Le chantier de restauration de Notre-Dame de Paris a révélé des secrets inédits sur sa construction et l’origine précise des matériaux employés, mais aussi sur les techniques d’édification ingénieuses déployées par les bâtisseurs médiévaux. Tout aussi surprenante, l’étude des structures et des éléments récupérés a permis de reconstituer les conditions climatiques des différentes époques qui ont jalonné la construction de ce monument emblématique.
La catastrophe de l’incendie de la cathédrale Notre-Dame de Paris a déclenché l’ouverture d’un chantier scientifique inédit qui a permis d’amasser des connaissances tant sur l’édifice lui-même que sur sa construction en passant par le climat de l’époque.
À l’heure de la réouverture de Notre-Dame de Paris, on se remémore encore le choc de l’incendie du 15 avril 2019 et l’état de sidération qu’il a laissé chez certains d’entre nous. Mais, au-delà de Paris, de la France et même de l’Europe, les émotions plurielles ressenties se sont très rapidement traduites en mobilisations tout aussi plurielles. Il a alors fallu fédérer les volontés, les compétences et les forces en présence. Notre rôle a consisté à structurer l’organisation des recherches tout en assurant l’articulation du chantier scientifique avec les acteurs de l’archéologie ainsi qu’avec la maîtrise d’œuvre (architectes en chef de monuments historiques) et la maîtrise d’ouvrage (Établissement public « Rebâtir Notre-Dame »).
La cathédrale s’est alors transformée en une série de chantiers multiples et interconnectés avec notamment celui de la restauration et le chantier scientifique, ce dernier œuvrant sous l’égide du ministère de la Culture et du CNRS avec la participation d’autres organismes universitaires et de recherche. Les recherches battent leur plein depuis 5 ans : sur la cathédrale, dans les réserves accueillant ses vestiges altérés (bois des charpentes, pierres, métaux), mais aussi dans d’autres monuments et sur divers terrains de comparaison (forêts, carrières de pierres, matériauthèques des laboratoires…).
De nombreux résultats inédits, certains inattendus, ont été obtenus, par exemple sur l’épaisseur des voûtes, la succession des opérations de construction sur le chantier du Moyen Âge ou encore les forêts au sein desquelles ont été abattus les arbres ayant servi à fabriquer la charpente médiévale.
Pas moins de trois journées ont été dédiées à la présentation de ces résultats en avril 2024 à la Cité de l’Architecture et du Patrimoine à Paris lors d’un colloque intitulé « Naissance et renaissance d’une cathédrale. Notre-Dame de Paris sous l’œil des scientifiques ».
Les nouvelles données archéologiques, associées à celles des datations, ont conduit à dresser une chronologie fine de la construction de la nef avec en particulier la mise en évidence d’une latéralisation nord-sud dans l’organisation des travaux. Une césure au-delà de la 3e travée occidentale a aussi été révélée, pouvant témoigner d’une rupture dans le déroulé du chantier à la fin de la construction de la nef.
Une architecture aux limites du possible
La mesure directe de l’épaisseur des voûtes médiévales de Notre-Dame a permis de révéler leur finesse surprenante (12-15 cm au niveau du chœur ; 19-24 cm pour celles de la nef). Fort de ce constat, les chercheurs ont alors mesuré les voûtes d’autres cathédrales par géoradar et scan 3D. L’équipe du Groupe de Travail (GT) Pierre, dirigée par Yves Gallet, a montré que les voûtes de Notre-Dame étaient les plus fines mesurées à ce jour dans le cadre du chantier scientifique mettant en évidence une cathédrale singulière par la finesse de sa structure témoignant d’une architecture aux limites du possible. Les études de la mécanique des voûtes et la simulation numérique de leur comportement par l’équipe de Stéphane Morel ont aussi été primordiales dans le cadre de la restauration.
L’approvisionnement du chantier est maintenant documenté grâce à plusieurs études. Les recherches de Lise Leroux au LRMH sur les caractéristiques des pierres confirment que les calcaires proviennent du Bassin parisien, d’abord proches de Paris puis avec un éloignement au fil du temps du fait de l’épuisement des gisements d’origine ou de leur inaccessibilité progressive liée à l’urbanisation.
La provenance ou les provenances du fer restent à préciser, mais les signatures chimiques des impuretés de ce matériau mesurées au cours des travaux du GT Métal dirigé par Maxime L’Héritier et dans le cadre de la thèse de Mathilde Bernard suggèrent d’ores et déjà que l’origine est à rechercher en dehors du Bassin parisien.
Quant aux bois des charpentes médiévales, les recherches novatrices et originales menées sous la houlette d’Alexa Dufraisse (responsable du GT Bois), à partir de leur analyse élémentaire, combinée à celles de bois issus de 12 forêts actuelles du Bassin parisien, ont conduit à identifier les aires potentielles au sein desquelles les chênes ont été abattus. Les trous de flottage (témoignant de l’assemblage de bois pour les acheminer par flottage sur la Seine) documentés sur certains d’entre eux indiquent par ailleurs qu’ils ont été amenés au moins en partie par la Seine sur le lieu de la construction de la cathédrale, et ce, dès la fin du XIIe siècle, faisant reculer de plus de 200 ans ce type de pratique dans l’île de la Cité.
