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Au cœur du management : l’homme relationnel

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Les organisations doivent repenser leurs modes de management. En s’appuyant sur la puissance du dialogue, les managers peuvent favoriser l’intelligence collective et initier des changements pérennes.

Dans un monde du travail en constante évolution, mais dans le même temps axé sur l’efficacité et la productivité, on oublie parfois l’importance primordiale des relations humaines. Pour devenir plus résilientes et innovantes, les organisations ont tout intérêt à faire du dialogue la clé de voûte du management – pour encourager, in fine, la collaboration et l’innovation.

Notre héritage

La pensée occidentale s’appuie en grande partie sur une longue tradition héritée de la philosophie grecque. Pour celle-ci, la question de l’être est centrale et elle s’est donc logiquement focalisée sur les entités (personnes ou objets) en les différenciant aussi nettement que possible (« De l’écart à l’inouï », de François Jullien, L’Herne, 2019).

Cela s’exprime dans notre syntaxe même, avec une organisation classique de la phrase en sujet-verbe-complément d’objet, et donc une distinction claire entre sujet et objet. Cette division a conduit à des visions séparées de l’homme et de la nature ; le mot même d’environnement, par exemple, indique une distinction qui nous dissocie d’une nature située situe autour de nous, centre différencié, l’être humain.

Dans cette vision, les individus eux-mêmes se caractérisent avant tout par une identité qui semble immuable. Les groupes d’individus (régions, nations ou communautés) se sont aussi attachés à affirmer leur différence, et une culture en opposition aux autres. Les entreprises n’échappent pas à ce mouvement et tentent, en revisitant leur histoire, de fédérer leurs salariés autour d’une culture partagée.

Les organisations humaines sont donc avant tout pensées comme composées d’individus ayant une identité et une culture stables, bien différenciées et si possible différenciantes par rapport à leur marché ou leur environnement.

Le sens que nous donnons au monde et à notre action dépend de ces identifications. Il varie avec leur multiplicité et selon les moments de la vie des organisations. Cependant, les managers sont encore et toujours invités à focaliser leur attention sur des éléments supposés stables : les caractéristiques de leurs équipiers, l’identité de leur équipe et celle de leur entreprise.

Nos équipiers

En ce qui concerne les individus, la tentation est grande de mieux les connaître dans leur spécificité propre, afin de les manager avec une attention personnalisée. On conviendra qu’il s’agit là, depuis ce que l’on a appelé « l’école de relations humaines » en psychologie sociale, d’une tentative vertueuse (si l’on se réfère à l’efficacité des entreprises) consistant à manager au plus près les personnes en étant à l’écoute de leurs besoins.

On peut cependant questionner ce mouvement. En effet, force est de constater que les personnes développent des émotions, des stratégies et des comportements variés selon les contextes, et qu’elles ne peuvent donc être réduites à quelques traits constants (« L’acteur et le système », de Michel Crozier, Seuil, 1977).

Bien que les outils d’évaluation de la personnalité basés sur des méthodes scientifiques rigoureuses (analyses factorielles et de variance, validation des questionnaires, concordance des données recueillies et établies, stabilité temporelle) fournissent des informations précieuses sur les individus en vue d’un éventuel échange, il est impératif de les contextualiser.

Une attention au contexte, aux différentes situations professionnelles, au système dans lequel travaille la personne, permet d’éviter une réduction de celle-ci à quelques traits de personnalité et un étiquetage limitant. Combien de fois a-t-on attribué à des caractéristiques personnelles les difficultés rencontrées par un individu dans son travail, alors que plusieurs de ses prédécesseurs avaient fait face aux mêmes problèmes ? Et que dire de l’individu qualifié de trop introverti simplement parce qu’il ne peut s’exprimer librement au sein d’une organisation qui ne le permet pas et ne tolère pas la prise de risque ?

L’idée est de considérer les personnes non comme des entités fixes mais comme des êtres vivants, sensibles, en mouvement permanent, agissant en fonction des circonstances au gré des échanges auxquels elles participent et totalement interdépendantes. En effet, le pouvoir d’action de chaque personne dépend de ce que les autres lui permettent de réaliser. Le dialogue occupe donc une place centrale dans la vie des organisations.

