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La confiance en négociation et en management : atout ou piège ?

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Loin d’être une vertu absolue, la confiance peut s’avérer néfaste en négociation et en management.

Manager ou négocier demeure avant tout une aventure humaine. Nous sommes, en effet, en constante interaction avec des individus susceptibles de nous opposer un « non ». Cette relation avec l’autre requiert un socle minimal : l’absence de méfiance. Paradoxalement, la confiance est souvent perçue comme non indispensable, voire nuisible lorsqu’elle est mal comprise ou employée à tort, dans le cadre du management ou de la négociation.

Avant d’explorer ce paradoxe, il est nécessaire de définir et de cerner plus précisément ce terme de « confiance ». Il convient ainsi de distinguer la confiance, l’absence de confiance, la méfiance et la confiance rationnelle.

Étymologiquement, le mot « confiance » dérive du latin « confidere », composé du préfixe intensif « cum » signifiant « de manière plus importante » et du verbe « fidere » que l’on peut traduire par « se fier » ou « croire ». Ainsi, faire confiance ne se résume pas à simplement croire, mais plutôt à croire de manière intense, voire aveugle, en quelqu’un ou en quelque chose. Nous définirons la confiance comme une situation d’interdépendance et de vulnérabilité vis-à-vis d’autrui (« Confiance et performance au travail », de Valérie Neveu et Eric Campoy, Revue française de gestion, 2007).

En d’autres termes, faire réellement confiance comporte un certain risque. En effet, la confiance implique toujours la possibilité que celui en qui on la place ne soit pas à la hauteur de nos attentes, voire qu’il trahisse délibérément notre confiance (« Le contrat de défiance », de Michela Marzano, Éditions Gallimard, 2010).

La confiance : un acte de lâcher-prise incertain

Accorder sa confiance implique un saut dans l’inconnu, où nous renonçons à la maîtrise absolue de nos actions et de leurs résultats. Ce choix implique de placer notre confiance en une tierce personne ou en des facteurs externes, exogènes. La confiance, dans son sens le plus strict, s’oppose ainsi au contrôle. Cependant, si l’on considère cette notion de confiance dans son acception stricte, il semble difficile de lui accorder une place prépondérante dans le monde de l’entreprise ou de la négociation. En effet, ces environnements requièrent souvent une vigilance accrue et une maîtrise précise des situations.

Faire confiance à l’autre en négociation, c’est :

  • ne pas être vigilant ;
  • ne pas questionner le référentiel de l’autre ;
  • s’en remettre uniquement à sa vision des choses ;
  • ne pas contractualiser l’accord car un accord oral prévaut.

De même, dans une organisation, avoir confiance dans son management, c’est :

  • ne pas faire la différence entre l’erreur (involontaire) et la faute (volontaire) ;
  • se sentir intouchable, quelque soit notre façon de communiquer aux autres ou quelque soit nos résultats ;
  • ne pas avoir besoin de contrat de travail, ou de règlement interne ;
  • travailler sans KPI, car de toute façon nous tiendrons les délais ;
  • n’avoir que des accords oraux.

Accorder sa confiance aveuglément peut mener directement à la sous-performance en raison d’une certaine inertie, une « paresse » sociale. Combien de fois avons-nous entendu la phrase : « J’ai fait confiance, je n’ai pas pris le temps de vérifier, et je me suis fait avoir » ? Imaginons un instant un athlète de haut niveau qui se présente à une compétition olympique sans s’entraîner ou s’échauffer correctement car il a « confiance » en son potentiel ou ses résultats passés. : il s’agirait d’un véritable non sens. De même, l’expression « il a pris la confiance », souvent utilisée pour signifier qu’une personne s’est montrée imprudente, sous-entend souvent un excès de témérité.

La confiance rationnelle : une approche plus nuancée

Face à ce concept parfois ambivalent, il est intéressant de se concentrer sur l’idée d’une « confiance rationnelle ». Cette notion se caractérise par une approche conditionnelle, que nous appellerons « confiance ACD ».

Comme le souligne Michela Marzano, professeure de philosophie à l’Université Paris Descartes, cette forme de confiance repose la volonté de contrôler la situation, et sur « un calcul mûrement réfléchi, effectué à partir d’un ensemble d’informations concernant le dépositaire de notre confiance et les conséquences probables de notre acte de confiance » (« Qu’est-ce que la confiance ? », Études, 2010).

La confiance rationnelle est omniprésente dans les organisations les plus performantes. Prenons l’exemple d’une unité des forces spéciales. Il serait simpliste de penser que ces soldats aguerris ont une « confiance aveugle » en leurs coéquipiers. Leur confiance repose sur des bases solides :

  • Une sélection rigoureuse : chaque membre a réussi des tests poussés ;
  • Une formation exigeante : une phase de formation minutieuse permet d’évaluer et de perfectionner leurs compétences ;
  • Un entraînement continu : un niveau élevé de performance physique et technique est maintenu quotidiennement.

