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Un bâtiment en terre crue peut durer plus longtemps qu’un édifice en béton : voici pourquoi

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Aujourd’hui, au royaume du bâtiment, le béton et le ciment sont rois. Mais, demain peut-être que la construction en terre crue réussira à se refaire une place à la cour. C’est ce qu’envisage le film documentaire de Jérémie Basset, Toucher terre, une production Jupiter Films. Erwan Hamard, chercheur impliqué dans le Projet National Terre Crue, nous explique pourquoi l’idée est intéressante.

Construire en . Une idée d’écolos un peu perchés, pensez-vous ? Eh bien, peut-être pas tant que cela. C’est la démonstration à laquelle se risque le film de Jérémie Basset, Toucher terre, distribué par  Films au cinéma le 16 octobre. Juste avant la neuvième édition des Journées nationales de l’architecture (18 au 20 octobre 2024). En 68 minutes, le documentaire fait le tour des atouts de la terre comme  de . Un matériau facile à extraire et à utiliser. Un matériau disponible partout. Avec de précieuses qualités phoniques et thermiques. Un matériau auquel on peut donner différentes . Et même, qui peut « durer beaucoup plus longtemps que le béton ».

Nous avons voulu vérifier ce que la science savait réellement de ce matériau un peu particulier. Tellement proche de nous et dont nous nous sommes tant éloignés. Erwan Hamard, chercheur à l’Université , du Campus de Nantes, et membre du bureau exécutif du Projet National Terre Crue qui regroupe tous les chercheurs et professionnels de la construction terre en France, a accepté de nous éclairer. Il nous confirme ainsi d’abord qu’un bâtiment en terre crue peu effectivement durer plus longtemps qu’un bâtiment en béton.

« En béton armé, surtout. Parce que ce sont les  du béton qui vont finir par causer sa perte. À cause de la carbonatation », nous explique le chercheur. Comprenez, à cause du  (CO2 – encore lui -, de l’ qui va s’insinuer dans les pores du matériau et réagir avec le . Résultat, le béton devient  et attaque les , exposant les armatures à la . Avec, pour conséquence, une perte de résistance structurelle et un risque d’.

« Avec le béton armé, un compte à rebours est lancé au moment de la construction. On sait qu’à un moment donné, le bâtiment va finir par présenter des . Cela n’arrive pas avec le matériau terre. L’eau peut l’éroder, certes, mais seulement en surface. Le cœur du matériau, lui, demeure intact. L’avantage, c’est qu’on peut donc traiter le problème simplement en repassant une couche d’enduit. »

Le matériau terre n’a pas à rougir de ses imperfections

Attention tout de même à ne pas confondre « durer plus longtemps » et « meilleure résistance mécanique »« Parce que le matériau terre crue présente la résistance mécanique parmi les plus faibles des matériaux de construction », reconnait sans détours Erwan Hamard. Mais alors, n’est-ce pas gênant pour construire des bâtiments sûrs ? « Le matériau terre a l’une des résistances mécaniques les plus faibles de sa catégorie, mais une résistance mécanique tout de même suffisante pour construire des bâtiments d’un, deux ou même trois étages. Aujourd’hui, la référence, c’est le parpaing et sa résistance mécanique de l’ordre de 5 ou 6 mégapascals. Celle du matériau terre, elle, ne dépasse pas les 1 ou 2 mégapascals. Mais, sachant que la résistance mécanique que doit présenter un bâtiment à deux niveaux est de l’ordre de quelques dixièmes de mégapascal, c’est encore largement suffisant. Nos standards sont devenus bien trop élevés. Ils ne sont plus en rapport avec nos besoins en  de sécurité. »

Le tout avec, en plus, une conséquence plutôt fâcheuse pour notre environnement et notre « Quand on utilise un parpaing, notre forfait de résistance mécanique est surdimensionné. On dépense beaucoup d’ et de matière. On émet trop de CO2. Avec la terre crue, on peut jouer sur l’épaisseur des murs, ajuster la quantité de matière. On peut optimiser. » Comme on peut d’ailleurs le faire aussi avec des matériaux comme le  ou la pierre.

