PLD Space, une entreprise espagnole en pleine expansion, suscite l’intérêt avec des ambitions qui lui valent d’être comparée à SpaceX. Nous avons voulu en savoir plus sur cette société qui projette de développer une gamme complète de lanceurs ainsi qu’un système de transport spatial habité. Pour approfondir cette initiative, son directeur commercial et cofondateur Raúl Verdú partage sa vision de l’avenir des lanceurs européens, ses perspectives de marché et le développement de ses lanceurs Miura.
Alors qu’Ariane 6 se prépare pour son deuxième lancement (fin février 2025), l’entreprise PLD Space annonce avoir obtenu un prêt de 11 millions d’euros de Cofides, la société commerciale publique espagnole, pour accélérer le développement du site de lancement Miura 5 au Centre spatial de Kourou, en Guyane française.
Au total, PLD Space investira 16 millions d’euros dans le développement, la construction et l’exploitation de cette infrastructure stratégique située au sein du Centre spatial guyanais. Ce prêt vient compléter l’investissement prévu par l’entreprise dans le complexe de lancement Miura 5, qui s’étendra sur 15 765 mètres carrés dédiés aux campagnes de lancement de son futur lanceur. Les installations seront organisées en trois zones principales : le pas de tir, la zone de préparation et le centre de contrôle. La première campagne de vol de Miura 5 est prévue pour fin 2025. L’initiative de PLD Space contribuera à garantir un accès autonome et compétitif à l’espace pour l’Europe, tout en créant plus de 10 emplois directs et 50 emplois indirects à Kourou.
Les ambitions de PLD Space sont si élevées que certains n’hésitent pas à la comparer à SpaceX. L’entreprise prévoit de mettre en service une famille de lanceurs Miura, capable de répondre à une large gamme de besoins en matière de lancement, allant des petits satellites aux charges utiles de 50 tonnes. De plus, à partir de 2030, PLD Space envisage de réaliser des missions humaines avec Lince, la première capsule commerciale habitée d’Europe. Pour en savoir plus sur ces ambitions, nous avons eu l’opportunité d’interviewer Raúl Verdú, directeur du développement commercial et cofondateur de PLD Space.
La famille de lanceurs Miura de PLD Space. © PLD Space
Futura : Vos projets semblent particulièrement ambitieux et je voudrais savoir si vous anticipez qu’il existe un marché suffisamment vaste en Europe et dans le monde pour soutenir pleinement l’activité de tous vos lanceurs ?
Raúl Verdú : Le segment des lanceurs est l’épine dorsale de l’industrie spatiale, plus important aujourd’hui que le secteur des véhicules électriques. En tant que seule passerelle permettant aux opérateurs de satellites d’accéder à l’espace, la disponibilité limitée et irrégulière des lanceurs au niveau mondial a créé un goulot d’étranglement important. Ce manque de capacité de lancement limite la croissance globale de l’industrie. Dans le même temps, le marché des lancements devrait croître et atteindre une valeur de 30 milliards de dollars en 2033.
À court terme, Miura 5 débloquera le secteur des petites charges utiles qui, en 2023, était évalué à 1,92 milliard de dollars (estimation faite à partir de la valeur de lancement de toutes les charges utiles de moins de 500 kilos) et suivra régulièrement sa tendance ascendante avec un taux de croissance à deux chiffres au cours des dix prochaines années. La taille prévue de l’industrie des petites charges utiles et l’état actuel du développement des autres petits lanceurs permettront à Miura 5 de jouer un rôle majeur dans un marché de 1,8T$ (selon McKinsey).
Les projets à venir de la société visent à s’attaquer à des marchés plus importants. La famille Miura Next ouvrira de nouveaux marchés de services encore inexistants en Europe et très limités dans le reste du monde, où il n’y aura pas assez de compétences pour répondre à l’ensemble de la demande. Il s’agit notamment des missions de fret (toute charge utile vers n’importe quelle orbite) et des missions habitées (Lune et Station spatiale internationale).
