Le candidat Jared Isaacman, proposé par Donald Trump et Elon Musk, a été auditionné au Sénat des États-Unis ce mercredi 9 avril. Car ce sont les sénateurs qui valideront – ou non – sa candidature pour devenir administrateur de la Nasa d’ici début mai. Le lendemain, la Maison Blanche confirme des coupes catastrophiques dans le budget scientifique de l’agence spatiale américaine. Priorité sur la Lune ou sur Mars ? Quel avenir pour les sciences et l’exploration spatiale sous Trump ?
Au sommaire
- La Lune ou Mars ? Les deux, mon capitaine !
- Sursis pour le SLS et l’ISS, à l’encontre des intentions de Musk
- 50 % de sciences en moins ?
- Conflit d’intérêt avec Musk ?
- À lire aussi
Isaacman, soutenu par Elon Musk, est le candidat choisi par Donald Trump pour devenir le prochain administrateur de la Nasa. Son adoubement doit avoir l’aval du Sénat, où il vient d’être auditionné. Sa mission s’annonce délicate, avec le dirigeant de SpaceX qui insiste pour soutenir, d’une part, une mission habitée sur Mars, appuyée par le président américain (bien que ce ne soit pas une « top priorité »), et d’autre part, le programme lunaire Artemis. À ce cocktail impossible s’ajoutent les terribles purges et coupes budgétaires à venir à la Nasa.
Isaacman n’est pas venu seul à l’audience. Sa famille était présente avec lui, dont ses deux filles. Jared s’est appuyé sur leur présence pour exprimer sa volonté d’inspirer les futures générations d’Américains avec d’ambitieuses missions spatiales. Pour soutenir leur commandant, étaient aussi présents les astronautes privés de SpaceX et les touristes spatiaux des missions Inspiration4 et Dawn. Mais ils n’étaient pas les seuls astronautes sur place. En effet, c’est sous le regard circonspect des astronautes de l’équipage d’Artemis II qu’a commencé l’audience. Sont-ils venus constater eux-mêmes si leur mission est bien maintenue ?
Retrouvez ici le replay de l’audience. © Nasa
Même si Jared a, au préalable, assuré prioriser une mission vers Mars, il s’engage à ne pas abandonner la Lune, ce qui serait une « erreur catastrophique » selon le sénateur texan Ted Cruz, dirigeant le comité dédié au commerce, au transport et aux sciences, et qui préside la séance. Face à la volonté de Donald Trump et d’Elon Musk de « planter un drapeau américain sur Mars », les sénateurs n’ont pas caché leur inquiétude pour le programme lunaire Artemis qui représente près de 2 000 emplois directs aux États-Unis.
Stupéfiant tout le monde, Jared Isaacman pense que la Nasa peut assurer à la fois le programme Artemis et une mission pour Mars ! Ted Cruz lui rappelle alors que la loi américaine prévoit de prioriser la Lune, d’y établir une base, en prémices d’une mission martienne. Mais Isaacman ne veut pas attendre, invoquant les capacités de la Nasa à réaliser l’impossible, en référence au temps des missions Apollo, une période avec bien plus de moyens de toutes sortes. Incomparables avec le budget actuel de la Nasa menacé de lourds coups de rabot.
Isaacman encourage à maintenir le Space Launch System et le vaisseau Orion, seule fusée lunaire et seul vaisseau spatial aptes aujourd’hui à envoyer des astronautes vers la Lune, mais il reconnaît que ce n’est pas la solution à long terme. Ainsi, sans le dire, il ouvre la voie au Starship de SpaceX, déjà sélectionné comme module d’alunissage des astronautes, pour prendre le relai.
Pour garder la confiance du Sénat, qui contrôle le budget de la Nasa, Isaacman a donc dû dédire Elon Musk, qui pense que la Lune est une distraction et que la Station spatiale internationale doit être désorbitée au plus vite. « Nous ne pouvons laisser la Lune et l’orbite basse aux Chinois », insiste-t-il, en écho de Ted Cruz. Le sursis est également accordé à la future station spatiale internationale Gateway.
