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Recrutement : l’entreprise peut-elle s’inspirer du sport de haut niveau ?

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Soumises à de fortes difficultés de recrutement et à l’aube des Jeux Olympiques de Paris, les entreprises pourraient-elles tirer des leçons des pratiques du sport de haut niveau ?

Face à la pénurie de talents, le sport de haut niveau a-t-il la solution ? Selon une étude récente de la Banque de France, près d’une entreprise sur deux rencontre des difficultés de recrutement (« À quelles difficultés de recrutement les entreprises françaises sont-elles confrontées ? », de Stéphanie Himpens et Thomas Zuber, Le Bulletin de la Banque de France, 2023). Si le déficit d’attractivité de certains métiers est notamment pointé du doigt, une analyse de France Stratégie insiste plutôt sur le fait que le principal problème vient des caractéristiques propres à l’entreprise, et non de facteurs mesurables, tels que le salaire ou la taille de l’organisation (« Comment expliquer les difficultés de recrutement anticipées par les entreprises ? », de Thomas Bezy, Catherine Bruneau, Cédric Crofils, Étienne Lavenant et Dimitris Mavridis, France Stratégie, 2022).

Les dirigeants devraient donc se concentrer davantage sur les aspects intangibles de l’entreprise, ces facteurs « non observables » que sont les pratiques RH, la réputation, les conditions de travail et la qualité du management. Compte tenu des difficultés de recrutement rencontrées par les DRH, il peut ainsi être stimulant de rechercher des « best practices » dans le domaine du sport – tout en tenant compte de l’influence des facteurs internes et externes à l’entreprise.

Force est de constater que cette question trouve un écho de plus en plus important. Par exemple, une étude intitulée « TopSurgeons » a été initiée à Lyon par le laboratoire Research on Healthcare Performance. Son objectif : s’inspirer des méthodes d’entraînement des sportifs de haut niveau, afin d’identifier les facteurs (humains et organisationnels) permettant aux chirurgiens de maintenir le haut niveau de performance qu’exige leur métier (« Performance monitoring and surgeon coaching to enhance patient outcomes: the TopSurgeons project », webinar d’Antoine Duclos, Harvard Surgical HSR speaker series, 2023).

Soigner sa réputation en développant des signes distinctifs

Dans la continuité de ce type d’étude, nous avons mené une recherche portant sur une organisation sportive de haut niveau, la section féminine du Stade Malherbe Caen (SMC), qui évolue en D3. Cette étude a permis de mettre en évidence un premier levier d’attractivité incontournable, celui de la réputation.

Pour les joueuses, la réputation se mesure avant tout à l’aune de certaines caractéristiques : le SMC est un club « historique » du football français, avec des infrastructures de qualité et une identité. Le club a un fort ancrage territorial qu’il développe en recrutant les meilleurs talents de la région. L’importance de cet ancrage est soulignée par une joueuse : « si une fille de la région est au Stade Malherbe, c’est qu’elle est dans les meilleures de la région ». Les footballeuses rejoignent donc le SMC pour vivre une expérience unique qui leur permettra de développer leurs compétences plus rapidement et de se construire un palmarès. Elles reconnaissent que « dans un autre club, on ne pourrait pas progresser autant ».

La théorie de l’identité sociale soutient que « les individus s’identifient aux organisations perçues comme prestigieuses et bénéficiant d’une image attractive, ce qui leur permet de renforcer leur estime de soi » (« Engagement RSE et attractivité organisationnelle : la communication protège-t-elle en cas de crise ? », de Sonia Capelli, Chloé Guillot-Soulez et William Sabadie, Revue de gestion des ressources humaines, 2015, p.5). Par exemple, l’amélioration de la performance permettrait à l’entreprise de soigner sa réputation et donc, de développer son attractivité (« Social identity theory and the organization », de Blake E Ashforth et Fred Mael, Academy of Management, 1989).

Là-aussi, quelques caractéristiques permettent d’étalonner son niveau de performance : l’entreprise a-t-elle une histoire, une identité qui la distingue de ses concurrents ? Est-elle reconnue pour la qualité de ses produits/services ? Est-elle dans un cycle régulier de croissance. Ainsi, une organisation qui a une stratégie ambitieuse attirera plus facilement les talents en quête de perspectives professionnelles rapides.

Proposer des conditions de travail qui démontrent que tout le monde est important

Les conditions de travail constituent un autre levier d’attractivité. Les joueuses du SMC considèrent qu’au Stade Malherbe, elles ont tout pour réussir : « quand on arrive à l’entrainement, tout est prêt […], nous avons beaucoup de choses mises en place pour qu’on réussisse ». Pour performer, il convient donc d’évoluer dans un environnement propice au « travail bien fait ». Cela passe par la qualité des moyens mis à disposition, à la fois matériels (infrastructures) et humains (coach, staff technique et médical, projet initié par la direction).

