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L’art du pivot : La clé pour retrouver le pouvoir d’agir

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Nous avons tous en nous un « pouvoir d’agir », même quand tout semble impossible. Pour ne pas subir, il faut cultiver l’art du pivot, du pas de côté.

Vous est-il déjà arrivé de vous sentir au fond d’un trou, dans un étau, dans un piège ? D’avoir la sensation d’errer dans un labyrinthe sans lumière ? Dans ces moments, le monde apparaît comme un réseau de contraintes, d’interdits, d’incertitude avec le sentiment qu’on ne peut que subir. Cette situation génère de la frustration, du ressentiment, de l’angoisse, du mal-être.

Il est toutefois possible de retrouver son pouvoir d’agir, même lorsque tout semble impossible. L’idée est simple : changer de perspective pour analyser différemment notre environnement et les événements qui nous arrivent. Pivoter pour percevoir les choses sous un nouvel angle.

Le pouvoir d’agir : définition

Avant de passer à l’action, de quoi parle-t-on avec le pouvoir d’agir ? Au préalable, il faut bien comprendre que la notion de pouvoir d’agir repose sur une vision de l’Homme comme acteur de son propre destin. Dans certaines cultures, c’est le destin qui décide pour l’Homme. Il reçoit ce qui lui est donné (ou repris) et sa seule marge de manœuvre réside dans sa manière de réagir à ces événements. En règle générale, la soumission est la norme — même les pires tragédies étant perçues comme la volonté d’une instance supérieure.

Le « pouvoir d’agir » repose donc sur l’idée que chacun est maître de son destin. Il souligne notre liberté de choix et la responsabilité qui en découle quant aux conséquences de nos décisions. Il n’est donc pas surprenant que la notion de « pouvoir d’agir » trouve sa source dans un concept anglo-saxon : l’empowerment. En effet, quelle culture mieux que la culture américaine véhicule cette vision de l’Homme comme seul maître de son destin ? Le terme « empowerment », qui signifie littéralement « renforcer ou acquérir du pouvoir », était initialement associé aux minorités opprimées. Il semble faire sa première apparition dans l’ouvrage « Pédagogie des opprimées » du pédagogue brésilien Paulo Freire, publié en 1968. Depuis lors, il a connu une popularité grandissante dans de nombreux domaines.

En se basant sur les recherches académiques, on constate que le concept d’empowerment s’applique aussi bien aux organisations qu’aux individus. Ainsi, selon Yann Le Bossé, professeur titulaire au département des Fondements et pratiques en éducation de l’université Laval à Québec, le pouvoir d’agir est « un processus par lequel des personnes accèdent ensemble ou séparément à une plus grande possibilité d’agir sur ce qui est important pour elles, leurs proches ou la communauté à laquelle ils s’identifient » (« Empowerment et psychologie communautaire Aperçu historique et perspectives d’avenir », Les Cahiers Internationaux de Psychologie Sociale, 1993).

L’empowerment psychologique désigne ainsi « la personne qui témoigne de comportements auto-déterminés et s’estime capable de mettre en œuvre les actions nécessaires pour atteindre l’objectif qu’elle s’est fixé. »

Le développement du pouvoir d’agir d’une personne vise trois niveaux d’objectifs complémentaires :

  1. Favoriser l’autonomie ;
  2. Accroître le bien-être (acquisition d’une image positive de soi, acquisition de compétences pour porter un regard critique) ;
  3. Développer des stratégies.

Le pouvoir d’agir ne consiste pas à s’adapter aux contraintes, mais plutôt à s’en affranchir. Pour le développer, il est dès lors essentiel de prendre le temps de s’arrêter et de poser un diagnostic (« Terms of empowerment/exemplars of prevention : toward a theory for community psychology », de Julian Rappaport, American Journal of Community Psychology, 1987).

