Mode, mobilité, industrie, immobilier : la notion d’impact s’insinue dans tous les pans ou presque de la société. Doit-on y voir un simple argument marketing ou une transformation plus profonde de la société ? Si la période est plutôt à l’optimisme, les chantiers restent encore nombreux avant de voir le changement devenir réalité.
Encensées par certains, les levées records de Sorare et Mirakl ont soulevé des interrogations sur la place donnée à l’impact, cette fameuse notion dont s’emparent de plus en plus les fonds et les investisseurs. À ce jour, il n’existe pas de définition formelle du terme : de l’avis de tous, une entreprise à impact est une société commerciale qui possède plusieurs objectifs sociaux et environnementaux. « Entre les débuts d’Alter Equity en 2007, où la compréhension des enjeux environnementaux demeurait essentiellement limitée à celle des experts et où les climato-sceptiques disposaient encore d’une certaine crédibilité- et aujourd’hui, une prise de conscience et une évolution des comportement radicales ont eu lieu » , estime Fanny Picard. « Il y a un élan, une dynamique qui est en place, renchérit Stéphanie Goujon, DG de French Impact, programme d’accompagnement de projets d’innovation sociale porté par le ministère de la Transition écologique et solidaire. Les fonds d’investissement et les mutuelles lancent, eux aussi, des véhicules pour financer l’impact » .
Résultat de ce engouement, l’impact est « globalement très bien financé« , poursuit la fondatrice d’Alter Equity. Selon une définition récente de Finance for Tomorrow, la branche de Paris Europlace pour faire de la finance verte, la finance à impact est une stratégie d’investissement ou de financement qui vise à accélérer la transformation juste et durable de l’économie réelle, en apportant une preuve de ses effets bénéfiques. Elle s’appuie sur les piliers de l’intentionnalité, de l’additionnalité et de la mesure de l’impact.
Selon le baromètre de la finance à impact réalisé par Convergence, l’offre de capitaux de plus de 1700 investisseurs mondiaux dits à impact a atteint 715 milliards de dollars en 2020. Un montant qui paraît énorme mais que Stéphanie Goujon tient à nuancer : « À lui seul, les encours du fonds BlackRock, très engagé sur ces questions, s’élève à 7000 milliards de dollars, pour un seul fonds » , nuance néanmoins la directrice générale de French Impact. Preuve qu’une grande marge de progression est encore possible et nécessaire.
Un point divise néanmoins les deux expertes : la qualité des projets. « Nous manquons de projets de grande valeur », regrette Fanny Picard, tandis que Stéphanie Goujon assure avoir déjà constaté « une source de nombreux projets territoriaux de qualité »
Un double défi
Les entreprises à impact ont prouvé leur capacité à créer de la croissance, de la valeur et de la rentabilité. La startup Phénix, qui a fait de la lutte contre le gaspillage alimentaire son fer de lance, en est un bon exemple. Mais si l’impact est mieux financé qu’il y a 10 ans, les investissements dans ce secteur nécessitent une prise de risque à plus long terme qui en rebutent certains. « Les entreprises qui ont des besoins importants en capitaux et dont les rendements, incertains, se feront dans la durée avec une valorisation à 10, 15 ou 20 ans, rencontrent plus de difficultés pour lever de fonds, constate Fanny Picard. Ce modèle correspond en effet mal à celui de nos fonds. Ce n’est pas lié à la durée de nos fonds mais au modèle de startups que nos propres investisseurs veulent nous voir financer aujourd’hui. C’est dommage parce que certaines d’entre elles pourraient développer les solutions de demain de grande ampleur aux enjeux environnementaux » .
Les projets liés à la gestion des déchets ou à l’énergie sont particulièrement concernés par cette problématique, en raison d’une R&D souvent longue et coûteuse, mais dont les résultats sont susceptibles d’avoir une incidence importante sur l’environnement. « Aujourd’hui, le monde de la tech, au sens numérique du terme, est bien appréhendé par les investisseurs mais toutes les particularités de l’industrie ne le sont pas. Les startups industrielles rencontrent encore de grandes difficultés à se faire financer car vous devez passer par un prototypage, une pré-industrialisation et ensuite l’industrialisation » , regrette Stéphanie Goujon qui échange avec Eléonore Blondeau, fondatrice d’une association œuvrant sur ce sujet. Or, « on ne pourra pas continuer à investir de gros tickets sur du divertissement sans, en parallèle, investir également dans le développement de logements moins énergivores ou d’emballages moins polluants » , constate-t-elle, visant sans la citer, la levée de fonds record de 500 millions d’euros de Sorare en septembre.
Pour encourager les investisseurs à sauter le pas et à investir plus massivement dans les projets à impact, Stéphanie Goujon milite pour la mise en place d’une garantie « first loss » qui leur permettrait de récupérer une partie des fonds investis s’il existe « un différentiel entre la croissance financière initialement prévue et la réalité » . En parallèle, elle souhaiterait rendre éligible au crédit impôt recherche innovation, pour les PME, TPE et ETI, les évaluations de mesure d’impact afin d’encourager ce calcul et faciliter l’amélioration des indicateurs mal évalués.
Les enjeux sociaux, grands oubliés de l’impact
L’intérêt des acteurs économiques pour l’environnement provient des multiples rapports, et le dernier publié par le GIEC ne fait pas exception, qui alerte sur les dangers engendrés par le réchauffement climatique. Un discours qui favorise le financement de la transition mais ne sert pas aux autres enjeux à impact tout aussi importants que sont l’égalité, l’inclusion et la diversité. « Le social est un sujet encore trop peu adressé. Nous-même [French Impact, ndlr] nous concentrons sur la transition » , reconnaît Stéphanie Goujon.
Point de vue similaire du côté de la fondatrice d’Alter Equity. » Le mouvement Black Lives Matter de 2020 a entraîné une réelle prise de conscience du racisme ordinaire aux États-Unis. Les entreprises américaines ont progressé sur le sujet de l’intégration dans l’emploi des minorités ethniques, y compris à des postes de pouvoir, sur lequel elles avaient déjà beaucoup d’avance par rapport aux européennes. Les investisseurs anglo-saxons vont exiger des progrès sur ces thématiques. En Europe, nous sommes en retard en matière de diversité, ainsi que de parité. Nous pouvons également encore beaucoup nous améliorer sur d’autres enjeux de responsabilité sociale, tels par exemple que le partage de la valeur, les conditions de travail ou encore la formation » , suggère Fanny Picard.
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