Ces différents éléments forment un puzzle où tout le monde est considéré comme une ressource indispensable à la réussite collective : « personne n’abandonne personne, tout le monde reste important au sein de l’équipe, qu’on soit blessée, pas blessée, titulaire, pas titulaire ». Dans cette complémentarité d’expertises, le coach est la pierre angulaire de l’édifice : « il est capable de tirer le meilleur de chaque joueuse […] grâce à ses mots et ses attitudes, qui redonnent confiance dans le projet ».

Le rôle du coach est donc d’encourager son équipe, et de lui transmettre de l’énergie, tout en expliquant clairement ses choix tactiques – lors du discours d’avant-match et à la mi-temps. De la même façon, le manager d’aujourd’hui doit être capable d’expliquer sa stratégie, de faire adhérer son équipe aux objectifs et de faire monter en compétences ses collaborateurs. A défaut, la cohésion d’équipe sera compromise.

Dans le sport de haut niveau, la confiance est primordiale. Elle est même consubstantielle à la performance. Trop d’entreprises demeurent des adeptes du slogan « la confiance n’exclut pas le contrôle ». Le manager traditionnel doit donc laisser sa place à un coach qui se comportera en leader et qui, de ce fait, sera plus à même d’accompagner efficacement son équipe. Toutefois, pour que cette évolution se concrétise sur le terrain, la direction doit agir en tant que sponsor des conditions de travail. Cela est confirmé par les joueuses du Stade Malherbe Caen, qui déclarent ressentir « un vrai soutien de la part de la direction du club ».

Susciter un sentiment d’appartenance par l’adhésion à des valeurs communes

L’attractivité d’une organisation (sportive ou non) se mesure aussi à sa capacité de promouvoir une culture et des valeurs communes. Dès leur arrivée au club, les joueuses ont été séduites par un état d’esprit. Plus concrètement, elles apprécient « l’esprit de conquête, les valeurs familiales, le dépassement de soi, l’esprit d’équipe » qui caractérisent selon elles le SMCElles mettent l’accent sur les « valeurs familiales » du club, dont l’histoire leur est « inculquée » dès leur arrivée. Elles y célèbrent aussi un « apprentissage de la rigueur ». Enfin, d’autres valeurs y sont aussi véhiculées : « dans ce club, le respect est une valeur cardinale. On se respecte toutes entre nous. On est aussi très compréhensives, à l’écoute ».

Les valeurs sont souvent représentées par des symboles, tels que le slogan « Normands et conquérants » du Stade Malherbe Caen. Ce slogan met en avant l’ancrage territorial du club et sa tradition « viking » – qui implique rigueur, dépassement de soi, écoute et respect. Au sein d’une entreprise, le partage des valeurs communes s’avère aussi un élément crucial pour fédérer les équipes et les mener vers la réussite, tant individuelle que collective. En ce sens, il incombe aux dirigeants de privilégier le recrutement de collaborateurs en accord avec les valeurs de l’entreprise, au-delà des simples compétences techniques.

La promotion des valeurs nécessite aussi de prendre en compte et de valoriser la façon d’atteindre un objectif ; ce qui revient à ne pas se limiter à l’appréciation du seul résultat obtenu. Il convient donc de sortir de la logique qui consiste à dire que « seul le résultat compte ». À quelque mois des Jeux Olympiques, il est en outre opportun de rappeler les trois valeurs fondatrices du Mouvement olympique : amitié, respect et excellence. Le dépassement de soi est bien une vertu importante, mais qui doit s’exercer dans un cadre empreint de respect et d’amitié. C’est ce même principe qui devrait prévaloir en entreprise.

Finalement, cette étude menée au sein d’un club de sport de haut niveau, la section féminine du SMC, confirme les conclusions de l’analyse de France Stratégie : les difficultés de recrutement actuelles s’expliquent avant tout par des facteurs internes aux organisations.

Pour attirer les talents, les entreprises devraient se concentrer sur trois axes principaux d’action :

  1. Soigner leur réputation, en développant une image d’entreprise en quête de performance et qui cherche à faire monter en compétences ses salariés
  2. Proposer des conditions de travail attractives, avec des leaders qui valorisent tant l’individu que le collectif, grâce à la confiance accordée et à la capacité de fédérer une équipe autour de certains objectifs
  3. Susciter un sentiment d’appartenance autour de valeurs partagées, telles que le dépassement de soi, l’écoute et le respect des autres.

L’entreprise a donc tout intérêt à faire prospérer en interne les valeurs Olympiques et du sport en général.

Par Jean-François Garcia

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