Se poser et faire le point

Comme toujours, le diagnostic constitue la première étape du changement. Trois éléments clés permettent de développer son pouvoir d’agir :

  1. Comprendre ses propres capacités et désirs

Il est essentiel de cerner où l’on se situe par rapport à ses capacités et ses envies : comme le montre l’expérience, vouloir ne suffit pas toujours. En outre, l’absence d’action n’est pas toujours nécessairement un problème. Il ne s’agit pas ici de l’aboulie, un syndrome pathologique, mais plutôt du désir de rester dans sa routine et ses habitudes. Le schéma simplifié ci-dessous permet de se situer dans le pouvoir et le vouloir.

Il est ensuite important de se demander ce qui nous empêche d’avancer : les autres ou notre propre autocensure ? Si l’immobilisme est compatible avec le bien-être, la frustration et le sentiment de blocage, en revanche, sont des émotions négatives. Le défi consiste donc à sortir de ces deux cases pour se rendre dans la case « action ».

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  1. Distinguer l’action de l’agitation

Avant d’agir, il est aussi crucial de distinguer l’action de l’agitation. Comme le rappelle très bien Yann Le Bossé dans ses travaux, le pouvoir d’agir ne se confond pas avec le « devoir d’agir ». Agir ne consiste pas à s’agiter dans tous les sens. « Il ne s’agit pas simplement de devenir plus actif, comme si la passivité ou l’apathie constituait le problème à résoudre. »

  1. Se libérer des attentes des autres

Enfin, le pouvoir d’agir se distingue du « devoir d’agir ». En effet, dans l’empowerment, la première démarche consiste à s’affranchir des attentes, même bienveillantes, d’autrui. Il s’agit de trouver ses propres motivations et de déterminer ses aspirations intrinsèques, sans se soucier de satisfaire son entourage ou de céder à ses pressions, même si elles sont formulées « pour notre bien ».

Les mauvaises habitudes à oublier

Pour avancer, il va falloir résister à deux réflexes très courants.

  1. Intensifier une méthode qui ne fonctionne pas

Face à l’inefficacité d’une méthode, notre premier réflexe est souvent de l’intensifier. Les réunions ne fonctionnent pas ? On convoque plus de réunions. Les punitions ne donnent aucun résultat ? On multiplie les punitions. Les indicateurs sont en berne ? On multiplie les indicateurs. Cette spirale infernale, semblable à une roue de hamster, ne mène qu’à l’épuisement et au burn-out.

  1. L’irresponsabilité et la fuite

Face aux difficultés, certains adoptent par réflexe des comportements irresponsables et fuient la réalité. Cela peut se traduire par le déni (refus de la réalité), la dénégation (relativisation), la dissimulation (honte, peur de la punition), le mensonge (aux autres ou à soi-même) ou l’oubli (ignorer les e-mails ou les sollicitations en espérant que le temps fasse son œuvre). Pour trouver ou retrouver son pouvoir d’agir, il est crucial d’affronter la réalité en face et de faire ensuite un pas de côté.

Pivoter : un pas de côté pour un nouveau regard

La réalisation de cette démarche implique de franchir plusieurs étapes successives :

  1. Accepter nos biais perceptuels

Il nous faut accepter le fait que notre cerveau construit sa propre réalité. Les neurosciences et la théorie de la Gestalt (psychologie de la forme) nous éclairent sur ce phénomène : lorsque nous regardons une image ou un dessin complexe composé de nombreux éléments, notre cerveau essaie de créer une forme, un motif ou une structure qui a du sens pour nous. Comme le dit Kurt Koffkale, pionnier de la Gestalt : « Le tout est autre que la somme des parties. »

Nous connaissons tous ces illusions d’optique, qui selon la façon dont nous les regardons ne nous renvoient pas les mêmes figures : un arbre ou des animaux sauvages ? Des profils ou un vase ? Un visage de femme ou un saxophoniste ? De même, chaque situation que nous vivons peut être perçue de façon différente, si nous les regardons sous un autre angle.

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  1. Se questionner pour explorer de nouvelles options

La deuxième étape est celle des « pourquoi ? ». En poser permet de prendre du recul et d’ouvrir le champ des possibles, avec des « et si ? » : « Et si c’était le moment de changer de métier ? » ; « Et si c’était l’opportunité pour reprendre mes études ? ». Imaginer des « et si » encourage l’exploration de scénarios alternatifs et incite à l’action.

