Malgré une inflation annuelle entrée en territoire négatif depuis juillet 2024, le pouvoir d’achat des ménages sénégalais continue de subir des pressions significatives. Alors que l’indice des prix à la consommation affiche des chiffres en baisse, l’impact réel sur le quotidien des consommateurs reste limité. Une enquête approfondie révèle les raisons de cette apparente déconnexion entre les données macroéconomiques et la réalité du terrain.
Par Zaynab SANGARÈ, Sénégal
Depuis juillet 2024, l’inflation au Sénégal a entamé une trajectoire inhabituelle vers des taux négatifs, atteignant -0,7% en juillet, -1,9% en août, avant de se stabiliser à -0,6% en septembre. Sur le mois d’octobre 2024, l’inflation annuelle s’est encore réduite à -0,2%. Cependant, cette baisse des prix ne s’est pas traduite par une amélioration significative du pouvoir d’achat des Sénégalais, qui continuent de ressentir une pression sur leurs finances.
Selon les données de l’Agence nationale de la statistique et de la démographie (ANSD), les principales réductions de prix ont été observées dans les catégories des « produits alimentaires et boissons non alcoolisées (-1,1%) et des services de logement, eau et énergie (-0,2%) ». Cependant, ces réductions n’ont pas suffi à alléger le fardeau économique des ménages, pour plusieurs raisons structurelles.
Des prix en baisse, mais une consommation concentrée sur des produits en hausse
Le premier facteur de cette déconnexion est la composition même de l’indice des prix. Alors que l’inflation globale montre une tendance à la baisse, les secteurs où les ménages dépensent le plus continuent de connaître des augmentations de prix. Par exemple, les biens et services divers ont enregistré une hausse de + 4,2%, et les restaurants et hôtels ont vu leurs prix augmenter de +3,1%. Ces secteurs, souvent liés aux produits et services importés, sont directement affectés par la hausse des coûts d’importation, exacerbée par la dépréciation du franc CFA. De plus, les prix des produits importés ont augmenté de +3,9%, un chiffre inquiétant pour une économie fortement dépendante des importations pour ses besoins en produits de consommation courante. Par contraste, les prix des produits locaux ont baissé de -2,2%, mais leur part dans la consommation totale reste relativement faible, surtout dans les zones urbaines où les produits importés dominent les étals des marchés.
La déflation observée s’explique en partie par un ralentissement de la demande intérieure, résultant de la baisse du pouvoir d’achat. Cependant, cette baisse de la demande ne touche pas uniformément tous les secteurs. Les biens essentiels, souvent importés, continuent de subir des hausses de prix dues aux fluctuations des devises et aux coûts logistiques élevés. En effet, le Sénégal, comme beaucoup d’autres pays africains, est confronté à une pression économique globale liée aux coûts des matières premières et à l’instabilité des chaînes d’approvisionnement. Les prix de nombreux produits de base restent élevés, et cette situation est exacerbée par des mesures fiscales, telles que l’augmentation des taxes sur certaines importations, visant à combler les déficits budgétaires.
Stagnation des revenus et effets limités sur le pouvoir d’achat
Un autre facteur clé est l’absence de hausse significative des revenus des ménages. Bien que l’inflation ait baissé, les salaires et les revenus réels n’ont pas suivi le rythme de l’évolution des coûts de la vie. En particulier, les travailleurs du secteur informel, qui représentent une large majorité de la population active, n’ont bénéficié d’aucune augmentation substantielle de leurs revenus, ce qui limite leur capacité d’achat. Parallèlement, les coûts des services essentiels, comme l’éducation et la santé, ont continué d’augmenter. Par exemple, les tarifs des services de l’enseignement ont connu une hausse de +2,1% durant la période de rentrée scolaire en octobre, ce qui pèse lourdement sur le budget des ménages déjà affectés par la conjoncture économique.
Défis pour la politique économique
Face à cette situation, le gouvernement sénégalais se trouve confronté à un dilemme. La baisse de l’inflation aurait dû, en théorie, alléger le fardeau économique des ménages, mais la persistance de hausses dans des secteurs clés annule cet effet. Les décideurs sont appelés à mettre en œuvre des politiques économiques plus ciblées pour stabiliser les prix des biens essentiels, renforcer la production locale, et améliorer les revenus des ménages, notamment ceux du secteur informel. Une approche possible pourrait inclure une réduction des taxes sur les importations stratégiques et une politique monétaire visant à stabiliser le franc CFA, afin de réduire l’impact des fluctuations des devises sur le coût des importations. Par ailleurs, des initiatives visant à renforcer la production locale et à encourager la consommation de produits locaux pourraient contribuer à atténuer la dépendance aux importations et à stabiliser les prix.
Zaynab SANGARÈ
(Afrik Management/ Novembre 2024)
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