Les organisations et les négociateurs devraient ainsi s’efforcer de cultiver ce type de « confiance ACD » : une approche rationnelle et mesurée permet d’éviter les pièges de la passivité et du manque de vigilance, tout en favorisant une collaboration fructueuse.

Prenons l’exemple de la Chine et des États-Unis, les deux plus grands acteurs commerciaux mondiaux en termes de valeur et de volume. Peut-on affirmer que les Chinois font aveuglément confiance aux Américains, et vice versa ? Certainement pas.

La confiance absolue n’est donc pas un prérequis indispensable à la négociation. En revanche, une confiance rationnelle s’avère cruciale pour permettre aux autres de progresser et de collaborer efficacement. Plus cette confiance ACD est forte, plus elle ouvre la voie à la performance.

La méfiance : un obstacle à la collaboration

En opposition à la confiance, la méfiance se caractérise de son côté par une disposition à se méfier, à soupçonner et à craindre d’être trompé. Cette méfiance peut impliquer une suspicion sérieuse ou une mauvaise foi et peut être considérée comme un instinct de survie face à un danger potentiel. Elle est ainsi liée à la peur — une émotion primaire qui vise avant tout notre survie.

Hormonalement, confiance et méfiance s’excluent mutuellement. Si la méfiance stimule la sécrétion de dopamine et de cortisol (hormones de la peur), la confiance, quant à elle, favorise la sécrétion d’ocytocine. Ces hormones ne pouvant cohabiter, il est illusoire de vouloir inspirer confiance à un individu ou à un groupe si la peur est omniprésente. Il est donc crucial, dans un premier temps, de s’efforcer de dissiper sa méfiance afin de permettre à la confiance ACD de s’installer durablement.

Réduire la méfiance pour favoriser la confiance

En théorie, réduire la méfiance ou la peur chez l’autre est relativement simple. Il s’agit de lui apporter un sentiment de sécurité et de liberté.

  1. Pour qu’une personne se sente en sécurité, elle doit avoir l’impression de contrôler le processus, de ne pas se sentir menacée et de ne courir aucun risque en prenant une décision. En cas d’accord ou d’action de sa part, elle ne doit subir aucune perte par rapport à la situation initiale.
  2. La liberté consiste à lui laisser le choix de ses décisions et à lui rappeler qu’elle est libre de refuser si elle le souhaite. Dans une interaction humaine, plus on insiste, plus l’autre personne risque de résister, et par conséquent, plus la peur et la méfiance s’installent.

L’équilibre entre méfiance et confiance, clé de la performance

L’expérience montre que les organisations les plus performantes (économiquement et socialement) ne reposent pas sur une confiance aveugle, mais plutôt sur un équilibre subtil entre méfiance et confiance. Les individus n’évoluent pas dans une « zone de paresse », mais dans une « zone d’absence de méfiance ».

Cet équilibre se traduit par :

  • Un esprit d’émulation bienveillante : chacun se « challenge » mutuellement pour s’améliorer sans jugement ;
  • La valorisation du potentiel : chacun peut exprimer son plein potentiel et innover sans craindre l’erreur ;
  • Un environnement propice à la créativité et au désaccord constructif : les membres de l’équipe peuvent exprimer des idées divergentes dans un but commun de performance.

En résumé, il s’agit de cultiver un environnement où les individus se sentent libres, responsables et en sécurité pour s’épanouir et contribuer pleinement à la performance collective.

Dans tous les domaines de la vie, de la négociation à l’entreprise en passant par la vie quotidienne, il est préférable de cultiver une véritable absence de méfiance plutôt qu’une fausse confiance. L’équilibre à trouver est délicat :

➤ L’absence de méfiance couplée à la présence de confiance peut placer les individus dans une zone de « routine », de paresse et d’inertie

➤ À l’inverse, s’il y a de la méfiance mais pas de confiance, les acteurs sont plongés dans un état de crainte ou de sous-performance.

Il est donc crucial de tendre vers une absence de méfiance et de confiance simultanée. Cet état paradoxal permet au collectif de s’engager pleinement dans des défis majeurs et d’atteindre de hauts niveaux de performance. Par conséquent, tout manager ou négociateur devrait aspirer à instaurer cette sécurité psychologique particulière, dénuée de méfiance, mais aussi de confiance aveugle. C’est en favorisant cet état d’esprit que l’on peut stimuler la performance collective et opérationnelle au sein de son activité.

Par Julien Pelabere

 

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