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Paiement fractionné, quick commerce : ces nouveaux usages sont-ils là pour durer ?

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Catalysés par la pandémie de Covid-19, plébiscités par les consommateurs, le paiement fractionné et le quick commerce ont-ils encore de beaux jours devant eux ?

La pandémie de Covid-19 a catalysé le développement de nouveaux secteurs d’activité dans les services financiers (paiement fractionné) ou la distribution (quick commerce). L’analyse de ces deux activités est symptomatique des transformations très rapides de l’expérience client, sur deux usages clés des consommateurs (payer et faire ses courses) . En l’espace de deux ans, de nouvelles activités sont nées pour répondre aux besoins des clients, ont connu le succès, puis l’échec. Dans les deux cas, elles doivent se transformer pour perdurer, c’est-à-dire se conformer au nouveau cadre réglementaire et, surtout, trouver un modèle économique.

Les périodes de confinements et de couvre-feu ont été le point de départ au développement spectaculaire du quick commerce, ces services de livraison express de courses, notamment alimentaires. De la même manière, les deux dernières années ont vu l’essor irrésistible du paiement fractionné, qui offre la possibilité de différer un paiement ou de le fractionner en trois ou quatre fois. Ce développement a accompagné la très forte progression de l’e-commerce pendant la période.
L’exemple de ces activités est emblématique. Toutes deux sont au cœur du quotidien des Français et ont connu un succès spectaculaire pendant la pandémie, et toutes deux traversent aujourd’hui une période de turbulences.

Des géants bien installés

Pour illustrer le succès de ces offres, rappelons que 37% des Français ont eu recours au paiement fractionné en 2021. Et que, à Paris, le quick commerce capte un quart de la livraison à domicile. Certains acteurs de ces secteurs sont devenus des géants. C’est le cas de Klarna, acteur historique du paiement fractionné et très présent des deux côtés de l’Atlantique, dont la valorisation a culminé à 46 milliards de dollars, début 2022. Pour le quick commerce, les acteurs les plus connus s’appellent Gorillas, Getir, Gopuff ou Flink. Gopuff, leader outre-Atlantique, visait une introduction en Bourse sur la base d’une valorisation de 40 milliards de dollars début 2022. Le succès commercial de ces offres a attiré l’attention des investisseurs et les acteurs du paiement fractionné ou du quick commerce se sont multipliés dernièrement.

Le retournement de tendance sur ces deux secteurs est spectaculaire depuis quelques mois. Les principaux acteurs du paiement fractionné souffrent depuis le premier semestre 2022. La valorisation de Klarna a chuté de 85% et l’entreprise a dû se séparer de 10% de ses effectifs en mai pour réduire ses coûts. L’autre leader du secteur, Affirm, coté en Bourse, a vu sa capitalisation boursière chuter de 75% sur les douze derniers mois. La remontée des taux d’intérêt met le secteur sous pression, en augmentant le coût du risque. Les régulateurs nationaux s’activent pour mettre en place un meilleur encadrement des pratiques. En Australie, marché pionnier du paiement fractionné, le processus de consolidation a bien démarré, avec d’ores et déjà la disparition de quatre des douze acteurs installés. Quant au quick commerce, faute de rentabilité et de liquidités, la plupart des acteurs ont annoncé des plans de licenciement et ont pris la décision de sortir de nombreux marchés, considérés comme non stratégiques.

La forte inflation que nous traversons a également un fort impact sur ces deux activités : elle menace la consommation des ménages et rend les levées de fonds plus difficiles. Si le paiement fractionné représente une facilité de paiement face à l’inflation, celle-ci renchérit pourtant le coût de financement et fait peser un risque sur la solvabilité des ménages.

Entrés dans les mœurs

La question est de savoir si ces nouvelles activités vont perdurer ou péricliter. Tout d’abord, le point essentiel est que ces nouveaux usages sont plébiscités par les consommateurs. Ainsi, le paiement fractionné est devenu un incontournable des sites d’e-commerce. Il permet d’améliorer la conversion, d’augmenter le panier moyen et de doper la fidélité et l’engagement des consommateurs. Son usage s’est étendu dans toutes les verticales et auprès de tous les segments de clients. La SNCF vient ainsi d’annoncer la mise en place d’une offre de paiement fractionné pour 2023. Cette facilité de paiement est donc bien là pour rester.