En plus de ces ressources, réemploi et recyclage ont été mis en évidence à plusieurs endroits du chantier médiéval pour les différents matériaux (bois, pierre, fer) apportant un nouvel éclairage sur les pratiques d’approvisionnement des chantiers des cathédrales.
Une reconstitution du climat d’il y a 1 000 ans
Le bois étant une archive à la fois culturelle et biologique, l’étude de ce matériau a aussi ouvert la voie à des questions relatives aux types de forêts exploitées et à la reconstitution du climat à l’époque médiévale dans le Bassin parisien. L’épaisseur des cernes a montré que les bois utilisés dans la construction de la charpente médiévale étaient issus de forêts n’ayant pas subi de coupe régulière.
La mesure du rapport isotopique de deux isotopes stables de l’oxygène, rapport directement relié à la température estivale, a permis de quantifier l’optimum climatique médiéval (l’optimum climatique médiéval, autour de l’an 1000, est une période caractérisée par des températures un peu plus élevées que la période précédente et que le petit âge glaciaire qui suivra) dans le Bassin parisien et de mettre en évidence des étés moins chauds qu’actuellement entre 1046 et 1240 ainsi qu’une augmentation lente de la température estivale sur cette période, restant cependant bien en dessous de ce qui est observé actuellement (thèse de Diane de Boisgueheneuc).
Dans un autre registre, les anthropologues du GT EMOBI (Émotions/Mobilisations) s’intéressent aux perceptions, représentations et appropriations de Notre-Dame de Paris par son public et ses usagers. Afin de mieux cerner la nature et l’origine de l’émotion sans précédent suscitée par l’incendie de la cathédrale, un questionnaire très complet a été élaboré. Il a reçu plus de 2 000 réponses, toujours en cours de traitement, mais permettant de commencer à cerner l’attachement au monument d’usagers-experts, amoureux de la cathédrale et profondément impliqués dans son devenir.
Vue 3D de Notre-Dame (coupe longitudinale sur la partie sud et plan au sol), obtenue à partir de la superposition de plusieurs nuages de points. En blanc, le nuage issu des campagnes de relevés de l’historien Andrew Tallon, entre 2006 et 2012. En rouge, le nuage issu d’une autre campagne qui a eu lieu avant l’incendie de 2019 et en bleu, celui du plan de la cathédrale, réalisé après l’incendie. © V. ABERGEL/L. DE LUCA/MAP/Vassar College/GEA/LIFE 3D/Chantier scientifique Notre-Dame de Paris/Ministère de la Culture/CNRS
Enfin, le chantier scientifique s’est distingué par l’usage structurant des technologies numériques. Le groupe de travail animé par Livio de Luca a créé un jumeau numérique de la cathédrale qui regroupe toutes les données scientifiques dans leur grande variété et spécificités (photogrammétries, relevés 3D effectués par drones, relevés numériques et photographiques et même analyses chimiques) toutes numérisées et parfaitement localisées sur le monument. Cette nouvelle cathédrale numérique constitue un outil exceptionnel tant pour les architectes chargés de la restauration que pour les scientifiques. D’autres modèles numériques ont également été construits, notamment pour étudier l’évolution de l’acoustique de la cathédrale et des paysages sonores, pour restituer les sons de la ville et du chantier à l’époque de la construction de Notre-Dame, mais également au cours de sa longue histoire.
L’ensemble des méthodologies développées, des référentiels élaborés et des résultats obtenus a ouvert des réflexions et questionnements qui dépassent largement la cathédrale Notre-Dame de Paris. Si les recherches effectuées au sein même du monument prennent fin avec le démontage des échafaudages et la réouverture au public, elles se poursuivent sur les prélèvements collectés et les matériaux encore accessibles dans le dépôt permettant leur conservation, mais aussi sur d’autres monuments.
Ainsi, un réseau thématique, soutenu par le ministère de la Culture et le CNRS, va être créé le 1er janvier 2025, sous la direction de Maxime L’Héritier. Ce réseau, nommé Maestro, permettra d’appréhender les défis des grands monuments, de leurs matériaux, de leurs structures et de leurs environnements. En s’appuyant sur les expériences acquises dans le cadre du chantier scientifique Notre-Dame de Paris, non seulement en termes de méthodes développées et mises en œuvre, mais aussi au niveau des partenariats inter-institutionnels noués, les recherches seront adossées aux opérations de restauration des monuments historiques, qu’il s’agisse de cathédrales, d’abbayes, de châteaux, d’hôtels particuliers ou d’enceintes urbaines par exemple, afin d’appréhender ces monuments dans toute leur complexité
Par FUTURA
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