Le lanceur léger Miura 5 dont le premier étage est réutilisable, qui pourra embarquer 300 kilos en orbite héliosynchrone, avec un premier vol prévu en 2025 depuis le Centre spatial guyanais de Kourou. © PLD Space
Futura : Pourriez-vous partager les conclusions de vos études de marché concernant chacun de vos lanceurs ainsi que vos véhicules cargo et habités ?
Raúl Verdú : L’étude de marché réalisée par PLD Space conclut que la famille Miura permettra à l’entreprise d’accéder à 100 % des missions commerciales disponibles sur le marché, ce qui nous donnera les moyens de garantir l’accès à n’importe quelle charge utile sur n’importe quelle orbite.
En outre, PLD Space aura accès à des missions institutionnelles et de défense spécialement conçues pour nos véhicules, ce qui n’est possible que grâce aux capacités techniques de notre future famille de produits. L’exemple le plus pertinent est le véhicule habité Lince, qui ouvrira la voie à de nouvelles missions jusqu’ici inexploitées.
Futura : Quelles sont ces missions jusqu’ici inexploitées ?
Raúl Verdú : Des missions en orbite basse à destination de la Station spatiale Internationale et des futures stations spatiales privées, à destination de l’orbite lunaire et des missions liées aux ressources spatiales.
Futura : Quel est votre intérêt pour le tourisme spatial et les vols habités commerciaux destinés à l’industrie et à la communauté scientifique ?
Raúl Verdú : Pour l’instant, le marché du tourisme spatial et les vols habités commerciaux ne font pas partie de nos projets. Le modèle économique de PLD Space est axé sur le lancement de charges utiles en orbite, l’infrastructure spatiale et les missions institutionnelles habitées.
Futura : Quels sont les financements obtenus, et pensez-vous qu’ils soient suffisants pour lancer et développer vos différentes gammes de lanceurs ?
Raúl Verdú : À ce jour, nous avons reçu plus de 170 millions d’euros de financement, dont la majorité provient d’investisseurs privés. Nous avons actuellement assuré le développement complet de Miura 5, y compris sa fabrication, ses essais et son lancement, ainsi que notre feuille de route technologique jusqu’en 2028. Pour la nouvelle famille de lanceurs Miura Next et notre capsule habitée Lince, nous aurons besoin d’un investissement de 700 millions d’euros.
Retour sur la terre ferme des quatre boosters de Miura Next Super Heavy, l’une des fusées les plus puissantes au monde lorsqu’elle sera mise en service. Elle sera capable de lancer plus de 16 tonnes vers la Lune et 13 tonnes vers Mars dans sa version non récupérable, ainsi que 3,6 tonnes vers la Lune et 2,4 tonnes vers Mars dans sa version récupérable. © PLD Space
Futura : Quelles innovations ou choix technologiques audacieux avez-vous intégrés dans le développement de vos lanceurs ?
Raúl Verdú : Le succès industriel de PLD Space est principalement marqué par les choix technologiques réalisés au cours des dernières années et qui ont conduit au lancement de la première fusée privée en Europe, et au développement actuel de Miura 5, de la famille Miura Next et de Lince. Dans le même temps, nos développements intègrent des techniques et des matériaux ayant atteint une grande maturité dans l’industrie, ce qui permet de réduire les risques inutiles.
D’un point de vue industriel, nous avons adopté une stratégie d’intégration verticale de l’ensemble du processus du cycle, en nous appropriant les infrastructures nécessaires. En conséquence, PLD Space se distingue par son agilité à respecter les délais de livraison, la plus grande fiabilité des vols grâce à la rapidité des itérations et au contrôle de la qualité du processus, ainsi qu’une rentabilité qui lui permet d’être compétitif sur le marché.
En matière de technologie, nous affirmons notre engagement envers l’environnement à travers notre stratégie de récupération des lanceurs et le développement d’un biocarburant pour les moteurs de fusée en collaboration avec Repsol. De plus, nous avons récemment annoncé que nous travaillons sur un système d’atterrissage propulsif pour le premier étage de nos lanceurs, une innovation qui renforcera encore notre approche durable.
Futura : Quelles sont les caractéristiques du moteur réutilisable en matière de performance, de masse, de réutilisabilité et de coût ? Quels types de carburant envisagez-vous d’utiliser ?
