Il existe différents moyens pour faire progresser l’astrophysique et la cosmologie dans le but de comprendre comment l’Univers observable, avec ses étoiles et ses galaxies, a évolué depuis le Big Bang. On peut en particulier étudier les populations de trous noirs supermassifs derrière les quasars et autres noyaux actifs de galaxies. Les chercheurs viennent pour cela de combiner des données datant de plus de 40 ans prises dans l’infrarouge et des données récentes acquises dans le domaine des rayons X énergétiques.
Au sommaire
- Des trous noirs dissimulés par des tores de poussières
- D’Iras à NuStar
Einstein ne croyait pas à l’existence des trous noirs. Il pensait même avoir démontré qu’ils ne pouvaient pas se former théoriquement, mais sur ce point, il avait vite été démenti par les travaux d’Oppenheimer et son élève Snyder à la fin des années 1930. Encore vers la fin des années 1950, John Wheeler et pas plus Yakov Zeldovitch ne croyaient qu’ils pouvaient se former en pratique, avant là aussi d’être démentis par des simulations numériques sur ordinateur.
Aujourd’hui, après les observations faites avec le VLT, Hubble et des télescopes spatiaux observant dans le domaine des rayons X, comme Chandra et NuStar (Nuclear Spectroscopic Telescope Array), sans oublier celles effectuées dans le domaine radio rendues possibles par les membres de la collaboration Event Horizon Telescope et bien sûr les détecteurs d’ondes gravitationnelles Ligo et Virgo, on a toutes les raisons de penser que les trous noirs existent dans toutes les galaxies, en particulier au centre des grandes galaxies spirales et elliptiques. Pour le moins, nous savons avec certitude qu’il existe des astres compacts qui ont des propriétés que doivent posséder des trous noirs à défaut d’avoir celle qui les définit vraiment, un horizon des événements, mais c’est un autre sujet.
Les noyaux actifs de galaxies (AGN) sont des sources extrêmement énergétiques alimentées par des trous noirs supermassifs. Cette courte vidéo donne un aperçu de ces objets particuliers au travers de la récente découverte d’un AGN au centre de la galaxie Messier 77. © European Southern Observatory (ESO)
Des trous noirs dissimulés par des tores de poussières
Dans l’hypothèse où les trous noirs existent vraiment, il est important d’avoir une évaluation de leur nombre dans le cosmos observable, notamment pour mieux comprendre l’évolution des galaxies depuis leur naissance après le Big Bang. La Nasa vient justement de faire savoir que plusieurs instruments avaient été mis à contribution pour estimer le nombre de trous noirs supermassifs.
Un communiqué de la Nasa explique en effet aujourd’hui, selon un article publié dans The Astrophysical Journal à propos de cette campagne d’observations et dont une version se trouve en accès libre sur arXiv, qu’environ 35 % des trous noirs supermassifs sont quasi inobservables car fortement obscurcis par des nuages de gaz et de poussières environnants, si épais qu’ils en bloquent même la lumière X de faible énergie. En fait, cela pose potentiellement problème car, selon la théorie, ce nombre devrait être plus proche de 50 % en se basant sur des modèles de croissance des galaxies. Ce qui fait dire au communiqué que « si les observations continuent d’indiquer que bien moins de la moitié des trous noirs supermassifs sont cachés, les astrophysiciens devront ajuster certaines idées clés qu’ils ont sur ces objets et le rôle qu’ils jouent dans la formation des galaxies ».
En fait, les nuages de gaz et de poussières capables de cacher un trou noir supermassif ont la forme d’un tore, ou d’un beignet. Si le trou en forme de beignet est tourné vers la Terre, le disque d’accrétion chauffé par le frottement visqueux du gaz tombant en spirale qu’il contient est visible ; si le beignet est vu de profil par un observateur extérieur, le disque est obscurci. Cette variation des points de vue est impliquée par ce que l’on appelle le modèle unifié des noyaux actifs de galaxie.
