Savoir combiner temps de calme mental et phases d’accélération… Ou comment le leader devra passer de sprinter à décathlonien.
Fin 2019, donc avant le Covid-19, une étude de Korn Ferry montrait que 67% des investisseurs jugeait le leadership traditionnel (« Command and control » pour faire simple) inadapté pour le futur. Si ce sondage avait été mené trois mois plus tard, ce chiffre aurait probablement explosé. Quel est le visage du leader de demain ? Ni prophétiques, ni donneuses de leçon, voici quatre pistes pour (re)penser, dès maintenant, le leadership du monde d’après, à partir des observations de la crise sanitaire.
1- Ralentir pour mieux accélérer
Le confinement nous a obligés à subir, pour certains, un ralentissement du temps et pour d’autres, sa haute intensité. Habitués à vivre dans l’immédiateté et l’urgence, nous étions devenus des automates. Atteints que nous étions par le fléau de l’attention partielle continue, notre bien le plus précieux, l’attention, était en péril. Avec la crise du Coronavirus, nous apprenons, malgré nous, à ralentir pour nous consacrer plus en profondeur aux projets stratégiques ou prioritaires, nous assurer de la bonne santé de nos troupes, envisager de nouvelles options stratégiques, tirer les leçons des échecs… Mais nous devrons aussi être capables d’accélérer pour soutenir la reprise : automatiser davantage certaines tâches pour faire gagner du temps aux clients et réduire les coûts, passer à la vitesse supérieure sur les gros chantiers (nouvelles infrastructures informatiques, simplification des processus…). Quand l’activité reprendra, il faudra être opérationnel tout de suite, disent en cœur les dirigeants. Cette crise est aussi un révélateur de la pertinence de nos choix stratégiques. Si elle annule certains projets (de croissance externe, d’investissement), c’est que probablement ceux-ci n’étaient pas des plus pertinents. Avant, les plus gros mangeaient les plus petits. Après la crise, les plus rapides et les plus agiles croqueront les plus lents et les plus rigides.
Dans ce contexte, de sprinter, le leader va devenir décathlonien : savoir alterner la vitesse du 100 m (changer rapidement ses habitudes de travail) avec l’endurance du 1500 m (s’adapter aux nouveaux besoins émergents, repenser sa culture). En résumé, savoir combiner temps de calme mental, de concentration et phases d’accélération. « Je suis à la fois dans l’urgence, dans l’action et dans la réflexion sur ce qui va se passer après », observait le 30 mars, au cœur de la crise, Stéphane Richard, le P-DG d’Orange.
2- Basculer de la coopération vers l’interdépendance
Au cours de cette période, Chanel, Orange et d’autres grandes entreprises ont renoncé au chômage partiel, notamment pour préserver les deniers publics. Les dirigeants de Sodexo, suivis par d’autres, ont eux décidé de réduire leur rémunération fixe pour aider leurs salariés les plus vulnérables… La prime va aux leaders qui ont eu le courage de prendre, les premiers, des décisions cohérentes avec les valeurs de leur entreprise, comme la solidarité.
A voir la créativité des regroupements virtuels (petits déjeuners, webinars, etc), garder le contact semble être un besoin vital. Chaque jour amenait en outre son lot d’initiatives solidaires : la filière textile s’est réorganisée pour fabriquer des blouses, le luxe offrait des gels hydro alcooliques… Depuis le début de cette crise, la solidarité et l’engagement dominent. Elle renforce aussi la cohésion des équipes, qui ont l’impression d’avoir vécu quelque chose de fort et d’inédit ensemble.
Cette crise doit nous aider à basculer de la coopération vers l’interdépendance, stade ultime de l’autonomie, basée sur la parité, les décisions collégiales et des liens renforcés. Beaucoup se sentent impuissants face à l’ampleur de la pandémie, et les conséquences qu’elle a eues. Voilà une opportunité pour encourager la qualité de vulnérabilité du leader, propice à l’entraide qui nous relie.
3- Imaginer pour vraiment se réinventer
Ce qui parfois prenait des mois se décide en quelques jours, à l’image d’Air Liquide qui monte une task force avec PSA, Valeo et Schneider Electric pour livrer des milliers d’appareils respiratoires. L’agilité, un concept souvent vague, se traduit ici en action. Autre exemple, des vendeurs en boutique d’Orange se proposent de devenir téléconseillers, depuis chez eux. Des idées inédites surgissent, qui n’auraient jamais vu le jour en temps normal. Le système D et l’imagination s’imposent quand on ne peut plus travailler avec les outils habituels. Quelques semaines ont suffi pour adopter de nouvelles habitudes (faire des réunions en visio, par exemple) et montrer que le changement n’est pas aussi douloureux que cela. Chez Gojob, un acteur du travail temporaire en ligne, chacun a enrichi une bibliothèque de formation express afin de transmettre le savoir de tous les métiers de l’entreprise. Les entreprises de l’edtech vivent un vrai baptême du feu avec une déferlante de demandes de cours à distance.
En l’absence de repères dans ce type de situation, on est obligé de penser différemment, de faire ce qui était prévu mais autrement, de réfléchir à des alternatives. Cette crise a remis l’imagination au cœur de la difficile promesse de se « réinventer ». Les entreprises qui ne changeront qu’à la marge seront vite repérées dans et hors leurs murs. Quel secteur ne serait pas touché par la nécessité vitale de rebattre les cartes en profondeur ? « Il nous faut imaginer une autre façon de présenter nos collections que les défilés », a déclaré Bruno Pavlovsky, président de Chanel. Savoir réagir immédiatement et vouloir se réinventer en quelques mois nécessitera aussi d’accepter l’imperfection, qualité essentielle du leader positif.
4- Se centrer sur soi pour mieux se reconnecter aux autres
Demain, le leader osera avouer qu’il n’est pas forcément serein face à une telle crise. Le travail sur soi et l’introspection permettent à certains dirigeants de chasser leurs peurs. Mais aussi de gagner en lucidité et en discernement pour bien dissocier la gestion opérationnelle de l’urgence et la planification du retour à la normale. Agir en leader dans la crise, c’est tout faire pour revenir à la normale, redémarrer au plus vite mais aussi s’enrichir de l’expérience pour préparer la crise d’après.
Lorsque les salariés enchaînent les réunions sur Zoom, quasiment sans pause, on peut se dire que l’épuisement mental ne guette pas que les soignants. Demain, s’occuper de sa santé mentale et savoir déconnecter deviendra encore plus vital pour être vraiment présent et ne pas se laisser submerger. Se recentrer sur soi est aussi propice à creuser sa propre raison d’être pour mieux s’inscrire (ou non) dans celle de son organisation. Pour Pascal Lorne, patron de Gojob et méditant, l’isolement favorise l’introspection et une dimension spirituelle permettant de recentrer l’entreprise sur ses valeurs profondes. Cette crise n’a pas fini de révéler ses enseignements en matière d’organisation et de leadership. Puisse-t-elle, dès maintenant, nous inspirer pour en sortir gran
Par Yves Le Bihan
Comments