Management & RH

Quand sécurité psychologique rime avec performance

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Par Olivier Laborde

Connaissez-vous la « fearless organization »? Ce modèle de culture organisationnelle permet d’instaurer un climat de sécurité psychologique au travail favorisant l’apprentissage, l’innovation et la collaboration.

Professeure de leadership et de management à la Harvard Business School, Amy C. Edmonson a décrit dans son livre, « The Fearless Organization », les conditions nécessaires à ce qu’elle appelle la « sécurité psychologique » au travail. Cette dimension émotionnelle, qui favorise l’apprentissage, l’innovation et la croissance, aide aussi à expliquer les différences de performance entre les entreprises.

Une étude pluriannuelle des équipes de Google, rapportée par Charles Duhigg, journaliste et éditorialiste au « New York Times Magazine », fin février 2016, révélait elle aussi que la sécurité psychologique était le facteur essentiel expliquant pourquoi certaines équipes surpassaient les autres. Les chercheurs à l’origine de ce travail ont découvert que même l’employé extrêmement intelligent et puissant de Google avait besoin d’un environnement psychologique sûr pour mettre pleinement ses talents au service de l’entreprise. Cette étude a également trouvé quatre autres facteurs expliquant la performance des équipes : des objectifs clairs, des collègues fiables, un travail qui ait du sens et la conviction que leur contribution a un impact. Pour le responsable de l’étude, la sécurité psychologique était, de loin, le facteur le plus important, et pouvait même être considéré comme les fondations sur laquelle reposaient les quatre autres piliers.

Droit à l’erreur et création de valeur

La sécurité psychologique est un climat qui permet aux collaborateurs de s’exprimer et dans lequel ils se sentent à l’aise : ils peuvent partager librement leurs idées, même à l’état d’ébauche, leurs préoccupations, leurs interrogations et leurs erreurs, sans crainte d’être jugés ou de subir des représailles. Aujourd’hui, dans la plupart des organisations, les salariés n’osent pas s’exprimer, hésitent à demander quelque chose qui pourrait donner une mauvaise image d’eux-mêmes. Or, dans un univers de travail plus que jamais collaboratif, ce n’est pas de bon augure pour la performance des entreprises.

Dans les lieux de travail psychologiquement sûrs, les collaborateurs savent qu’ils peuvent se tromper, faire des erreurs, mais aussi recevoir du feed-back sur leur performance sans craindre pour leur emploi. Un cercle vertueux se met alors en place : les erreurs sont signalées rapidement, afin que des modifications puissent être réalisées ; une coordination transparente entre les équipes ou les départements est activée et des idées d’innovation potentiellement révolutionnaires sont partagées. La sécurité psychologique est donc bien une source essentielle de création de valeur dans les organisations opérant dans un environnement complexe et changeant.

Les managers qui croient encore au pouvoir de la peur pour motiver se trompent : au contraire, la peur inhibe la collaboration. La recherche en neurosciences montre, en effet, qu’elle consomme des ressources physiologiques, les détournant des zones du cerveau qui gèrent la mémoire « de travail », nuisant de ce fait à la réflexion analytique, aux idées créatives et à la résolution de problèmes.

Confrontation productive

Des contradicteurs pourraient laisser entendre que la sécurité psychologique est un environnement de travail trop laxiste, sans règles ni sanctions. C’est faux. Travailler dans un environnement psychologiquement sûr ne signifie pas que l’on soit toujours d’accord les uns avec les autres pour être gentil et éviter confrontations et tensions – les conflits surviennent inévitablement sur le lieu de travail. Mais la sécurité psychologique permet aux salariés dont les avis divergent de parler franchement de ce qui les dérange. Elle favorise la volonté d’engager une confrontation productive, afin d’apprendre de différents points de vue.

La sécurité psychologique ne consiste pas non plus à abaisser le niveau d’exigence et de performance : il y a toujours des normes élevées à satisfaire et des délais précis à respecter. Car sécurité psychologique et niveau de performance sont deux dimensions distinctes, tout aussi importantes, qui affectent les équipes et la performance organisationnelle dans un monde interdépendant complexe. Il en va de même pour le partage et la mise en valeur d’un objectif commun qui a du sens.

Des silences délétères

Réfléchissez un instant : il vous est certainement déjà arrivé, dans votre vie professionnelle, de ne pas avoir posé une question qui vous tenait à cœur, ou de vouloir proposer une idée, mais de ne pas oser vous lancer. Plusieurs études montrent que ces silences sont malheureusement courants, et très dommageables autant pour l’entreprise que pour l’intelligence collective.

