Leadership

Nouveaux dirigeants : méfiez-vous des bons résultats immédiats

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Même s’ils sont à votre portée, ne partez pas en chasse de résultats positifs immédiats, avant d’avoir réellement pris le temps de consolider votre leadership.

Aussitôt entré en fonction à un poste clé d’une entreprise qui doit sérieusement changer sa manière de travailler, la pression monte : on attend de vous des résultats. Paradoxalement, la meilleure façon d’y parvenir est de prendre son temps. Les forces qui poussent dans le sens inverse – celui de la vitesse effrénée – sont cependant puissantes. Vous devez prouver, et vite, que vous êtes le leader qu’il faut, capable de redresser la situation de l’entreprise. C’est pour cela que vous avez été recruté.

Vous vous concentrez donc sur les points faibles les plus aisément réformables en apparence : côté coût, peut-être s’agira-t-il d’accélérer un des processus de production et, côté revenus, ce sera peut-être la force de ventes qu’il faudra muscler. Cependant, se précipiter sur des solutions immédiates, même dans des domaines qui ne prêtent pas à controverse, peut se révéler hasardeux. Pourquoi ? Parce que lorsqu’un nouveau dirigeant débute dans son poste, les changements ne s’expriment pas seulement en en termes d’efficacité ou de revenus ; mais aussi de sentiments de vulnérabilité et d’incertitude des employés quant à leur avenir.

Peu importe le niveau de maturité et de sophistication du nouveau dirigeant, se précipiter sur des résultats immédiats peut le priver de la connaissance nécessaire à la compréhension de la culture et à l’établissement de bonnes relations de travail. En conséquence, les gains rapides pourront sous peu se voir réduits à néant ou générer de nouveaux problèmes de management. Prendre son temps de manière délibérée permet de comprendre ce que désirent avant tout les gens qui vous entourent, les effets de votre comportement, les points de résistance et les ramifications de vos décisions. Résultat : vous contrôlerez d’autant mieux le rythme de votre transition vers de nouvelles responsabilités managériales et celui de votre entreprise vers un nouveau mode de fonctionnement (lire aussi la chronique : « Etre un bon leader, une question de tempo »).

Le nouveau manager qui part sur les chapeaux de roue

Pour vous donner un exemple de l’importance de contrôler le tempo, prenons le cas d’un manager que je nommerais Greg. Bien que talentueux et compétent, il s’est laissé prendre au piège d’un cercle vicieux d’activités au sein de la grosse entreprise de biens de consommation qui venait de l’embaucher comme directeur des opérations. Il était alors présumé successeur du P-DG, qui allait partir à la retraite dans deux ans.

Greg a retroussé ses manches et s’est mis à travailler comme jamais, se mettant la pression ainsi qu’à toute l’organisation. Pour se montrer réactif, il a pris connaissance de toutes les présentations disponibles et répondait tout de suite aux e-mails reçus. Pour se montrer accessible, il disait oui à toutes les demandes de réunion et d’entretien impromptu en tête-à-tête. Toutes cela lui prenait du temps, mais il voulait faire tout son possible pour prouver au conseil d’administration – ainsi qu’à ceux devant qui il était passé dans l’entreprise – qu’il était le prochain P-DG qu’il leur fallait.

Attention aux apparences trompeuses

Ses projets visaient à redéfinir la chaîne logistique pour permettre à la fois d’économiser des sommes importantes et de raccourcir les délais. Il voulait aussi monter une nouvelle structure qui accélère la prise de décision, accroisse la flexibilité et améliore le processus de création de nouveaux produits. Les managers ronchonnaient et le P-DG ne semblait pas aussi enthousiaste qu’il aurait dû, mais Greg se disait que ce n’étaient que les conséquences d’une inévitable résistance au changement. De toute façon, peu importait : les gens suivaient ses plans ainsi que les directions données et les résultats étaient au rendez-vous.

Pour être sûr d’être bien compris, il avait en outre l’habitude de recourir à une approche en deux temps, chaque demande de sa part étant suivie d’un « maintenant-je-vous-explique-ce-que-j’ai-voulu-dire ». Et cela marchait : ses subordonnés l’écoutaient, acquiesçaient et se montraient rarement récalcitrants. Après seize mois en poste, alors qu’il préparait son entretien d’évaluation, Greg se demandait quel serait le montant de son bonus et à quel moment il serait nommé P-DG. Au lieu de ça, il s’est entendu dire que le P-DG actuel resterait en poste jusqu’à ce que le directeur financier soit en mesure de lui succéder, et qu’on lui laisserait la possibilité de donner sa démission. Certes, les changements qu’il avait mis en place avaient amélioré les performances de la société, mais il s’était montré incapable de gagner ses collègues à sa cause, son style étant incompatible avec la culture d’entreprise.

Greg a appris à ses dépens que les dirigeants échouent rarement à cause de problèmes stratégiques ou opérationnels, mais parce qu’ils n’ont pas vraiment conscience de ce qu’ils sont et gèrent mal leurs relations à autrui. En mettant les gaz, Greg a mal interprété les réactions du P-DG et raté les signaux indiquant que ses subordonnés directs voyaient dans sa véhémence le signe qu’il cherchait une promotion plutôt que de les aider eux ou l’entreprise. Son comportement ne laissait pas place au feedback et lui a coûté le soutien nécessaire au succès. Enfin, sa technique de communication en deux temps – une demande suivie d’une longue explication – s’est retournée contre lui : les gens ont vite compris qu’il ne leur fallait ni poser de questions, ni donner leur avis, ni être créatifs (lire aussi l’article : « Vos salariés peuvent-ils vraiment s’exprimer librement ? »).

