise d’exploitation du pétrole n’a rien fait pour eux. Ils estiment qu’ils n’ont reçu aucune aide de la compagnie. Pour certains pêcheurs, ils ont une seule fois rencontré des agents de cette entreprise dans le cadre de la sensibilisation de la présence du bateau qui doit exploiter le pétrole. D’autres pêcheurs par compte, affirment qu’ils n’ont jamais rencontré les agents de cette entreprise. Même l’ITIE n’est pas épargnée. Certaines voix soulignent que les chiffres qu’elle avance concernant les investissements de la société dans la région de Fatick, ne reflètent pas la réalité.
Pape Ousmane Samb, président du club environnement mangrove de Djiffère qui faire savoir qu’il n’a pas encore vu d’actions d’aide en faveur de cette population par la société exploitante appelle donc Woodside Energy à mener des actions de protection de l’aire maritime protégée. « Nous l’appelons pour qu’elle nous aide au niveau de l’avancée de la mer, et qu’elle accompagne aussi les acteurs dans le cadre de la formation ». Le président du club environnement mangrove de Djiffère exhorte la société à s’intéresser à la réhabilitation de l’école du village et à la construction d’un centre de santé.
Massaër DIA
(Afrik Management/ Mars 2024)
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