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Les croyances au cœur de la relation leader-follower

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Quand on examine ce qui se joue entre un leader et des followers, on s’aperçoit que la croyance est omniprésente.

Si l’on s’accorde à définir le leadership comme « le processus par lequel un individu influence une ou plusieurs personnes en vue de réaliser un but commun », force est de reconnaître que les croyances et représentations respectives des parties prenantes jouent un rôle crucial dans cette dynamique (« Leadership : Theory and Practice », de Peter G. Northouse, Ninth Editions, 2021)

En d’autres termes, lorsque j’essaie d’exercer mon influence, je le fais en m’appuyant sur un ensemble de croyances issues de quatre familles distinctes :

  1. Mes croyances sur moi-même (positives et négatives): Ai-je la légitimité et/ou la compétence nécessaire pour influencer ?
  2. Mes croyances sur les personnes que je souhaite influencer :Qui sont-elles ? Quelles sont leurs motivations ?
  3. Mes projections sur ce que ces personnes pensent de moi: Me font-elles confiance ? Me respectent-elles ?
  4. Mes représentations de la relation: À quoi m’attends-je dans cette relation ? Comment va-t-elle se dérouler ?

Cet ensemble de représentations ne prend pas en compte le point de vue des personnes que j’influence. Celles-ci ont également leurs propres présupposés et interprétations de la situation.

On pourrait espérer que cet enchevêtrement de croyances s’arrête là, mais il n’en est rien. Il existe aussi des schémas de pensée bien plus établis et profondément enracinés que les théoriciens appellent « théories implicites » ou « naïves ». Ces théories influencent notre manière de penser de façon beaucoup plus systématique, quels que soient les contextes et les acteurs impliqués.

La nécessaire fabrique de nos théories personnelles

Pour rendre nos relations un minimum prévisible, nous avons l’habitude de classer les personnes en fonction de leurs comportements et leurs attitudes. À l’aide de nos expériences, notre éducation et notre culture, nous nous fabriquons des représentations sur les autres. Nous les confirmons (plus que nous les infirmons) ensuite avec le temps (« Social cognition », de Susan T. Fiske et Shelley E. Taylor, Mcgraw-Hill Book Company, 1991).

La construction de nos théories personnelles est un processus largement inconscient. En effet, elle se déroule en quelques millisecondes, sans que nous en ayons conscience. Ce n’est qu’en y réfléchissant a posteriori que nous pouvons en saisir les tenants et aboutissants. Cet ensemble de représentations sur les autres, ces théories naïves de la personnalité, se distingue des théories « scientifiques », validées par la recherche. Dans le monde de l’entreprise, nous faisons de même avec les catégories « leader » et « follower » (« Implicit theories, self-schemas, and leader-member exchange », d’Elaine M. Engle et Robert G. Lord, Academy of Management Journal, 1997).

Ainsi quand nous décidons de mettre une personne dans la case « leader », c’est que celle-ci correspond à bon nombre de caractéristiques présentes dans nos « théories implicites du leadership » (TIL). De même, nous identifions facilement comme « followers » les personnes dont les caractéristiques immédiatement perceptibles semblent correspondre à nos « théories implicites du followership » (TIF).

En tant que follower, ce sont mes représentations du leader (TIL) qui me permettent de le reconnaître et de l’accepter. En tant que leader, ce sont mes représentations du follower (TIF) qui me permettent de le reconnaître et d’agir envers lui. Pour compliquer encore les choses, nous activons également des TIF en tant que follower, et des TIL en tant que leader.

Représentations du follower contre représentations du leader : qui valide qui ?

Les TIL renvoient à nos croyances sur la façon dont les leaders se comportent en général et ce que nous pouvons en attendre, bien souvent en tant que follower. Rappelons que lorsque l’on regarde la relation du point de vue du follower, on appelle cela des approches « follower centric ».

Ces croyances ou attentes sur les leaders nous influencent pour évaluer l’efficacité des personnes que nous croisons et les classer en « bon » ou « mauvais » leader. Nous utilisons nos schémas de croyances pour encoder les informations relatives au leadership pour construire du sens (« Sensemaking in Organizations », de Karl E. Weick, Sage, 1995).

