En 2023, le nombre de travailleurs et travailleuses à temps partiel s’élève à 4.2 millions en France, soit 17.4¨% des salariés hors apprentis. La faible proportion de travailleurs à temps partiel en France peut s’expliquer par le fait que les postes à temps partiel ne permettent que rarement d’accéder à des postes à responsabilités ou de changer facilement d’emploi. Quel modèle de travail alternatif proposer pour promouvoir davantage le travail à temps partiel ? Le jobsharing !
Qu’est-ce que le jobsharing?
Le jobsharing est une pratique novatrice reposant sur le recrutement interne ou externe de deux talents pour occuper un seul poste et permettant la formation d’un duo aux compétences complémentaires. Deux salariés peuvent se relayer une semaine sur deux ou se partager les jours de la semaine travaillée, avec une journée ou une ½ journée de recouvrement dédiée à la passation de l’information et au travail en commun. Ce sont souvent des personnes dont les profils sont complémentaires, bien que ce ne soit pas systématique. De plus, ces personnes sont interchangeables, dans le sens où elles peuvent piloter l’ensemble de l’activité même en l’absence de leur partenaire.
Le jobsharing peut se répartir en deux formes : un jobsharing « pur » où la répartition du travail permet une substituabilité totale des deux partenaires, assurant une continuité sur tous les dossiers ; et un jobsharing « hybride » où une répartition informelle des dossiers s’opère entre les partenaires, bien que certaines missions restent parfaitement interchangeables, avec une responsabilité partagée.
Aux Etats-Unis, le modèle du jobsharing est né dans les années 70, avec près de 20% des entreprises américaines qui accordent aujourd’hui la possibilité d’un partage d’emploi. Arrivé dans les années 90 en Europe, le jobsharing est un modèle de travail qui se développe dans les pays ayant le plus grand taux de temps partiel, comme aux Pays-Bas (42,4%), en Autriche (30.1%), en Allemagne (28.8%), au Danemark (25.2%), ou encore en Belgique (23.7%). En Suisse, un tiers des effectifs travaillent à temps partiel et 4% de la population salariée travaille en jobsharing.
Ce dispositif, également appelé « top sharing », qui s’adresse principalement aux cadres, y compris dirigeants, connaît un véritable essor pour les postes à responsabilités. Malgré tout, sa percée est encore timide en France, même si on retrouve le jobsharing en expérimentation dans des entreprises comme la SNCF, ce qui a valu au groupe la nomination aux trophées de l’innovation de l’ANDRH à travers l’expérience de Myriam Loingeville et Carole Chipot.
Le modèle du jobsharing devrait être plus attrayant aujourd’hui, grâce aux avancées numériques qui en facilitent la mise en œuvre. Pendant longtemps, les entreprises se montraient réticentes à cette pratique, craignant un manque de communication et de cohérence entre les partenaires. Les outils de communication synchronisés via des plateformes cloud permettent aux duos en jobsharing de rester constamment connectés.
Le jobsharing pour répondre aux aspirations de la Génération Z
Les jeunes appartenant à la nouvelle Génération, qualifiée de Génération Z, regroupant ceux nés après 1995, ne recherchent plus une carrière linéaire, mais préfèrent plutôt multiplier les expériences professionnelles, voire cumuler plusieurs activités en même temps. Selon le sondage OpinionWay, 26 % des jeunes et futurs actifs privilégient le changement d’entreprise tout en conservant le même métier, tandis que 27 % déclarent vouloir exercer différents emplois dans différentes entreprises, et ce chiffre grimpe à 70% parmi ceux désireux de se lancer dans l’entrepreneuriat. L’entrepreneuriat attire également la nouvelle génération, avec 7 jeunes sur 10 qui ont déjà envisagé de créer leur propre entreprise contre 3 actifs sur 10.
Cette tendance d’autoentrepreneurs polyactifs s’affirme comme un véritable phénomène générationnel. La proportion d’autoentrepreneurs polyactifs, c’est-à-dire ceux qui dirigent plusieurs entreprises ou cumulent un emploi salarié et une activité entrepreneuriale, est plus élevée chez les moins de 30 ans (29,5 %) et diminue avec l’âge, passant à 25,5 % pour les 30-40 ans et à 6,6 % au-delà de 60 ans.