Quant au quick commerce, c’est-à-dire, au sens large, les services rapides de courses de dépannage, c’est un mode de consommation qui est également rentré dans les mœurs. Certes, leur modèle ne fait pas l’unanimité, notamment du fait de son impact environnemental et de la concurrence qu’il induit pour les commerces de proximité. Il est même souvent qualifié « d’économie de la flemme ». Toutefois, le fait de se faire livrer le jour même est devenu une attente de base pour les consommateurs. Passer une commande en ligne pour des courses de dépannage ou pour préparer un apéro le vendredi soir est aussi rentré dans les mœurs, dans la droite lignée de la livraison de repas.

Une réglementation en cours

Dans le cas du paiement fractionné et du quick commerce, la réglementation, actuellement en cours de définition, pourrait changer la donne. Comme pour toute nouvelle activité, le régulateur a toujours du retard à l’allumage. C’était par exemple le cas pour les VTC, qui se sont développés en dehors de toute régulation pendant plusieurs années (2011-2014). Le cadre a finalement été défini en 2014 et le jeu concurrentiel entre taxis et VTC s’est, depuis, stabilisé – les taxis regagnant d’ailleurs progressivement des parts de marché.

Qu’en est-il pour le paiement fractionné et le quick commerce ? Le premier correspond aujourd’hui à une facilité de paiement, car inférieur à 90 jours. Cela lui permet d’échapper aux règles contraignantes du crédit à la consommation (pas de pièces justificatives et de dossier à remplir) et donc d’être « instantané ». Cette rapidité permet une intégration sans coutures dans le flux de paiement des e-commerçants. Mais la réglementation devrait rebattre les cartes. En Australie, le paiement fractionné sera ainsi considéré comme un crédit à partir de mi-2023. Au Royaume-Uni, les acteurs devront vérifier les capacités financières des consommateurs et être approuvés par la Financial Conduct Authority (ou FCA, l’ instance de régulation du secteur financier britannique). Les pratiques marketing et commerciales seront également strictement encadrées. A terme, le paiement fractionné devrait donc se rapprocher du crédit à la consommation. L’exemple de la banque en ligne Floa, qui propose les deux offres dans son portefeuille, montre probablement le futur de ce produit. Les deux offres sont ainsi enchevêtrées avec des offres de paiement en 90 jours ou plus, en fonction des besoins clients.

Pour ce qui concerne le quick commerce, la réglementation concerne deux axes. Tout d’abord, les centres de préparation de commande, les « dark stores », ont fait pendant l’été l’objet d’un débat animé entre le gouvernement, qui souhaitait potentiellement les légaliser, et les maires des grandes villes, qui visaient à limiter au maximum l’extension de ces magasins fantômes. Le débat a été tranché début septembre. Le lobbying des élus locaux a été payant : les dark stores devront désormais être considérés comme des entrepôts et ne pourront être installés dans des locaux commerciaux.

Autre aspect de la réglementation : la livraison. Si les livreurs du quick commerce sont, pour la plupart, en CDI, il n’en est rien des plateformes de livraison, qui préfèrent le modèle d’auto-entrepreneur. Celui-ci est très avantageux pour les plateformes et très précaire pour les livreurs (pas de garantie de revenu, accès à la protection sociale, rémunérations tirées vers le bas). Le régulateur s’est saisi du dossier et les choses bougent. La Commission européenne envisage de renforcer le statut des travailleurs des plateformes. En Espagne, la loi Riders oblige depuis 2021 à employer les livreurs en tant que salariés. Ces éléments devraient affecter le modèle économique et rendre la livraison plus onéreuse. Deliveroo a d’ailleurs annoncé sa sortie du marché espagnol, à la suite de la nouvelle réglementation.

Un modèle économique à trouver

In fine, la question du business model sera la véritable clé. Concernant le paiement fractionné, l’analyse de la performance des deux leaders du secteur, Klarna, et Affirm, est riche d’enseignements.