Le saviez-vous ?

La réversibilité de la terre crue est une faiblesse. Mais c’est aussi une force. D’autres matériaux sont liés de manière définitive par la chimie. Leur recyclage est difficile et coûteux. La terre, quant à elle, peut être réemployée en fin de vie à moindre prix et avec peu de dépenses d’énergie tout en préservant ses propriétés. Elle peut aussi être simplement étalée sur un champ et rendue à la nature.

Très bien, mais on imagine tout de même qu’un bâtiment en terre crue peut se montrer sensible aux inondations. C’est un peu d’actualité, alors… Et si on se souvient des crues exceptionnelles du Rhône et de la Saône survenue en 1840 et des bâtiments entiers en terre qui s’étaient effondrés, il y a peut-être de quoi s’inquiéter pour un avenir que les  nous prévoient pour le moins incertain de ce point de vue.

« Le matériau terre est sensible à l’eau, c’est vrai. Mais il faut d’abord souligner qu’un bâtiment en terre ne s’effondre pas en un battement de cil. Il laisse généralement largement le temps à une évacuation. Ensuite, nos plans de gestion des risques font désormais apparaître clairement les zones inondables. Dans ces zones-là, mieux vaudra construire un premier niveau en béton ou en pierre, même si les étages pourront être en terre. De toute façon, un bâtiment en terre, cela n’existe pas. Il y a toujours des fondations, un sous-bassement, une . La terre est l’un des matériaux du bâtiment, mais jamais le seul. »

Les constructions en terre face aux séismes

Et que se passe-t-il en cas de tremblement de terre ? Comme ils l’ont fait pour d’autres matériaux, les chercheurs ont pensé à renforcer la terre. « Certains travaillent sur des renforts à base de biomatériaux », précise Erwan Hamard. Mais la plupart du temps, ce qui est envisagé, c’est un renforcement à base… de ciment ! Une véritable « Dans un mur en terre, il faut mettre beaucoup plus de ciment que dans un mur en parpaing. L’impact environnemental est catastrophique. Mieux vaut alors construire en béton. »

Pour le chercheur engagé dans le Projet National Terre Crue, la solution est plutôt dans l’adaptation de l’architecture. « En France, la question ne se pose pas vraiment, car nous sommes peu exposés aux séismes. Mais, en Amérique du Sud par exemple, il y a énormément de bâtiments en briques de terre qui résistent à de puissants . Des fissures peuvent apparaître, mais les populations sont alors tout à fait capables de réparer. »

Pourtant, lors du séisme qui a secoué le Maroc en septembre 2023, des maisons en terre se sont effondrées. Mais, à y regarder de plus près, des bâtiments en béton sans doute tout autant. « Nous sommes là face à un problème plus culturel que technique. Nous avons tendance à vouer une confiance aveugle dans les matériaux que nous avons domestiqués, reformulés. Ils ne peuvent pas être à l’origine d’un problème puisque nous les avons produits. Alors que la terre crue, c’est un matériau sauvage en quelque sorte, primitif.

Notre culture nous en donne un a priori négatif. Certes, la terre crue ne présente pas une résistance mécanique exceptionnelle et elle est sensible aux conditions extérieures. Mais il existe des techniques et des architectures qui permettent de la rendre meilleure. Et puis, répétons-le, parce que c’est important, la terre crue a quand même cet avantage indéniable de ne pas s’effondrer d’un seul coup. De donner des signaux qui permettent d’évacuer les occupants des bâtiments pour éviter le pire. »

De la terre dans nos maisons pour plus de confort

Nous voici donc rassurés. Vivre dans une maison en terre, ce n’est, a priori, pas plus risqué que vivre dans un bâtiment en béton. Mais qu’en est-il du confort ? « De nos jours, on a tendance à associer confort à . Or, selon la réglementation actuelle, le matériau terre n’est pas un  », reconnait Erwan Hamard. Alors, comment expliquer ces personnes qui, dans le film Toucher terre, racontent qu’elles vivent dans un confort inégalé depuis qu’elles ont investi une maison en terre ?

