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Trois raisons pour lesquelles la compensation carbone ne fonctionne pas

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La compensation carbone est devenue en quelques années l’un des slogans verts préférés des grandes entreprises et industries. L’idée pouvait paraître intéressante il y a une dizaine d’années, mais les nouvelles connaissances sur le climat, la biodiversité et la réalité des pratiques en entreprise démontrent désormais que la compensation est bien souvent inefficace.

La démarche de la compensation carbone consiste à mettre en place des actions permettant de séquestrer le dioxyde de carbone afin de compenser ses émissions de gaz à effet de serre. Dans la grande majorité des cas, l’action mise en place par l’entreprise passe par la plantation d’arbres, et cela, n’importe où dans le monde. Une entreprise peut donc relâcher du carbone en région parisienne et décider de compenser cette pollution par la plantation d’un certain nombre d’arbres en Amazonie. En théorie, cette compensation carbone doit s’accompagner d’un effort de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Mais, dans la réalité, la compensation carbone est bien loin de remplir ses objectifs. Découvrez les trois principales raisons.

REPLANTER LES FORÊTS VA-T-IL SAUVER LA PLANÈTE ? UNE RÉPONSE TOUT EN NUANCE AVEC ADRIEN PAGÈS, CRÉATEUR DE MORFO, UNE ENTREPRISE QUI REPLANTE DES FORÊTS PAR DRONE. © FUTURA

Les jeunes arbres plantés sont efficaces au bout de plusieurs dizaines d’années

Planter des centaines ou milliers de jeunes arbres n’est pas une solution effective et rapide pour séquestrer le carbone : la meilleure action en faveur de la biodiversité et du climat est de conserver les arbres matures. Les arbres ne commencent à devenir vraiment efficaces pour séquestrer le carbone qu’à partir de 40 à 50 ans. La plus forte séquestration de carbone a ensuite lieu en milieu de cycle de vie des arbres : entre 70 et 140 ans, selon les différentes espèces. Autant dire que planter un jeune arbre n’a qu’un effet très limité, comparé à l’action de protéger des arbres déjà en place.

IL FAUT ATTENDRE AU MOINS 40 ANS AVANT QU’UN ARBRE ABSORBE ET STOCKE DES QUANTITÉS SIGNIFICATIVES DE CARBONE. © MARIJA, ADOBE STOCK

Les sécheresses et incendies anéantissent une partie des arbres

Une partie importante de ces jeunes arbres plantés ne survit pas à la première année, à cause de facteurs variés comme un mauvais emplacement, des conditions météo difficiles ou des parasites. Mais, au cours des dernières années, c’est la multiplication des sécheresses qui a fait des ravages. Selon une étude de l’IGN publiée en 2023, la mortalité des arbres a augmenté de 80 % en l’espace de 10 ans en France. Plus encore, sur cette même période, la croissance des arbres a ralenti de 4 % principalement à cause de la sécheresse. Le monde a aussi été confronté à de grands incendies qui ont ravagé des forêts entières ces dernières années : la forêt des Landes en France en 2022, mais aussi l’Amazonie en 2023, une zone où de nombreuses entreprises effectuent leur compensation carbone.

LA MULTIPLICATION DES SÉCHERESSES ET LES MÉGAFEUX FONT AUGMENTER LA MORTALITÉ DES ARBRES, ET EN PARTICULIER CELLE DES JEUNES POUSSES. © RICK, ADOBE STOCK

Les entreprises ne réduisent pas forcément leurs émissions de gaz à effet de serre

La compensation carbone doit s’accompagner d’une réduction des émissions de polluants de la part des entreprises : cette compensation n’est pas une action qui s’effectue à la place d’un effort de réduction de la pollution, mais en plus. Une règle parfois oubliée, d’autant plus que le calcul des « crédits carbone » est bien compliqué.

“Cette compensation n’est pas une action qui s’effectue à la place d’un effort de réduction de la pollution, mais en plus”

L’enquête Carbon Offsetting a montré que beaucoup d’entreprises utilisent des crédits carbone (une unité équivalente à une tonne de CO2 évitée ou séquestrée), et communiquent dessus, alors même qu’elles ne connaissent pas les niveaux exacts des émissions de gaz à effet de serre qu’elles rejettent. La compensation carbone est donc complètement aléatoire. Autre souci, l’oubli des émissions de gaz à effet de serre qui sont rejetés pour la mise en place de la compensation carbone : l’élevage et la plantation de jeunes arbres peuvent être émetteurs de carbone lorsque cela s’accompagne d’engrais, de transports, et d’utilisation d’engins mécaniques.  