Nos théories en tant que followers sont formées par nos rencontres et expériences passées. Elles sont également qualifiées de « théories populaires du leadership » et aident à mieux comprendre si et quand les individus sont prêts à suivre un leader (« Implicit Leadership Theories in Applied Settings : Factor Structure, Generalizability, and Stability Over Time », de Olga Epitropaki et Robin Martin, Journal of Applied Psychology, 2004).

Certains chercheurs parlent de « philosophies du leadership » et soulignent que nous les mobilisons constamment, même lorsque nous disposons de peu d’informations sur le comportement réel du leader (« An overview of implicit leadership theories and their application in organization practice », de Birgit Schyns et J.R. Meindl, Information Age Publishing, 2005 / « Implicit leadership theory as a determinant of the factor structure underlying supervisory behavior scales », de Dov Eden et Uri Leviatan, Journal of Applied Psychology, 1975).

Alors que les TIL ont fait l’objet de nombreuses recherches, les TIF, qui explorent les caractéristiques et les comportements des followers, restent un domaine moins exploré. Ces théories intègrent des « prototypes » de followers efficaces, comprenant des attributs comme l’intégrité, la fiabilité ou les aptitudes à la communication (« Exploring social constructions of followership : A qualitative study », de Melissa K. Carsten, Mary Uhl-Bien, Bradley J. West, Jaime Patera, et Rob McGregor, The Leadership Quarterly, 2010).

Dès l’enfance, se façonnent des Théories Implicites du Followership. Elles évoluent au fil de la socialisation et influencent notre manière d’interagir avec les followers. Un processus d’inférence entre en jeu, nous conduisant à attribuer des caractéristiques aux followers en fonction d’événements marquants ou de leur performance. Par exemple, si les objectifs de l’entreprise sont atteints, les followers seront perçus comme travailleurs.

Les TIF ne sont donc pas figées. Elles sont également sensibles aux contextes et aux cultures. Par exemple, des dirigeants occidentaux peuvent être conduits à être sensibles au potentiel des followers qui manifestent de l’enthousiasme, et les étiqueter comme des « hauts potentiels » (« What do you think of followers ? Examining the content, structure, and consequences of implicit followership theories », de Thomas Sy, Organizational Behavior and Human Decision, 2010).

La recherche montre en effet que les Théories Implicites du Followership influencent l’interprétation des événements par les managers, ce qui impacte ensuite leurs comportements envers leurs collaborateurs. En guise d’illustration, rappelons la théorie X et Y de Douglas McGregor, formulée en 1960, lors d’un cours de comportement organisationnel. Cette théorie distingue deux types de leaders :

  • Ceux qui pensent X : ils perçoivent leurs collaborateurs comme peu enclins à l’autonomie et nécessitant un management directif et contrôlant.
  • Ceux qui pensent Y : ils reconnaissent le potentiel de développement de leurs collaborateurs et adoptent une approche basée sur la confiance et l’autonomie.

Les leaders transformationnels et transactionnels ne partagent pas la même vision de leurs « followers », ce qui se traduit par des comportements distincts. Le rôle des leaders dans la transformation de leurs followers est ainsi crucial (« Leadership Processes and Follower Self-identity », de Robert G. Lord et Douglas J. Brown, Psychology Press, 2003).

L’analyse des Théories Implicites du Followership éclaire le phénomène de l’effet Pygmalion. En effet, les évaluations des followers tendent à correspondre aux représentations mentales que les leaders se font d’eux, souvent de manière inconsciente.

Tous des malfaiteurs cognitifs ?

Selon Thomas Sy, professeur de psychologie à l’UC Riverside, nous sommes des « malfaiteurs cognitifs » qui catégorisons naturellement les autres pour simplifier notre appréhension du monde extérieur, nous permettre d’activer une pensée abstraite et symbolique, et nous fournir un système commun d’étiquettes qui facilite la communication.

Ces économies cognitives peuvent toutefois nous aveugler et nuire à notre leadership, à moins que nous ne soyons conscients des présupposés que nous activons. Quoi qu’il en soit, en mobilisant conjointement les TIF et les TIL, nous pouvons développer une compréhension plus complète et plus consciente de notre leadership. Cela nous permet de reprendre le contrôle de notre pouvoir dans nos relations interpersonnelles, que nous soyons leader ou follower.

Par Sylvie Deffayet Davrout

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