Situer les individus dans ce mouvement continu lié aux dialogues permet aussi de faire face à un individualisme grandissant qui engendre des conduites égocentrées, et d’engager des pratiques collaboratives (« La Vie liquide », de Zygmunt Bauman, Fayard, 2006).

Nos dialogues

Une organisation est toujours composée d’un ensemble d’individus en interactions directes ou indirectes. Chacun se coordonne sans arrêt avec d’autres pour continuer à effectuer son travail et à maintenir sa place dans un système humain. A l’instar de ce qui se passe dans notre cerveau, les coordinations ne sont pas linéaires. Tout comme chaque neurone se connecte à de nombreux autres, les personnes multiplient les liens avec des collègues ou des partenaires extérieurs et ce processus est continu au point qu’il semble pertinent parler d’homme relationnel (« Le constructionnisme social – Un guide pour dialoguer », de Kenneth J. Gergen & Mary Gergen, Satas, 2006).

Cette complexité ne peut être réduite à un schéma d’organisation, même multidimensionnel. Les analyses conduites sur le mode cause-effet ne peuvent suffire à rendre compte de la richesse des situations professionnelles.

Ainsi, les problèmes professionnels s’exprimant de façon visible ou événementielle à l’échelon individuel ne doivent pas être traités isolément, d’autant que, le plus souvent, les salariés partagent leurs difficultés avec des collègues pour trouver des solutions ou simplement se sentir compris. Ceci ne passe pas toujours par les canaux prévus et peut échapper à l’attention des managers.

Il semble donc important de les inviter à porter leur attention sur la nature des conversations, des dialogues engagés au sein de leur organisation. Ce qui se produit à l’intérieur des organisations est largement influencé par qui parle avec qui, quand, comment, de quelle façon et à quel sujet. Les résultats proviennent d’un jeu permanent, d’une intrication de l’ensemble des choix rationnels et émotionnels de toutes les parties prenantes (« L’Appreciative Inquiry – Une révolution positive », de David Cooperrider et Diana Whitney, Interéditions, 2016).

Difficile pour les managers de contrôler une telle complexité et nombre d’entre eux se sentent impuissants à peser sur le devenir de leur organisation. Bien malin serait celui ou celle qui, surtout dans le contexte actuel, prétendrait contrôler la vie de son entreprise !

Faut-il en concevoir un certain pessimisme, voire de la passivité ? Bien au contraire : c’est en prenant conscience de la puissance des échanges que les managers peuvent, dans un état d’esprit constructif, permettre à chacun de s’autoriser à parler et de tirer le meilleur parti du caractère « dialogique » de l’organisation. L’expérience montre en effet que des échanges structurés, portant sur les sujets qui comptent débouchent sur des propositions et des actions fécondes (« Coacher avec l’Appreciative Inquiry », de Jean Pagès, Eyrolles, 2021).

Qu’est-ce qu’un sujet qui compte ? Il doit revêtir un enjeu important et sensible pour tous : il peut s’agir du développement d’un produit crucial pour la stratégie de l’entreprise qui concerne très fortement à la fois les services du marketing et les unités de production ou, plus modestement l’amélioration de l’organisation d’un service. Aucun engagement durable et enthousiaste ne peut être obtenu par une insistance sur les points faibles des collaborateurs : c’est en s’appuyant sur ses forces que l’on peut régler les problèmes et générer du nouveau (« Le grand livre de l’Appreciative Inquiry », de J.C Barralis & S. Proust, Interéditions, 2021).

L’organisation des échanges permettra donc d’identifier ces forces et de les stimuler afin de construire des changements que tous auront envie de faire vivre car issus de leurs échanges et donc leur appartenant. Il ne s’agit pas ici de prôner une attitude ou une pensée positive pour elle-même comme on le voit souvent proposé et qui confère à la naïveté voire à la niaiserie, mais de s’appuyer sur des énergies positives pour imaginer et bâtir le meilleur pour les personnes et les organisations.

Par Jean Pagès

 

admin
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