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Pas de transition réussie sans un leadership climatique du conseil d’administration

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Face à l’urgence climatique, les entreprises doivent se transformer. Le conseil d’administration, en tant qu’organe de gouvernance, a un rôle crucial à jouer pour impulser et soutenir cette transition.

Hors norme. Ainsi fut 2023. Chaque mois de l’année a connu un nouveau record de chaleur mondial, battant ceux de 2022, qui était déjà exceptionnelle. Face à ce constat alarmant qui se prolonge en 2024, les entreprises ne doivent pas s’habituer et entrer dans une « routine » de la catastrophe. Elles doivent plutôt s’adapter à cette nouvelle réalité en adoptant des stratégies résilientes.

Le conseil d’administration, bien que souvent discret, joue un rôle crucial dans ce défi. Il a en effet l’opportunité de développer et d’imposer un véritable leadership climatique.

Un leadership à renouveler pour un engagement climatique sincère

Toute entreprise est soumise en permanence à des « stimuli » externes l’invitant à se positionner et à apporter les réponses appropriées (« Managing Physical Impacts of Climate Change : An Attentional Perspective on Corporate Adaptation », de Jonathan Pinkse et Federica Gasbarro, Business & Society, 2019).

Ces pressions peuvent être d’ordre économique (fluctuations du prix des fournitures et des matières premières), réglementaire (nouveaux standards et contraintes législatives) ou encore social (enjeux d’image et de réputation). Aujourd’hui, la plupart des entreprises classent le changement climatique comme un problème externe parmi d’autres, auquel il faut apporter des réponses.

Cependant, cette approche traditionnelle est insuffisante face aux deux types de conséquences engendrées par le changement climatique :

  1. Premièrement, les aléas climatiques (inondations, feux, etc.) se multiplientde manière brutale et imprévisible, perturbant les activités économiques et sociales.
  2. Deuxièmement, les tendances de fond(montée des eaux, sécheresses estivales) s’accélèrent et deviennent irréversibles, créant de nouveaux défis à long terme.

Ces deux types dynamiques ne se limitent pas au domaine environnemental, mais se combinent avec d’autres difficultés économiques ou sociales pour créer des situations complexes. La crise des semi-conducteurs en 2021, résultat d’une reprise de la demande économique post-covid et de fortes sécheresses à Taïwan, en est un exemple frappant.

Le changement climatique ne se résume pas à un problème ponctuel que les entreprises peuvent résoudre une fois pour toutes. Il s’agit d’une matrice de risques qui agit comme un catalyseur et reconfigure tous les autres défis auxquels nous sommes confrontés. A ceci s’ajoute un dernier élément capital : notre climat se dérègle irrémédiablement, sans retour en arrière possible. Nous ne sommes pas face à des épisodes ponctuels, mais bien à l’installation d’un nouveau régime climatique (« Face à Gaïa : Huit conférences sur le nouveau régime climatique », de Bruno Latour, Éditions La Découverte, 2015)

Face à cette singularité du changement climatique, il est urgent que les entreprises, et leurs organes de gouvernance, comprennent cette situation afin de s’assurer un avenir pérenne.

Une prise en compte mineur de la problématique climat

Pour faire face au changement climatique, il est impératif d’agir sur deux fronts : l’atténuation (avec l’objectif de neutralité carbone) et l’adaptation (aux transformations en cours) (« A roadmap for rapid decarbonization », de Johan Rockström, Owen Gaffney, Joeri Rogelj, Malte Meinshausen, Nebojša Nakićenović et Hans Joachim Schellnhuber, Science, 2017).

Pour les entreprises, cela passe par un effort d’optimisation de leurs activités et de leurs chaînes de valeur via des innovations, puis par la transformation de leurs propositions de valeur, afin d’intégrer la nouvelle donne climatique. La rédaction et la mise en œuvre de cette feuille de route sont possibles aujourd’hui grâce à de nombreux outils et cadres d’action et une part significative des grandes entreprises communiquent sur le sujet (« Defining Net Zero for organizations : How do climate criteria align across standards and voluntary initiatives ? », de Kaya McGivern Axelsson et Alexis, Oxford Smith School, 2022).

Pourtant, comme le rappelle le think tank Net Zero Tracker, seuls 4% d’entre elles ont des plans climats associés. Une proportion encore plus restreinte présente des investissements à la hauteur des objectifs. Il y a un écart abyssal entre les discours et les actes.

En réalité, si les informations et les solutions sont disponibles, elles ne suffisent pas à mobiliser et à transformer les entreprises. La prise de conscience ne déclenche pas forcément l’action. Elle nécessite l’émergence d’un véritable leadership climatique au cœur de la gouvernance afin de faire évoluer l’identité de l’entreprise, son modèle économique, ses opérations industrielles et commerciales et bien évidemment son champ de responsabilité.

À la confluence des parties prenantes externes et internes, le conseil d’administration apparaît comme le pivot de cette transformation climatique afin de soutenir des dynamiques de transition à la hauteur des défis (et périls) auxquels les entreprises sont et seront confrontées.

Organe clé de la gouvernance, le conseil d’administration a en charge la validation des options stratégiques et de la pérennité de l’entreprise, il accueille un collectif capable d’initier et de soutenir une dynamique de changement. Sans son implication et une montée en compétences, il est illusoire d’espérer tenir les objectifs de transition et de parvenir à coupler la double ambition d’atténuation et d’adaptation.

Construire le leadership climatique du conseil d’administration

Le conseil d’administration et les administrateurs occupent une place centrale dans la dynamique de transition. Ils assument la responsabilité cruciale de valider les orientations stratégiques majeures et d’évaluer les risques auxquels l’entreprise est confrontée. Contrairement aux dirigeants exécutifs, leur position leur confère un recul précieux et une capacité à mettre à distance les urgences de l’opérationnel.

