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De l’économie régénérative à l’économie triplement régénérative

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L’économie régénérative est un concept en plein essor. Mais il est nécessaire d’aller plus loin, en prenant en compte l’économie, le social et l’environnement.

Le terme d’économie régénérative s’est largement répandu dans les médias. Il est notamment considéré comme un idéal à atteindre pour le monde dans lequel nous vivons, caractérisé par des ressources naturelles limitées. Si les concepts d’entreprises ou d’organisations régénératives séduisent, leur utilisation mérite toutefois d’être reconsidérée pour éviter les raccourcis et un potentiel « regenerative washing ».

Qu’est que le principe de régénération ?

Le principe de régénération fait référence à une dynamique de renouvellement, revitalisation, restauration, ou réhabilitation d’un système, d’un processus ou d’un environnement afin de générer un état meilleur, plus sain, plus porteur ou plus durable.

Ce principe repose sur l’idée que les ressources, quelles qu’elles soient, peuvent être renouvelées ou restaurées si elles sont utilisées de manière responsable et respectueuse de leur capacité de régénération. Cette dernière vise à créer des systèmes qui peuvent se restaurer, se renouveler ou s’auto-entretenir au fil du temps plutôt que de s’épuiser ou de se détériorer. Si ce principe est aujourd’hui beaucoup utilisé pour aborder dans l’optique de l’utilisation des ressources naturelles, il ne s’y limite pas par définition.

Ainsi, pour comprendre ce qu’est la régénération, il est facile d’utiliser l’exemple du corps humain. À la question « Par quelle activité votre corps retrouve-t-il son énergie ? », une enfant de 10 ans, des étudiants en licence et des étudiants en MBA ont tous répondu : le sommeil. En effet, le sommeil est l’activité par laquelle le corps se ressource, sans avoir besoin d’apports externes que seraient l’eau ou la nourriture. Penser régénération pour les organisations c’est identifier les manières dont les ressources s’auto-entretiennent sans apport externe.

L’économie actuelle est intrinsèquement économiquement régénératrice

L’économie que nous connaissons est fondamentalement régénératrice, mais uniquement sur le volet économique. Pour comprendre cela, il suffit de comprendre que l’argent investi dans une activité génère des profits qui peuvent eux-mêmes être réinvestis pour accompagner la poursuite ou l’augmentation de l’activité.

Si les excédents sont suffisants, certaines entreprises choisissent de prélever une partie des profits pour les actionnaires. D’autres, comme les social business, s’interdisent de retirer l’excédent économique et réinvestissent l’ensemble dans le développement de l’entreprise, comme le fait la Grameen Bank (« Building Social Business Models : Lessons from the Grameen Experience », de Muhammad Yunus, Bertrand Moingeon et Laurence Lehmann-Ortega, Long Range Planning, 2010).

Dans nos sociétés modernes, des formes non économiquement régénératives existent : il s’agit principalement des fondations, des associations et des ONG, qui développent des activités qui n’engendrent pas de revenus, ou pas suffisamment pour assurer la pérennité de l’organisation. Ces formes d’organisations dépendent alors de dons, ou de subventions issues soit de fonds privés ou de subventions publiques.

Pour toutes les autres organisations, assurer une régénération économique équivaut à ‘trouver son business model’, c’est-à-dire identifier comment capter la valeur économique issue des activités réalisées par l’organisation. Par conséquent, toute entreprise pérenne est par définition économiquement régénérative : leurs activités renouvellent leurs ressources et assurent donc viabilité et développement. Le concept de régénération n’est donc pas étranger aux entreprises mais cette régénération mono dimensionnelle axée sur l’économique ne permet plus d’adresser la pluralité des enjeux auxquels font face directement ou indirectement les organisations.

Passer de l’économiquement régénératif au triplement régénératif

L’entreprise triplement régénérative se caractérise par sa capacité à auto-entretenir ses ressources non seulement économiques, mais aussi sociales et environnementales. Comment une entreprise peut-elle régénérer des ressources humaines ? A minima, il s’agit de ne pas épuiser (tant physiquement que psychologiquement) les ressources avec lesquelles on travaille.