Dans le cas de Klarna, les derniers résultats (H1-2022) montrent un réel dynamisme commercial, mais une rentabilité en berne. Les revenus sont certes en croissance de 24% sur un an (950 M$). Néanmoins, le résultat net affiche une perte de 581 M$, montant multiplié par 4 en un an. Si les coûts généraux ont enflé du fait de la volonté d’expansion géographique tous azimuts (+71%), de manière plus préoccupante les pertes sur créances affichent également une croissance de 52%. Autrement dit, les inducteurs de coût, fixes et variables, augmentent beaucoup plus rapidement que l’activité. C’est aussi que la croissance est principalement tirée par les Etats-Unis, ce qui enfle la structure de coût et met sous pression le coût du risque. La gestion du risque n’a pas grand-chose à voir entre la Suède et l’Allemagne, marchés historiques de Klarna, et les Etats-Unis. Les pertes de crédit se situent ainsi à 0,72% du volume d’affaires. Et la hausse des taux devrait également significativement peser sur le compte de résultat.

L’autre grand acteur du secteur, très présent aux Etats-Unis, Affirm, affiche également des pertes significatives et ne semble pas être sur le chemin de la profitabilité.

Et les gagnants seront…

Les acteurs qui arriveront à tirer leur épingle du jet seront sans doute les géants technologiques, tels PayPal ou Apple, qui se sont également lancés dans le paiement fractionné. Ceux-ci ont en effet une connaissance très fine de leurs clients et sont à même d’utiliser un large ensemble de données pour gérer le risque client. Par ailleurs, ils possèdent déjà un réseau significatif de consommateurs et marchands, ce qui limite les coûts de marketing et de développement. PayPal est ainsi déjà intégré auprès de 35 millions de marchands et peut aisément activer l’option « paiement fractionné ».

Mais les banques, de leur côté, n’ont pas dit leur dernier mot. Leur taille de bilan leur donne un accès privilégié aux liquidités, elles sont historiquement très bien positionnées sur le crédit à la consommation, et nombre d’entre elles ont investi sur des actifs de paiement fractionné ces dernières années (BNP Paribas avec Floa, BPCE avec Oney en France). Le paiement fractionné étant devenu une attente forte des consommateurs, elles sont en bonne position pour fournir ce service tout en demeurant rentables.

Quant au quick commerce, il induit des développements très importants : marketing auprès des consommateurs, mise en place d’une plateforme logistique, recrutement d’une flotte de livreurs. Il suppose un grand nombre de commandes pour absorber les coûts fixes, ce qui signifie qu’il n’est pertinent que pour les zones urbaines denses et que peu d’acteurs pourront survivre dans ce marché. Sans compter qu’il suppose nécessairement un surcoût pour le consommateur. La préparation de commande et la livraison entraînent un coût que quelqu’un doit supporter (de l’ordre de 15% du panier). Si les acteurs du quick commerce ont pu subventionner massivement leur activité via des offres promotionnelles, à terme, ces commandes seront plus coûteuses pour les clients finaux. Ceux-ci devront arbitrer entre le confort de ne pas bouger de chez eux ou la possibilité de marcher 5 minutes pour faire 15% d’économie.

Les plateformes de livraison devraient, à ce titre, mieux résister et continuer à tirer leur épingle du jeu. En effet, elles s’appuient sur le réseau existant des distributeurs alimentaires et n’interviennent qu’en amont et en aval, sur des briques de la chaîne de valeur où elles peuvent apporter une forte contribution (expérience digitale et offre de livraison). L’avenir du quick commerce semble donc reposer sur une alliance entre les acteurs de la grande distribution et les plateformes de livraison.

Ce n’est ainsi pas un hasard si, en 2021, Carrefour a réalisé 100 millions d’euros de chiffre d’affaires, à travers son partenariat avec Uber Eats. Pour les commerce de proximité, les plateformes de livraison peuvent ainsi représenter jusqu’à 15% du chiffre d’affaires et permettent de générer des ventes incrémentielles, en augmentant significativement la zone de chalandise.

Sur ces deux usages, l’analyse montre des transformations rapides dans les attentes clients, la réglementation et la dynamique de marché. Le changement semble être la seule constante. La demande est réelle de la part des consommateurs et ne va pas disparaître, même avec une réglementation plus stricte. Les gagnants seront ceux qui parviendront à résoudre l’équation de la rentabilité. A ce titre, les acteurs installés (banques, géants de la distribution) ne sont finalement pas les plus mal placés, à condition qu’ils continuent à innover et à investir dans les bons partenariats.

 

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