Raúl Verdú : Le premier étage de Miura 5 est propulsé par cinq moteurs Teprel-C, le moteur phare de PLD Space. Avec une poussée de 190 kN, le Teprel-C utilise un cycle générateur de gaz et représente une avancée par rapport au TeprelL-B de Miura 1 (notre fusée de démonstration technologique), qui a fait ses preuves en vol.
Chaque Teprel-C dispose de sa propre turbopompe, d’un système d’allumage indépendant et d’une avionique de contrôle, ce qui permet de tester séparément chaque moteur avant l’assemblage final dans le bloc moteur du premier étage.
Le deuxième étage de Miura 5 est basé sur la même architecture structurelle que le premier. Le deuxième étage est propulsé par un seul moteur Teprel-C optimisé pour le vide de 75 kN de poussée. Il est capable de redémarrer plusieurs fois, y compris une combustion de désorbitation pour réduire l’impact environnemental du véhicule de lancement.
En revanche, tous nos moteurs utiliseront de l’oxygène liquide et du biokérosène. La différence entre le Teprel-C (moteur Miura 5) et les moteurs Miura Next (encore sans nom) est que le premier est à cycle ouvert, tandis que le second sera à cycle fermé. Ce nouveau moteur sera une évolution du Teprel-C et fonctionnera selon un cycle de combustion étagée riche en oxygène.
Futura : Les lanceurs sont-ils partiellement ou totalement réutilisables ?
Raúl Verdú : Seul l’étage principal de nos lanceurs sera réutilisable.
Vue d’artiste de la capsule Lince de PLD Space. © PLD Space
Futura : Quelles sont les caractéristiques du véhicule cargo et de sa version habitée en matière de masse, de dimensions, de capacité de transport et de durée de vie en orbite ?
Raúl Verdú : PLD Space a franchi une étape importante en élargissant son offre de transport spatial avec Lince, la première capsule habitée développée par une société privée en Europe avec une capacité de 8 m3. Ce programme permettra à l’Europe d’envoyer des astronautes dans l’espace et de les ramener sur Terre en toute sécurité, renforçant ainsi la souveraineté de l’Europe en matière de missions spatiales habitées.
La capsule est capable de transporter de quatre à cinq astronautes par vol, jusqu’à une altitude de 420 kilomètres ou vers la Station spatiale internationale (ISS) à une inclinaison de 51,64°. Par ailleurs, elle pourra transporter une charge utile de 5 000 kilos et ramener sur Terre jusqu’à 3 400 kilos de fret. En outre, elle offrira des capacités de transfert pour des missions lunaires.
Les premiers essais de Lince devraient commencer en 2025 pour effectuer son premier vol d’essai non habité avec Miura 5 en 2028, lancé depuis le port spatial européen de Kourou en Guyane française, avec pour objectif de réaliser un premier vol orbital en 2030.
“Nous pensons qu’il n’y a de la place que pour une ou deux entreprises en Europe, et que le champion européen des lanceurs spatiaux se définira sur le marché”
Futura : L’Espagne sera-t-elle votre seule base ou envisagez-vous de vous installer ailleurs ?
Raúl Verdú : Miura 5 sera lancé depuis le port spatial européen de Kourou (Guyane française), propriété du Centre national d’études spatiales (Cnes) et de l’Agence spatiale européenne (ESA). En fait, nous deviendrons le premier opérateur de lancement non institutionnel qui se mettra en orbite à partir de cette base historique. Nous nous sommes toujours engagés à ce que le CSG soit le site principal pour les lancements récurrents de Miura 5, car c’est la base de lancement la plus compétitive d’Europe. Kourou est la seule base en Europe avec une expérience opérationnelle où Miura 5 peut atteindre n’importe quelle orbite. Pour PLD Space, c’est aussi l’occasion de boucler la boucle en développant, fabriquant, testant et lançant des fusées en orbite depuis le territoire européen. PLD Space investira initialement plus de 10 millions d’euros dans le complexe de lancement Miura 5 au CSG.
Par FUTURA
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