Depuis 40 ans, la Nasa élargit notre vision de l’Univers grâce à des télescopes spatiaux qui détectent la lumière infrarouge, invisible à l’œil humain. L’observation du domaine infrarouge nous aide à étudier les origines des planètes, des étoiles, des galaxies et même de l’Univers lui-même. Le télescope spatial James-Webb de la Nasa est le dernier télescope spatial infrarouge de l’agence, ajoutant de nouvelles perspectives aux cibles découvertes et étudiées pour la première fois par les missions infrarouges qui l’ont précédé. Les missions de télescopes spatiaux infrarouges se sont appuyées les unes sur les autres pour révéler les étoiles, les galaxies et toutes sortes d’objets cosmiques avec une clarté toujours croissante. Vous verrez ici des images du satellite astronomique infrarouge pionnier (Iras) lancé en 1983, du télescope spatial Spitzer lancé en 2003, et du télescope spatial James-Webb lancé en 2021 et qui renvoie aujourd’hui des images extrêmement détaillées. Pour obtenir une traduction en français assez fidèle, cliquez sur le rectangle blanc en bas à droite. Les sous-titres en anglais devraient alors apparaître. Cliquez ensuite sur l’écrou à droite du rectangle, puis sur « Sous-titres » et enfin sur « Traduire automatiquement ». Choisissez « Français ». © Iras images : Nasa/Netherlands Agency for Aerospace Programmes/UK Science and Engineering Research Council/JPL-Caltech; Spitzer images : Nasa/JPL-Caltech/IPAC; Webb images : Nasa/ESA/CSA/STScI
Il se trouve toutefois que le tore de gaz et de poussières est un peu chauffé également par le rayonnement du brillant disque d’accrétion. Il rayonne alors dans l’infrarouge, de sorte que les trous noirs initialement inobservables dans le visible le deviennent si l’on passe à l’infrarouge. De fait, déjà au début des années 1980, l’Infrared Astronomical Satellite (Iras), qui a fonctionné pendant 10 mois en 1983 et était géré par le mythique Jet Propulsion Laboratory de la Nasa en Californie du Sud, avait débusqué de possibles tores de ce genre. Mais il pouvait s’agir aussi simplement de galaxies avec une formation d’étoiles intense, chauffant un contenu important en nuages interstellaires poussiéreux.
Les chercheurs ont finalement combiné les données d’Iras avec celles de NuStar pour réduire les ambigüités. Des rayons X sont émis par certains des matériaux les plus chauds autour d’un trou noir supermassif et cette signature sous forme de photons X est parfois assez énergétique pour traverser sans problème les tores, même si la détection de ces photons X peut prendre des heures d’observation.
Les résultats publié aujourd’hui sont commentés par Peter Boorman, astrophysicien à Caltech à Pasadena, en Californie, responsable de l’étude : « Je suis étonné de l’utilité d’Iras et de NuStar pour ce projet, en particulier malgré le fait que l’Iras date de plus de 40 ans. Je pense que cela montre la valeur patrimoniale des archives de télescopes et l’avantage d’utiliser plusieurs instruments et longueurs d’onde de lumière ensemble. »
Toutes les galaxies abritent en leur centre un trou noir supermassif, de masse comprise entre un million et quelques milliards de masses solaires. Il existe un rapport de proportionnalité entre la masse de ces trous noirs et la masse du bulbe des galaxies, ce qui fait penser que la formation des étoiles et l’alimentation des trous noirs se produisent simultanément. En quelque sorte, les galaxies et leurs trous noirs croissent en symbiose. Lorsque du gaz tombe vers le centre de la galaxie, le trou noir en avale le plus possible, mais la masse qu’il peut absorber est limitée. La chute de matière sur le trou noir libère une quantité considérable d’énergie, sous forme de rayonnement, et aussi sous forme d’énergie cinétique. Le noyau de la galaxie devient actif, soit un noyau de Seyfert, soit un quasar. Les vents et jets de plasma émis par le trou noir entraînent le gaz interstellaire environnant. Des flots de gaz moléculaire ont récemment été détectés autour des noyaux actifs, emportant tellement de masse qu’ils peuvent avoir un impact significatif sur l’évolution de la galaxie hôte, en régulant ou stoppant même l’approvisionnement en gaz pour la formation des étoiles. Les trous noirs gloutons, en recrachant leur nourriture, régulent la formation des étoiles. Nous détaillerons ces phénomènes, peut-être à l’origine de la proportionnalité entre masses des trous noirs et des bulbes. Françoise Combes est astronome à l’Observatoire de Paris au Laboratoire d’étude du rayonnement et de la matière en astrophysique (Lerma). Son domaine actuel de recherche concerne la formation et l’évolution des galaxies. © École normale supérieure – PSL
Le communiqué de la Nasa se conclut en expliquant que « déterminer le nombre de trous noirs cachés par rapport aux trous non cachés peut aider les scientifiques à comprendre comment ces trous noirs deviennent si gros. S’ils grandissent en consommant de la matière, alors un nombre significatif de trous noirs devrait être entouré de nuages épais et potentiellement obscurcis. Boorman et ses coauteurs affirment que leur étude soutient cette hypothèse ».
Par FUTURA
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