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Comment négocier avec plus fort que soi ?

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Face à un adversaire puissant, la négociation classique est un piège. Osez briser les codes. Renversez le rapport de force. Transformez l’échec en une victoire inattendue.

La négociation idéale est souvent présentée comme une discussion constructive, nourrie par une volonté mutuelle de co-création bienveillante. Comme si on parlait d’échanges amicaux sans frottements dans un univers théorique « pur et parfait », comme disent les économistes. La réalité est pourtant différente. Dans une négociation, qu’on le veuille ou non, il y a en général une partie qui est plus « forte » que l’autre et qui n’hésitera pas à utiliser cette domination dans le rapport de force.

Personne n’est dupe. Les professionnels savent pertinemment que certaines négociations n’en sont pas. Pourquoi ? Parce que l’une des parties est tellement puissante qu’elle ne souhaite même pas négocier. Elle impose à ses interlocuteurs ses conditions commerciales, financières ou contractuelles. À prendre ou à laisser.

Ce type de négociation ne représente peut-être pas la majorité des cas. Mais ce n’est pas non plus une situation isolée. On pense à l’entreprise de taille moyenne, fournisseur de la grande distribution toute puissante, ou à des entreprises évoluant sur des marchés oligopolistiques. Mais la plupart du temps il s’agit simplement d’une domination conjoncturelle entre deux acteurs devant se mettre d’accord.

Bien que ce genre de négociations soit souvent considéré comme une mission impossible pour les « David » de l’histoire, il existe des moyens de rendre les « Goliath » plus vulnérables et de rééquilibrer la relation. En voici quelques-uns :

Eviter le disque rayé

L’un des comportements les plus improductifs dans ce genre de situation est de s’enfermer dans un fonctionnement de disque rayé et de reproduire les schémas du passé. Comme l’a montré le psychologue de l’école de Palo Alto Paul Watzlawick, si l’on veut provoquer un changement réel de comportement, il est inutile d’essayer de faire « plus de la même chose ». Un changement systémique est nécessaire. Il faut pouvoir casser le cadre et briser le schéma existant (« Changements : paradoxes et psychothérapie », de Paul Watzlawick, John Weakland et Richard Fisch, Éditions du Seuil, 1975).

La première des mesures à prendre dans le cas d’une négociation totalement déséquilibrée pourra par exemple consister à faire appel à un conseil extérieur qui prendra en charge la négociation pour le compte de l’entreprise défavorisée dans le rapport de force.

Plusieurs raisons militent en faveur d’une telle option :

Le conseil extérieur a lavantage de ne pas être pollué par lhistorique de la relation. Sa curiosité voire sa candeur peuvent même l’amener à poser des questions, en apparence naïves, mais qui au fond sont profondément pertinentes.

Des questions qui balayent l’idée que « on a toujours fait comme ça » et que « ça ne changera jamais ». Des questions qui ne seront pas prisonnières des biais et autres constructions cognitives des négociateurs existants. Des questions dignes de l’inspecteur Colombo, simples voire simplistes, qui ont la capacité de déstabiliser la partie adverse.

L’exemple frappant d’une négociation internationale avec un cabinet d’avocats parisien illustre le pouvoir des questions « enfantines ». La candeur et l’innocence des interrogations des avocats ont déstabilisé la partie adverse, l’obligeant à sortir de sa zone de confort et à reconsidérer sa position. Ce type de questions, que l’on peut qualifier de « questions qui font transpirer », ne peut provenir que d’un esprit extérieur à la relation existante.

Leffet auto-réalisateur :

Si nous nous attendons à un conflit dans une négociation nous sommes plus enclins à créer les conditions pour qu’un conflit apparaisse. C’est la théorie de la « prophétie auto-réalisatrice » développée par le sociologue Robert Merton. Il est alors généralement recommandé d’abandonner ses croyances et d’avoir un esprit ouvert afin de faire preuve d’une plus grande neutralité (« The Self-Fulfilling Prophecy », de Robert K. Merton, The Antioch Review, 1948).

Mais en pratique, il est difficile de faire disparaître une croyance profonde et ancrée dans notre vision de la réalité. Demander une aide extérieure permettra de se débarrasser de l’idée que la négociation à venir ressemblera aux précédentes.