A maxima, il s’agit de développer le potentiel de compétences des ressources qu’on emploie. Pensons par exemple à des organisations qui emploient des personnes en reprise d’activité après une période de chômage ou qui œuvrent pour la réinsertion professionnelle post-incarcération : en exerçant un emploi, ces personnes vont redevenir aptes à travailler et redeviendront employables malgré leur passé difficile. Certaines entreprises, certaines équipes, voire certains managers bénéficient ainsi de cette réputation de développer le potentiel de leurs collaborateurs, faisant d’eux des ressources humaines qui continuent de se développer grâce à leur activité au sein de l’organisation.

Ce raisonnement est aussi applicable aux ressources naturelles, où il ne s’agit pas de dégrader le moins possible, mais d’améliorer l’écosystème vivant dans lequel l’entreprise évolue. Ce principe est au fondement de l’agriculture régénérative dont l’objectif est de permettre aux agriculteurs d’entretenir le sol sans intrants, notamment chimiques. Ces pratiques requièrent de respecter les particularités des sols comme des activités de la ferme. Le principe est extrapolable à d’autres entreprises : participation à la captation de CO2, amélioration de la biodiversité, etc.

Les principes de l’économie symbiotique offrent en la matière des leviers d’action pour régénération des ressources naturelles par des collectifs d’entreprises (« L’économie symbiotique », d’Isabelle Delannoy et Dominique Bourg, Actes Sud, 2017). Ces éléments peuvent par ailleurs faire directement partie du business model de l’entreprise comme dans l’agriculture régénérative (cas par exemple de la ferme du Bec hellouin), ou être des activités connexes (par exemple, en pratique, l’éco pâturage pour entretenir les pelouses entourant les bâtiments des entreprises).

Trois processus centraux

Il est illusoire d’imaginer proposer un ensemble d’activités qui soit strictement triplement régénératif, au sens où cet ensemble régénérerait l’ensemble de ses ressources humaines et naturelles utilisées par l’entreprise. Toutefois, œuvrer pour la triple régénération est une logique de réflexion et d’action concrète pour le développement d’impacts positifs des entreprises dans une triple dimension économique, sociale et environnementale.

Trois processus clés ouvrent la voie :

  • Identifier les ressources que l’entreprise souhaite régénérer. C’est une étape cruciale car sans avoir précisément identifié les ressources auxquelles la régénération doit assurer la pérennité, ces démarches risquent d’être trop génériques et manquer l’objectif de régénération.
  • Identifier les ressorts de la régénération de manière itérative et souple. En prenant exemple sur la régénération économique, on peut voir que de nombreux changements sont nécessaires tout au long de la vie d’une entreprise pour assurer que la régénération opère et se poursuive. De la même manière, on peut voir que les fermes qui pratiquent la régénération de sols se livrent à de multiples expérimentations, apprennent de leurs tests et s’adaptent constamment. Les processus de régénération, qu’ils visent la régénération économique, environnementale ou sociale se veulent donc itératifs, adaptatifs et souvent difficiles. C’est un travail de long terme et il serait illusoire de les concevoir comme des recettes simples à mettre en œuvre.
  • Évaluer et construire les interactions entre les sphères économiques, sociales et environnementales. Les objectifs économiques, sociaux et environnementaux sont souvent considérés a priori comme incompatibles. Or, de nombreuses recherches mettent en évidence qu’il est possible de les réconcilier. L’approche systémique permet de modéliser la manière dont les sphères économiques, sociales et environnementales interagissent et d’imaginer des modèles où ces interactions deviennent synergiques. Dans ce cadre, il est utile de réfléchir à l’entreprise en interaction avec son écosystème pour comprendre la manière dont elle régénère des ressources. L’économie circulaire est un excellent exemple : chaque entreprise ne régénère pas à elle seule mais la chaîne des entreprises œuvrant dans l’économie circulaire permet de régénérer des déchets en ressources.

En promouvant l’entreprise triplement régénérative, les managers proposent des modèles d’entreprise qui œuvrent non seulement pour la création de valeur économique, mais aussi pour la création de valeur environnementale et sociale.

L’entreprise triplement régénérative est une heuristique qui place l’entreprise comme un acteur générant un effet positif sur nos sociétés. Elle se pose ainsi comme un imaginaire qu’il est possible de mettre en œuvre et qui réconcilie l’entreprise et la société.

Par Lionel Garreau

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