Par ailleurs, 80% des jeunes, âgés de 18 à 28 ans, estiment qu’il est important de rejoindre une entreprise qui respecte l’équilibre entre la vie privée et la vie professionnelle (« Enquête auprès des jeunes et des dirigeants d’entreprise sur la Gen Z», Observatoire Sociétal des Entreprises, 2024).
De plus, 60% des jeunes de moins de 30 ans envisagent même de démissionner par manque d’équilibre entre la vie professionnelle et la vie personnelle. Bien que le travail demeure une condition fondamentale pour l’épanouissement des jeunes, et que 85 % d’entre eux considèrent la réussite professionnelle comme essentielle, celle-ci doit s’aligner sur leurs propres critères et attentes.
Pour de nombreux jeunes, le jobsharing permettrait alors d’exercer une activité stimulante à temps partiel, laissant la possibilité d’exercer d’autres activités en parallèle dans l’entreprise et en dehors, et donc de mieux répondre à leur besoin d’épanouissement personnel.
L’humain au centre du jobsharing
Un jobsharing ne peut pas vivre et fonctionner efficacement sans feedback. Chaque semaine, le tandem fait le point, se demande mutuellement conseil et se challenge.
Le jobsharing est une relation de travail horizontale, de pair à pair, avec beaucoup d’engagement et de soutien entre les deux membres du binôme. En cela, le jobsharing est une forme d’aventure humaine, qui replace le lien social au centre du travail et qui donne donc un supplément de sens au travail. La décision est portée à deux : l’avis du partenaire éclaire le choix décisionnel et diminue le sentiment de « solitude du dirigeant » souvent exprimé.
Les collaborateurs, en particulier les plus jeunes, apprécient d’être directement impliqués dans le pilotage de leur carrière et ont besoin de feedback constant. Ils reconnaissent l’intérêt du jobsharing, qui s’organise selon un modèle agile.
L’apprentissage multimodal, au cœur du jobsharing
Une étude allemande a fait ressortir les principales forces du travail en jobsharing, dont un éventail plus large de compétences et de connaissances (selon 80% des managers de tandem) et une plus grande capacité d’innovation et de créativité (selon 70% des managers de tandem). En effet, le jobsharing ne repose pas sur une transmission descendante entre un sachant et un apprenti, mais plutôt sur un apprentissage mutuel, au sein duquel les deux collaborateurs s’enrichissent l’un l’autre, en s’appuyant sur les forces de chacun (« Une meilleure productivité des Tandems » de Hocheschule Heilbronn, The Jobsharing Hub, Twize).
Le jobsharing s’inscrit dans le nouveau paradigme de l’apprentissage, face à une génération caractérisée par une absence de considération pour l’érudition. La transmission verticale des parents aux enfants est confrontée à la culture « des pairs », qui circule horizontalement, notamment grâce à Internet et aux réseaux sociaux numériques. On passe d’une société hiérarchique à une société plus transversale, d’une entreprise apprenante à une entreprise partageante qui promeut la collaboration intergénérationnelle. Un des défis actuels est de valoriser et transmettre le savoir-faire de la génération qui quitte progressivement le marché du travail et d’intégrer les jeunes professionnels : le jobsharing intergénérationnel s’inscrit dans cette démarche. Le jobsharing intergénérationnel est un partage d’emploi occupé par deux personnes ayant un écart d’âge significatif .
Dans un jobsharing intergénérationnel, le junior se retrouve très vite en situation sans avoir le senior à ses côtés, sauf pendant les temps hebdomadaires en commun. Cela demande une grande capacité d’adaptation mais cela donne la possibilité d’expérimenter et de mettre en œuvre les connaissances acquises plus rapidement qu’en attendant “son tour” dans une progression classique en entreprise. Le junior peut être entrepreneur de ses apprentissages. Il se nourrit aussi volontiers des feedbacks du senior, lui reconnaissant une légitimité liée à son savoir-faire et une capacité à le faire grandir. Et cela d’autant plus que le senior du tandem est un partenaire et non une figure d’autorité. Le senior, lui aussi, continue à apprendre et à innover, grâce au regard neuf et expérimental du junior. Chacun fait grandir l’autre.
En résumé, le jobsharing peut reposer sur cette devise : « Redonner sa juste place au travail et faire de la place pour le reste de sa vie », qui répond aux aspirations de la nouvelle génération, en quête d’épanouissement personnel et professionnel. Dans le jobsharing, on retrouve de grands moteurs de la Génération Z: l’humain, la collaboration – co-création, et la possibilité de mener plusieurs vies en parallèle.
Par Harvard Business Review France
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