Un leadership climatique doit s’installer dans le conseil d’administration afin de préparer les entreprises et soutenir l’action des dirigeants. La plupart des initiatives réglementaires vont d’ailleurs dans ce sens et font du conseil d’administration, l’organe de gouvernance essentiel pour la conception et le pilotage de la transition climatique.

Ce leadership climatique du conseil d’administration repose sur 4 dimensions complémentaires.

1/ Évaluer la vulnérabilité de l’entreprise

Garantir la pérennité de l’entreprise demande d’être lucide sur sa vulnérabilité vis-à-vis du changement climatique. Coincés dans les stimuli du quotidien, la plupart des administrateurs n’identifient pas les risques liés au changement climatique. Quand ils le font, ils ne perçoivent pas forcément les entreprises comme vulnérables, car ils ont l’illusion du contrôle grâce aux routines de gouvernance actuelles qui ne les projettent pas dans un monde traversé par des aléas climatiques plus intenses et plus fréquents.

Le conseil d’administration doit demander aux dirigeants d’établir un état des lieux sincère de l’exposition de l’entreprise face aux risques climatiques, afin de ne pas sous-estimer leurs conséquences sur ses opérations et pour mettre les moyens à la hauteur. Plus largement, il doit faire émerger une vision de l’entreprise intégrée dans le changement climatique en identifiant avec lucidité et clairvoyance les risques auxquels elle est exposée.

L’évaluation de cette vulnérabilité doit se penser au niveau physique (hausse des températures, évènements extrêmes, élévation du niveau de la mer), mais également institutionnel et réglementaire (changements réglementaires, nouvelles tendances du marché, problèmes technologiques, implications en termes de réputation de l’entreprise).

2/ Construire une stratégie et un plan de transformation

Une fois cette boussole réparée, le conseil peut édifier une stratégie et un plan de transformation pertinent, via des actions coordonnées. Faire preuve de leadership climatique consiste à savoir appuyer sur le bon accélérateur au bon moment afin d’améliorer rapidement et de manière pérenne la situation. Cela implique de choisir.

Par exemple, il faut potentiellement décider de désinvestir un secteur fortement émetteur au rendement court terme, pour se concentrer sur un autre assurant une résilience, de l’entreprise et de la planète, à long terme. C’est pourquoi La Banque postale s’est engagée en 2021 à cesser de financer les entreprises du secteur pétrolier et gazier, suivie de Crédit Mutuel, Barclays, Crédit Agricole, en 2023 sous la pression d’un groupe de 30 investisseurs, dont les gestionnaires d’actifs Candriam et La Française.

Ces renoncements et désinvestissements permettent de libérer des capitaux et de construire une expertise de gestion en interne pour des projets de transition, de nature transverse. Cela ouvre de nouvelles opportunités et envoie un signal fort de crédibilité pour les investisseurs. Cette stratégie et ce plan de transformation doivent être construits, en confiance, avec les dirigeants et leurs équipes.

3/ Repenser les relations de l’entreprise dans son environnement socio-naturel

Au-delà de la relation avec les investisseurs et du plan stratégique, il faut également repenser les relations de l’entreprise avec toutes ses parties prenantes. En interne, le changement climatique suppose une solide remise à niveau des collaborateurs pour comprendre son implication dans chacun des métiers et acquérir les compétences pour agir.

À l’externe, il faut répartir la responsabilité de la transition avec ses partenaires tout au long de la chaîne de valeur. Par exemple, pour de nombreux industriels, l’approvisionnement énergétique sort peu à peu d’une logique de mise en concurrence et de négociation annuelle des contrats. Il peut se fonder maintenant sur une logique de collaboration où des partenariats sont signés avec le même partenaire pendant 15 à 20 ans.

Si le conseil d’administration n’a pas vocation à faire vivre cette dynamique partenariale renouvelée, il lui revient la responsabilité d’inviter les dirigeants à changer de paradigme, afin de soutenir la dynamique de transition et de développer la résilience de l’entreprise avec ses parties prenantes.

4/ Changer soi-même pour changer la gouvernance de l’entreprise

Ces principes de lucidité doivent s’appliquer d’abord aux membres du conseil, car les administrateurs et les administratrices ne sont, pour la plupart, ni sachants, ni compétents sur les sujets liés au changement climatique. Leur situation privilégiée les conduit généralement à perpétuer le statu quo dans une attitude attentiste alors qu’ils devraient montrer l’exemple.

Même dans les meilleurs cas, les bonnes volontés ne suffisent pas et de nouveaux outils cognitifs, intellectuels, et managériaux sont nécessaires afin de réussir à imposer un changement culturel au sein des conseils d’administration. Des initiatives comme celle du « board scorecard » proposé par Chapter Zero, sont susceptibles de soutenir cette mue culturelle au sein des conseils. Cette transformation culturelle doit être généralisée, car le nouveau régime climatique de l’Anthropocène et le franchissement des limites planétaires requièrent de mobiliser toutes les dimensions disponibles de l’administrateur au conseil, du conseil à l’entreprise, de l’entreprise au système Terre.

Le leadership climatique du conseil d’administration passe par une préparation et une montée en compétences. Il ne peut en aucun cas se décréter. Comprendre le changement climatique et ses effets passe par un socle cohérent et documenté de connaissances et d’outils, allant des informations scientifiques les plus récentes, aux outils de scénarisation et de prospective, en passant par la maîtrise des réglementations actuelles et futures.

La posture de l’administrateur et la capacité à développer des conversations documentées et contradictoires au sein des conseils sont également un élément clé pour construire et mettre en œuvre une transition climatique durablement créatrice de valeur.

Par  Bertrand Valiorgue,Xavier Blot

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