Alors que l’intelligence artificielle transforme les modes de travail et redéfinit les sources de compétitivité, l’intelligence humaine doit être questionnée. Et si l’IA, au-delà de sa puissance brute, devenait un véritable levier d’intelligence, de productivité, de qualité, et de performance pour les entreprises ? Loin d’être un simple substitut, elle s’intègre comme un partenaire capable d’augmenter nos capacités, mais seulement si nous savons nourrir notre intelligence humaine d’une culture générale diversifiée.
La question de l’intelligence, mesurée par le QI, souvent évoquée comme un indicateur de performance cognitive, mérite d’être revisitée dans ce contexte technologique. Les entreprises qui souhaitent exceller doivent-elles se limiter à cette mesure, ou peuvent-elles bénéficier d’une perspective plus large ? Une culture générale solide pourrait bien être l’élément clé qui, associé à l’IA, permet d’atteindre une véritable intelligence d’entreprise, capable d’innover et de s’adapter aux défis complexes d’aujourd’hui.
Les recherches en psychologie cognitive et en neurosciences montrent que l’intelligence ne se réduit pas à une simple mesure de la rapidité de traitement ou de la capacité de mémorisation. Le psychologue Raymond Cattell, dans ses travaux sur l’intelligence, a distingué deux formes d’intelligence : l’intelligence fluide, qui est la capacité à résoudre des problèmes nouveaux, et l’intelligence cristallisée, qui repose sur l’accumulation de connaissances et d’expériences au fil du temps.
L’intelligence cristallisée, lorsqu’elle est renforcée par une culture générale solide, permet de résoudre des problèmes complexes en s’appuyant sur des expériences passées et des savoirs diversifiés (« Theory of fluid and crystallized intelligence: A critical experiment », de R. B. Cattell, Journal of Educational Psychology, 1963).
Plus concrètement, sans culture générale, l’intelligence pourrait fonctionner comme un moteur puissant sans direction. La capacité d’analyse ou de résolution de problèmes reste limitée si elle ne peut s’appuyer sur des références variées issues de différents domaines. Le psychologue Howard Gardner, célèbre pour sa théorie des intelligences multiples, a montré que les formes d’intelligence ne sont pas uniquement analytiques. La réussite intellectuelle résulte souvent de la capacité à combiner différents types d’intelligences, en particulier ceux nourris par l’exposition à des savoirs diversifiés (« Frames of Mind: The Theory of Multiple Intelligences », de H. Gardner, Basic Books, 1983).
Cette idée rejoint les recherches de la psychologue américaine Angela Duckworth sur le rôle du « grit » (la persévérance et la passion pour des objectifs à long terme). Dans ses travaux, elle montre que l’exposition à des idées variées et la curiosité intellectuelle sont des facteurs déterminants pour innover et résoudre des problèmes complexes. Ce sont souvent ces incursions dans des domaines nouveaux qui déclenchent des connexions inédites et propulsent la créativité (« Grit: The Power of Passion and Perseverance », de A. L. Duckworth, Scribner, 2016).
L’IA : une leçon de connectivité intellectuelle
L’exemple de l’intelligence artificielle (IA) souligne de façon éclatante l’importance de la culture générale pour l’intelligence humaine. Les systèmes d’IA, tels que ceux utilisés dans l’IA générative, sont alimentés par des volumes massifs de données issues de domaines variés. Ce qui fait leur force, c’est leur capacité à établir des connexions entre des informations provenant de différentes sources. AlphaGo, l’algorithme développé par DeepMind, illustre bien ce phénomène. En analysant des millions de parties de Go et en s’inspirant de stratégies provenant d’autres jeux ou systèmes complexes, AlphaGo a démontré comment une « culture générale » technique permet de dépasser les limites de l’intelligence humaine dans un domaine précis.
Cela nous rappelle que culture générale est diversifiée, plus nous sommes capables de résoudre des problèmes complexes en établissant des connexions entre des idées en apparence éloignées.
Face à cette dynamique, il devient évident que l’accumulation de connaissances à travers la culture générale est indispensable pour exploiter pleinement l’intelligence humaine. Comme l’a souligné Eric Schmidt, ex-PDG de Google, les entreprises les plus innovantes ne se contentent pas d’observer les pratiques de leurs concurrents directs, elles cherchent à s’inspirer d’autres secteurs d’activité pour se réinventer. C’est en scrutant des industries éloignées qu’elles découvrent des modèles disruptifs qui leur permettent de se différencier.
Dans le cadre de mes missions, j’adopte une stratégie similaire : je conseille toujours aux entreprises que j’accompagne de ne pas limiter leur veille concurrentielle à leur secteur. Il est fréquent que l’inspiration nécessaire pour se réinventer vienne d’industries complètement différentes. Par exemple, une entreprise de services financiers pourrait s’inspirer des innovations issues du design ou de la logistique pour améliorer son expérience client ou optimiser la gestion de ses flux d’informations.
L’IA comme opportunité d’élargir son champ de connaissances
L’intelligence artificielle représente aujourd’hui une opportunité sans précédent pour élargir notre champ de connaissances et de compétences. Grâce à l’IA, l’accès à des savoirs issus de multiples disciplines devient plus rapide et plus facile que jamais. L’IA générative permet de traiter les informations de manière transversale, offrant ainsi des connexions inédites.
En ce sens, l’IA devient un partenaire d’apprentissage formidable, augmentant notre capacité à explorer des idées que nous n’aurions peut-être jamais envisagées seul.Loin d’être une menace, l’IA peut être un outil complémentaire à l’intelligence humaine. En associant notre curiosité naturelle à la puissance de l’IA, nous pouvons étendre notre champ d’exploration et nourrir notre intelligence de manière inédite. L’IA peut nous pousser à poser des questions différentes et à nous exposer à des savoirs nouveaux.
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Si l’intelligence brute est un atout, elle ne peut donc véritablement s’exprimer sans le soutien d’une culture générale solide. En élargissant constamment notre champ de connaissances et en explorant des secteurs variés, nous amplifions notre capacité à innover et à résoudre des problèmes complexes. Grâce à l’intelligence artificielle, cette exploration devient encore plus accessible. L’IA, en tant qu’outil complémentaire, nous permet de multiplier nos sources de savoir et d’affiner notre capacité à connecter des idées. C’est en cultivant cette synergie entre culture générale et technologie que nous resterons à la pointe de l’innovation dans un monde en perpétuelle transformation.
Par Harvard Business Review France
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