Comment mettre la pédale douce lorsque l’on occupe un poste survolté

Dans « Système 1 /Système 2 : Les deux vitesses de la pensée » (Flammarion, 2012), le psychologue Daniel Kahneman étudie la complexité du jugement et soutient que l’existence de différents tempos dans la prise de décision est utile, car elle nous permet de mieux répondre aux défis qui se posent à nous. Alors que les décisions liées au combat/à la fuite/au besoin de se figer doivent être intuitives et rapides, les actions complexes qui demandent mûre réflexion doivent être prises en prenant son temps et de façon délibérée.

Pour pouvoir construire des alliances, un nouveau manager doit prendre conscience qu’à ce niveau de poste, un passage de témoin est anxiogène pour tout le monde. Les employés se demandent en quoi ce que l’on attend d’eux va changer tandis que les autres cadres dirigeants s’interrogent sur l’effet que cette nomination aura sur l’assise de leur pouvoir. Il faudra des mois à l’impétrant pour apaiser les craintes et gagner la loyauté de ses équipes, une réalité qui s’impose même aux leaders promus en interne et donc déjà connus.

Les subordonnés suivront leur chef s’ils peuvent compter sur lui. Mais plus que sa détermination, c’est sa faculté de discernement face à des défis complexes et lourds qui importe. Les fidèles veulent que leur leader écoute leurs idées, les incorpore aux siennes et soit capable de résoudre les difficultés avec doigté. Toutes choses qui impliquent de contrôler ce qui se passe et de prendre son temps. Certaines techniques que l’on peut classer en cinq catégories permettent d’atteindre ces objectifs : contrôle du flux, réflexion, répétition, remise en question et gestion du silence.

  1. Contrôle du flux. Parce qu’un nouveau dirigeant hérite du système de gestion de son prédécesseur, l’inadéquation entre le rythme de la nouvelle direction et l’ancien style de prise de décision peut freiner les progrès vers les premiers succès. Gérer le flux d’information qui entre dans votre bureau et votre cerveau est essentiel pour pouvoir bien juger les questions les plus importantes. Une condition aisément remplie à l’aide d’un simple ajustement organisationnel : la création d’un poste d’assistant senior, l’équivalent d’un chef de cabinet, chargé de s’assurer que la bonne information vous parvient au bon moment et dans le bon format.
  2. Réflexion. Contrôler le flux devrait libérer du temps pour la réflexion afin que vous puissiez mieux saisir les subtilités des relations et le sens sous-jacent des informations reçues. Il est extrêmement utile d’avoir des conseillers de confiance — tant en interne qu’en externe — dévoués à votre succès et possédant une expertise dans des domaines clés liés à vos projets. S’il n’y a personne avec qui discuter ouvertement lorsque vous prenez la relève, la meilleure option est de vous parler à vous-même ; c’est là qu’entre en jeu le journal personnel.

Les trois tactiques suivantes aident à contrôler le rythme des interactions.

  1. Répétition. Même si vous comprenez parfaitement ce qui a été dit lors d’une réunion ou d’une entrevue individuelle, répétez ce que vous avez entendu. De même, quand vous voulez vérifier que vous avez été compris, demandez à votre interlocuteur de répéter vos propos. En plus de confirmer votre intention, la répétition met momentanément la discussion en pause et vous permet de réfléchir à la suite à lui donner.
  2. Remise en question. De temps à autre, posez des questions résumant la situation telles que : « Que venons-nous de faire ? », « Que s’est-il passé ici ? » et « Quelle leçon tirer de cela ? » De telles questions obligent à marquer une pause, évitent de se précipiter sur une décision ou qu’un groupe se forme autour d’une conclusion erronée. Contrairement aux affirmations qui ne demandent que l’écoute des auditeurs, les questions exigent d’eux qu’ils « s’activent », réfléchissent à ce qu’ils vont dire et essaient de comprendre pourquoi leur supérieur hiérarchique leur a fait cette demande.
  3. Gestion du silence. Prendre son temps avant de répondre présente un double avantage. Cela donne au dirigeant une chance de peser le pour et le contre et de décider de la meilleure façon de répondre, et cela pousse les autres à s’interroger sur ce qui se passe dans la tête de leur manager, ce qui peut les inciter à penser de manière plus créative.

Toutes ces mesures auraient grandement aidé Greg. Elles l’auraient aidé à ralentir le rythme de ses interactions et de ses décisions, ce qui lui aurait permis de prendre conscience de la manière dont il était perçu et de peser soigneusement les conséquences de ses décisions. Il se serait détaché de l’action et aurait pris un recul suffisant pour mieux juger de la situation. Il aurait été plus susceptible de se rendre compte que la façon dont il avait obtenu ses premiers succès était aussi importante que les résultats eux-mêmes. S’il avait pris son temps, aujourd’hui Greg serait P-DG.

Par Dan Ciampa

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