Personne ne profite du silence. Les équipes passent à côté d’informations peut-être précieuses pour le bon fonctionnement de l’organisation.

De plus, les collaborateurs qui ne prennent pas la parole ressentent souvent des regrets ou de la frustration. Certains souhaiteraient avoir parlé. D’autres reconnaissent qu’ils pourraient être plus épanouis et que leur travail pourrait avoir davantage de sens s’ils avaient la possibilité de s’exprimer plus.

En cause, peut-être, les règles implicites de la prise de parole en entreprise, qui empêchent trop souvent la liberté d’expression, avec un environnement caractérisé par des croyances telles que :

  • il ne faut pas critiquer quelque chose que le patron a pu contribuer à développer ou qu’il a approuvé au préalable ;
  • il ne faut pas intervenir à moins d’avoir des arguments solides ;
  • il ne faut pas parler si le boss du boss est présent, etc.

Les dirigeants qui ne sont prêts à accueillir qu’approbations et compliments créent, sans le vouloir, un climat de peur qui les empêche non seulement d’entendre la vérité, mais, surtout, qui contraint les employés à se taire. Or une culture du silence est une culture dangereuse et nuisible à la performance de l’entreprise.

Pas-à-pas en trois étapes

Le succès dans un monde VUCA (acronyme de « Volatility, Uncertainty, Complexity, Ambiguity », soit « volatilité, incertitude, complexité et ambiguïté », en français) nécessite que les dirigeants interagissent de manière proactive et fréquente avec leurs collaborateurs, quel que soit leur échelon dans l’entreprise. Ils doivent créer un climat propice à la prise de parole, pour que les informations cruciales soient partagées à tous les niveaux.

Pour cela, Amy C. Edmondson propose trois étapes : définir un nouveau cadre, favoriser la prise de parole et répondre de manière productive.

  • La première étape consiste à définir un nouveau cadre de référence collectif dans l’entreprise, qui prône les discussions ouvertes et le droit à l’erreur. Il faut que les collaborateurs soient sur la même longueur d’onde, avec des objectifs communs et une appréciation partagée de ce qu’ils vivent et affrontent. Les dirigeants doivent modifier la culture d’entreprise, en fixant les attentes vis-à-vis de l’échec et de la façon dont il est accueilli et, enfin, en expliquant ce qui est en jeu, pourquoi c’est important et pour qui.
  • La deuxième étape propose d’inviter les collaborateurs à s’exprimer et à faire remonter les éventuelles défaillances observées, à évoquer leurs doutes sur certaines pratiques ou process… Pour montrer que l’invitation à s’exprimer est authentique, les leaders doivent faire montre de deux attitudes essentielles : adopter une posture d’humilité et s’engager à agir. Un état d’esprit ouvert, qui allie humilité et curiosité, la faculté de montrer qu’il y a toujours plus à apprendre, permettront de lever cette barrière fréquemment rencontrée dans le monde de l’entreprise.
  • La troisième étape est tout aussi cruciale. Il s’agit de la force de la preuve, de montrer que, au-delà de l’écoute, les prises de parole sont entendues et que des actions suivent. Parler n’est, en effet, que la première étape. C’est surtout la façon dont les dirigeants réagissent lorsque les salariés prennent la parole qui fait office de véritable test. La définition d’un nouveau cadre de référence et cette invitation à la participation renforcent la sécurité psychologique. Mais si un dirigeant répond avec colère ou dédain dès que quelqu’un s’avance pour parler d’un problème, la sécurité psychologique s’évaporera rapidement.

Des talents et du collectif

De nos jours, de plus en plus d’activités se font en équipe dans les entreprises. Les salariés, à tous les niveaux, passent ainsi 50% de temps de plus à collaborer qu’il y a vingt ans (lire l’article « Collaborative Overload », HBR édition américaine, janvier-février 2016). Pour autant, l’embauche de recrues talentueuses ne suffit pas : elles doivent pouvoir travailler ensemble. L’échec de la plupart des entreprises n’est pas dû à un manque de talents, mais à l’absence du leadership nécessaire à l’installation d’un climat de collaboration et de sécurité psychologique sur le lieu de travail.

Passer d’un environnement de travail où les gens dissimulent leurs erreurs pour se protéger à un environnement psychologiquement sûr, où les prises de parole sont encouragées et accueillies avec bienveillance, est un chemin long et difficile. Mais c’est à ce prix que les entreprises pourront continuer à apprendre et à innover dans le monde d’aujourd’hui, et plus encore dans celui de demain.

admin
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