La compensation carbone des entreprises ne serait d’aucune utilité, selon une étude choc

Article de Karine Durand, écrit le 18 octobre 2023

Le site The Guardian a mené une vaste étude de résultats sur le principal fournisseur de compensation carbone pour les grandes entreprises. Plus de 90 % des projets de compensations carbone en faveur des forêts tropicales seraient complètement inutiles, et certaines actions seraient même carrément néfastes.

L’idée, derrière le mécanisme de la compensation carbone, est d’atténuer son impact écologique en finançant un projet permettant de séquestrer les émissions de gaz à effet de serre. Concrètement, pour une entreprise industrielle dont les activités rejettent beaucoup de CO2, cela consiste, par exemple, à soutenir des actions de reforestation de la forêt tropicale. Et comme le carbone n’a pas de frontière, ces projets sont bien souvent menés à l’autre bout du monde. Chaque « crédit carbone » accumulé par ces projets représente ensuite l’équivalent d’une tonne de CO2 réduite ou séquestrée dans les sols ou océans. Qu’il s’agisse de véritables actions ou bien purement d’une stratégie de communication, la compensation carbone est de plus en plus utilisée par les entreprises. Mais que vaut-elle réellement ? C’est à cette question qu’a tenté de répondre l’enquête du site The Guardian publiée le 18 janvier.

94 % des crédits carbone donnés aux entreprises n’auraient pas dû être approuvés

Les résultats de cette étude de neuf mois sont consternants : plus de 90 % des projets liés aux forêts tropicales sont complètement inutiles. Pour avancer de tels chiffres, l’enquête se base sur les projets du principal fournisseur de compensation carbone, l’entreprise Verra, qui travaille avec de grands groupes comme Disney, Shell, EasyJet, Gucci, mais aussi le groupe de rock Pearl Jam.  

Menée en partenariat avec le journal allemand Die Zeit et l’association SourceMaterial, l’étude dénonce le fait que quasiment aucun des projets financés n’ont eu d’impact bénéfique sur la réduction de la déforestation. L’attribution de crédits carbone aux entreprises serait également faussée : 94 % de ces crédits carbone n’auraient pas dû être approuvés. Grâce à ces crédits carbone, de nombreuses entreprises ont alors pu communiquer sur leur « neutralité carbone » : celle-ci est définie par un équilibre entre les émissions de gaz à effet de serre liées aux activités de ces entreprises et les absorptions. Ces absorptions passant évidemment, dans ce cas, par les projets consistant à soutenir les forêts tropicales par des actions de reboisement.   

LA COMPENSATION CARBONE PASSE SOUVENT PAR LA REFORESTATION DES FORÊTS TROPICALES. © ILYA, ADOBE STOCK

Des projets de reforestation dans des zones où les forêts se portent bien

Sur 29 projets de Verra étudiés par les enquêteurs (les autres projets ne permettaient pas d’avoir d’informations disponibles), 8 ont réussi à prouver leur effet sur la réduction de la déforestation. Certains projets ont également pris place dans des forêts où la déforestation a été largement surestimée, et non pas dans des forêts qui avaient réellement besoin d’être soutenues.  

Les projets de Verra auraient même eu des conséquences très négatives sur les populations indigènes de ces forêts tropicales : en interrogeant les habitants des sites concernés, les enquêteurs ont découvert que des villageois ont vu leurs habitations détruites de manière intentionnelle par les responsables des projets. Alors même que ces populations locales sont considérées comme des alliées dans la protection des forêts. De son côté, l’entreprise Verra estime que les accusations de The Guardian sont faussées et que les enquêteurs n’ont pas compris la méthodologie utilisée pour les projets de reforestation.   

DES ACTIONS AURAIENT ÉTÉ MENÉES DANS DES FORÊTS QUI N’AVAIENT PAS BESOIN D’AIDE. © FG TRADE, ISTOCK

La moitié des entreprises n’a pas confiance en la compensation carbone

Une enquête mondiale, « Carbon Offsetting », menée par AiDash auprès de plus de 500 responsables du développement durable montre que 41 % d’entre eux déclarent ne pas utiliser les crédits carbone en raison d’un manque de confiance. L’étude explique également que 56 % des entreprises ne mesurent pas la plupart de leurs émissions de gaz à effet de serre. Pourtant, 43 % utilisent des crédits carbone. Cela revient donc à dire que beaucoup d’entreprises utilisent des crédits carbone, et communiquent dessus, alors même qu’elles ne connaissent pas les niveaux exacts des émissions de gaz à effet de serre qu’elles rejettent !

 

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