Transformer son plan B en plan A+

On part souvent du principe, lorsqu’on est face à une partie adverse plus puissante que nous que nous sommes condamnés à accepter des termes défavorables. Parce que nous avons plus besoin d’elle qu’elle n’a besoin de nous.

Mais au lieu de subir cette situation, certes parfois réelle, pourquoi ne pas essayer de renverser le rapport de force ? Au lieu d’accepter une fois de plus ces conditions désavantageuses, pourquoi ne pas se poser la question suivante : Et s’il était possible de me passer de cet adversaire toxique ? De ce partenaire qui n’en est finalement pas un ? Comment pourrais-je me rendre plus indispensable ou réduire ma dépendance ?

Dans leur livre « Getting to Yes », Roger Fisher, William Ury et Bruce Patton, avocats et membres du Harvard Negotiation Project, partagent l’exemple d’une entreprise ayant l’intention de sous-traiter une partie de sa production à un fournisseur externe. Avant de finaliser cette décision coûteuse, elle décida cependant d’explorer d’autres options et découvrit qu’elle était finalement en mesure d’internaliser la production en investissant dans une nouvelle unité de fabrication interne. Option qui fut retenue car beaucoup moins onéreuse que d’être dépendante d’un fournisseur en mesure d’imposer ses conditions (« Comment réussir une négociation », Seuil, 2022).

Garder toujours un temps d’avance

Beaucoup de négociateurs (ou entreprises devant négocier un deal ou contrat) pensent que la négociation commence seulement …quand elle commence. On parle même de « kick-off » de la négociation. C’est une erreur. Il est essentiel de s’immerger dans la relation et le contexte bien en amont pour maximiser ses chances de succès. Afin d’avoir une vue d’ensemble, il faut ainsi pouvoir mettre un pied dans la relation avant que les « hostilités » ne démarrent.

Nul doute qu’un spectateur arrivant au milieu d’un film ou d’une représentation théâtrale comprendra le sens de l’histoire, mais il passera à côté des subtilités contextuelles. C’est la même chose pour un négociateur : Sa lecture de la situation relationnelle entre les deux parties sera obscurcie par des points aveugles et des angles morts. Il existe au moins 2 raisons pour lesquelles un négociateur sera d’autant plus efficace qu’il sera impliqué en amont de la négociation :

➤ Une immersion totale permet d’envisager chaque évènement d’une relation de partenariat, commerciale, ou autre, à travers le prisme de la négociation à venir. Il faut pouvoir s’imprégner de chaque détail, même insignifiant, de chaque conversation afin de mieux détecter les failles, visibles et invisibles de la partie adverse.

Dans un tout autre contexte, Anne Méaux, figure emblématique de la communication et fondatrice d’Image 7, s’exprimant auprès de Matthieu Stéfani dans le podcast Génération Do It Yourself, a souligné l’importance cruciale de maintenir un contact permanent avec ses clients, avant même que des besoins critiques n’apparaissent. Cela lui permet de mieux les connaître, pavant ainsi le chemin vers des stratégies sur mesure le moment venu.

De même, une relation commerciale est bien plus qu’une relation commerciale ; c’est l’antichambre de la négociation. La partie immergée de l’iceberg qui permet de créer un contexte et un rapport de force plus favorables.

 L’autre raison est tout simplement liée à l’absolue nécessité de peaufiner sa préparation avant de plonger tête baissée dans une négociation. Si tout le monde s’accorde à dire que préparer une négociation est crucial, la réalité montre que les parties prenantes n’ont parfois pas suffisamment investi de temps et d’efforts dans cette phase pourtant décisive.

Remettre en question l’ordre établi, challenger le statu quo, n’est pas l’apanage des startups disruptives. En matière de négociation, cet état d’esprit peut transformer des rapports de force déséquilibrés en opportunités de collaboration inattendues.

Face à un géant, le challenger ne doit pas se contenter de négocier. Il lui faut redéfinir les règles du jeu, faire émerger un nouveau cadre et réinventer la relation avec l’autre partie.

Par Philippe Roy

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