« Un bâtiment qu’on a maltraité, dans un environnement où le niveau du sol a été relevé au-dessus du niveau du sous-bassement, provoquant des remontées capillaires sans possibilité d’évacuation. Un bâtiment dont les murs ont été recouverts d’un enduit-ciment qui les empêche de respirer. Un tel bâtiment n’offrira pas le confort attendu. Mais un bâtiment en terre crue traditionnel auquel on n’a pas touché se comporte très bien sur le plan thermique. Parce que le matériau terre présente une grande . » Comprenez qu’un mur en terre crue a la capacité de résister aux changements de température.

Comment ça marche ? « En  et en , lorsque les températures extérieures sont fraîches et que l’ est importante, de l’eau va se condenser à l’intérieur du mur en terre. Cela va générer une  latente qui va renforcer le pouvoir de résistance du mur à la pénétration du froid. Le mur restera chaud plus longtemps. En été, les premières chaleurs auront pour effet de faire évaporer l’eau dans le mur qui restera ainsi, au contraire, frais plus longtemps que ses cousins en béton. »

Mais attention, lorsqu’il est question d’eau dans les murs, ici, pas de crainte. L’impact, aussi bien visuel que mécanique, est nul. Dans un mur en terre, il y a 2 à 3 % d’eau. Les variations qui aident à la régulation thermique sont minimes. « Aujourd’hui, ces aspects ne sont pas pris en compte. Les outils de base des bureaux d’étude thermique n’intègrent pas ces phénomènes. Pour valider un bâtiment en terre crue, il faut utiliser des outils de simulation thermique dynamiques. Ils sont plus chers. Les études sont plus longues. Résultat, la terre crue est rarement retenue. »

« Le Projet National Terre Crue a pour ambition de remettre l’humain au centre de la réflexion. Ne penser la partie thermique d’un bâtiment seulement en termes de  qu’il perd, c’est oublier qu’il y a des gens qui vivent à l’intérieur de ces bâtiments. L’inertie est tout aussi importante. Une maison seulement bien isolée peut devenir invivable en période de . Beaucoup de bâtiments en béton armé isolés au  et mal ventilés sont devenus des boîtes étanches dans lesquels il est apparu de la moisissure. Les gens en tombent malades.

Pour donner un exemple très concret, celui de la ville de Bouguenais  : près de Nantes] où est installé notre laboratoire. Elle a construit un bâtiment en terre crue d’une part et en matériaux conventionnels d’autre part. Il se trouve que les mêmes usagers, pour un même confort, règlent le  à 17 °C dans les bureaux en terre crue et à 19 °C dans les autres. Cela montre à quel point il est important de travailler sur la perception du confort pour proposer des solutions intéressantes pour les usagers et pour l’environnement. »

De la terre pour construire partout autour de nous

Et puisqu’il est question d’environnement, un point n’a pas encore été abordé : celui de la disponibilité de la ressource. On sait ce qu’il en est du  qui sert aux constructions en béton et qu’il faut aller chercher loin, en mer. « Le  que je suis s’intéresse tout particulièrement à ce type de problématiques. Si on se pose la question de savoir quel matériau employer pour construire nos villes, on doit se poser la question des ressources locales. Alors la réponse apparaît très clairement. De manière évidente. C’est la terre.

La terre, il n’est nul besoin d’aller la chercher. Elle est déjà là où on veut construire. Dans des  que vous n’imaginez pas. Des volumes astronomiques. Parce que la terre d’excavation, celle qu’on extrait pour construire des parkings, des routes, des fondations et tirer des  ou tisser des réseaux souterrains, c’est de très loin, en , le  le plus abondant en Europe et en France. À tel point que la ressource produite en une année est encore bien supérieure à ce que pourraient être nos besoins en matière de construction », conclut Erwan Hamard.

Par FUTURA

admin
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