Concernant l’ISS, Isaacman s’est engagé à ne pas la désorbiter avant 2030. « Nous devons l’exploiter autant que possible », précise-t-il, rappelant que les projets de stations spatiales privées devant assurer la relève sont tous en retard. Or, ces stations doivent assurer une transition permettant aux astronautes américains d’entretenir une présence permanente en orbite.

Vue d’artiste de la station spatiale lunaire Gateway, qui incarne la coopération internationale entre les États-Unis, l’Agence spatiale européenne, le Japon, et le Canada. © Nasa
« Nous devons envoyer toujours plus de télescopes [spatiaux], de rovers, et de sondes. » Isaacman se présente en grand passionné des sciences spatiales. Pas de chance pour lui : deux jours plus tard, Ars Technica révèle le projet de budget 2026 de la Nasa. C’est un véritable massacre : près de la moitié du budget scientifique en moins (3,9 Md $ contre 7,5 Md $ en 2025). En détail :
- 68 % de coupe budgétaire pour l’astrophysique (Hubble et JWST maintenus, mais moins de fonds pour les autres télescopes, annulation du Nancy Roman Telescope alors qu’il est déjà assemblé pour un décollage en 2026) ;
- 43 % de coupe budgétaire pour l’héliophysique ;
- 30 % de coupe budgétaire pour la planétologie (Curiosity et Perseverance maintenus, mais fin du programme de retour d’échantillons martiens MSR et annulation de la mission Davinci vers Vénus) ;
- 53 % de coupe budgétaire pour les sciences de la Terre et du climat (ainsi qu’une coupe des deux tiers du budget de l’agence nationale de la météo, la NOAA).
L’annonce de ces coupes a déclenché de très nombreuses réactions. Au total, la Nasa pourrait perdre 20 % de son budget total (20 Md $ contre 25 Md $ en 2025). Le site le plus menacé est le Goddard Space Flight Center au Maryland à proximité de Washington DC). La Maison Blanche compte le fermer : 10 000 emplois sont menacés. Tout cela doit néanmoins avoir l’aval du Sénat, qui va tenter de sauver les meubles, mais Donald Trump pourrait tenter de passer en force.
De son côté, Jared Isaacman cherche à se positionner comme architecte d’une libéralisation de nombreuses activités de l’agence spatiale, laquelle doit se concentrer pour « réaliser l’impossible » et se focaliser sur des innovations technologiques qui n’ont pas d’approche commerciale, comme la propulsion nucléaire, et passer la main à l’industrie pour le reste. En même temps, il martèle qu’il faut trouver une raison d’être au marché spatial, de sorte que la demande ne soit pas concentrée par le gouvernement américain comme c’est le cas aujourd’hui. Une équation économique difficile, surtout que la Maison Blanche vient d’éconduire l’économiste en chef de la Nasa…
C’était le point d’orgue de l’audience. À propos de sa nomination par Donald Trump pour diriger la Nasa, le sénateur Markey a tenté de soutirer des informations à Isaacman : quel a été le rôle d’Elon Musk ? Tout remonte à un entretien entre Jared et Trump dans sa résidence à Mar-a-Lago en Floride, au cours duquel le président (élu à ce moment, mais pas encore investi) lui propose le job. Musk était-il là ? Si oui, cela constituerait un flagrant délit de conflit d’intérêt pour le patron de SpaceX.

La pleine Lune éclipsée par le Starship. Le méga-lanceur doit y déposer les astronautes de la Nasa fin 2027, selon le calendrier officiel de la Nasa. Il faudra bien 400 vols avant de lui faire 100 % confiance ! © John Kraus
Isaacman reconnait que Musk était bien à Mar-a-Lago durant cette période. « Était-il présent lors de l’entretien avec Donald Trump ? », Markey lui pose la question à six reprises. Toujours la même réponse froide d’Isaacman : « C’était un entretien avec le président des États-Unis ». Markey repart bredouille. Isaacman a également juré n’avoir jamais discuté de la stratégie d’administration de la Nasa avec Elon Musk depuis sa nomination fin janvier. L’audience étant sous serment, en cas de parjure, Isaacman risque la prison.
Par FUTURA
Commentaires