  1. Transformer la crise en opportunité

Accepter de faire quelque chose de la crise qu’on traverse est crucial. On appelle cela « rebondir », mais il est important de se rappeler que nous ne sommes pas des balles en caoutchouc. Certaines « balles » peuvent se briser lorsqu’elles tombent par terre. Dans ce cas, il est nécessaire de les réparer et de les rendre encore plus belles, en adoptant mentalement la méthode du kintsugi japonais. Cette technique, qui signifie « réparation en or », consiste à réparer les porcelaines ou les céramiques brisées à l’aide de laque saupoudrée de poudre d’or.

  1. Arrêter de ruminer

La rumination mentale est l’ennemie du pouvoir d’agir. Ressasser le passé, se lamenter sur des décisions prises ou des événements vécus ne nous fera pas avancer. Il faut cesser de vivre dans au futur antérieur, dans le « si j’avais su », et de se focaliser sur l’avenir. L’exemple de Petit Gibus dans le film « La Guerre des boutons » (« si j’aurais su, j’aurais pas venu ») illustre parfaitement ce piège. Se lamenter sur ses choix passés ne changera rien à la réalité. Acceptez vos décisions, même si elles n’ont pas eu les résultats escomptés. Fermez la porte au passé et tournez-vous vers l’avenir avec optimisme.

  1. Renoncer à la perfection

Pour mieux affronter les difficultés, il faut accepter que tout ne soit pas parfait. Tant de personnes visent la perfection, le 100 % qualité, mais il faut bien comprendre que cet objectif est illusoire. En effet, la recherche constante de la perfection génère une pression inutile et une charge mentale excessive. De plus, viser la perfection absolue se traduit souvent par une surqualité dont le coût en temps et en énergie n’est pas justifié.

  1. Apprendre à déléguer et à faire confiance

Chercher à tout maîtriser et à tout contrôler peut nous faire passer pour quelqu’un d’incapable de déléguer et de faire confiance. Or, la confiance est le liant qui nous permet de faire société. Si elle est perçue comme absente ou insuffisante, les liens se distendent. Le manque de confiance envers les autres et le manque de confiance que les autres nous accordent peut mener à une perte d’estime de soi et nous enfermer dans un sentiment de culpabilité.

Compter sur les autres et accepter une certaine vulnérabilité sont des étapes cruciales pour tisser des liens de confiance et construire son propre pouvoir d’agir. Demander de l’aide s’avère être un élément essentiel dans ce processus (« Culture code : The secrets of highly successful groups », de Daniel Coyle, Random House Libri, 2018).

  1. Cultiver l’assertivité et l’affirmation de soi

L’assertivité est un pivot essentiel du pouvoir d’agir. Il s’agit de s’autoriser à exprimer ses désirs et ses émotions, à prendre des décisions sans avoir à se justifier et à changer d’avis sans s’excuser. Cultiver son assertivité consiste à communiquer ses idées sans agressivité. L’assertivité est une façon de communiquer dans le respect de soi et des autres, et constitue ainsi un levier essentiel pour développer son pouvoir d’agir.

  1. Se traiter avec bienveillance

Cultiver la bienveillance envers soi-même est essentiel pour s’épanouir. Finie, l’auto-flagellation : il est normal de faire des erreurs et de connaître des échecs. Au lieu de se ronger de culpabilité, apprenons à nous aimer et à accepter les compliments. Stop à l’autodénigrement : prenons conscience des pensées négatives qui nous envahissent et sabotent notre bonheur. Inspirons-nous des Anglo-saxons et devenons notre propre « BFF » (Best Friend Forever). Rien de tel qu’une séance d’auto-appréciation pour booster notre confiance en nous et repartir à la conquête de nos rêves.

Loin d’être une simple liste de tâches, ces propositions constituent une véritable philosophie de vie, un art de vivre. Il suffit de peu pour acquérir de bons réflexes et adopter une nouvelle perspective : un pas de côté, ni trop grand ni trop petit, juste ce qu’il faut pour se motiver et passer à l’action.

Par Isabelle Barth

 

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