Pour devenir un meilleur leader, il est nécéssaire d’ apprendre à reconnaître et à maîtriser ses biais cognitifs.
La plupart des leaders ne savent pas que leurs décisions sont influencées par des biais produits par leur propre cerveau. Pourtant, ce dernier nous joue des tours et l’art de la décision exige un esprit lucide, délesté de ces biais cognitifs. Si les neurosciences nous aident à les comprendre, les pratiques méditatives nous permettent de les mettre à distance.
Daniel Kahneman, psychologue et prix Nobel d’économie, a montré que nous utilisions deux modes de pensée : le système 1 (une pensée rapide, intuitive, émotionnelle) et le système 2 (une pensée plus lente, logique, réfléchie). Le système 1, par ses raccourcis, peut induire le dirigeant en erreur : nos intuitions ou nos émotions brouillent notre perception de la réalité (comme sous-estimer un concurrent ou l’impact d’une nouvelle technologie). Heureusement, le système de pensée lente et réfléchie, nous alerte et rééquilibre notre réponse émotionnelle par un raisonnement plus rationnel.
Mais il arrive à des leaders de privilégier le système émotionnel et intuitif dans leur prise de décision, menant parfois à des conséquences irrévocables (par exemple, louper le virage numérique dans la photographie ou sous-estimer l’arrivée des smartphones lorsque l’on commercialise des assistants personnels comme BlackBerry). Comment alors repérer ces biais?
Prendre conscience de ses représentations mentales
L’examen personnel de ses propres biais n’est pas un exercice évident pour un dirigeant. En voici trois parmi les plus fréquents, selon le neurologue Philippe Damier.
- Biais d’excès de confiance en soi : certains leaders surestiment leur capacité et leurs chances de réussite et sous-estiment celles de leurs concurrents. A force d’être centré sur soi, le dirigeant a tendance à être trop sûr de lui et à surévaluer les forces de son entreprise. Pensant être meilleur que la moyenne, il aura vite fait de surestimer son aptitude à se connaître et à prendre de bonnes décisions. Ce biais a aussi la fâcheuse tendance à limiter l’aptitude du leader à accepter les retours négatifs et l’évaluation de ses actions, pourtant essentielle quand il s’agit de réinventer son modèle économique ou de s’ouvrir au monde des start-up.
- Biais de stéréotype : d’autres leaders préfèrent s’entourer de personnes qui leur ressemblent pour être en confiance et se méfient des personnes qui pensent différemment. Alors, le cerveau inconscient déclenche l’amygdale (siège de notre réactivité émotionnelle qui nous alarme en cas de danger) entraînant des comportements de défiance et de rejet.
- Biais de dissonance : face aux changements disruptifs, certains leaders restent arrimés à leurs croyances ou leurs certitudes. Ils ont du mal à les voir contredites par la réalité des faits. Il se produit alors un conflit interne entre leurs croyances et la réalité. Pour l’atténuer, ils sont tentés de distordre leurs perceptions pour obtenir une interprétation des faits conformes à leurs croyances.
Sur la base des expériences que nous avons menées avec des centaines de dirigeants et managers dans plus de 50 entreprises, voici quelques pistes pour repérer ses biais cognitifs, s’en détacher et être capable de discernement dans les prises de décision.
Mettre à distance ses biais cognitifs
– Programmez des temps de régénération mentale
La plupart des dirigeants mènent, parfois par goût, souvent par contrainte, des journées de travail marathon de 14 heures ou 16 heures, sans pause. Certains programment pourtant des temps de régénération mentale dans leur agenda, même s’ils sont parfois jugés non conformes aux canons du leadership.
Objectif ? Gagner en clarté mentale, mobiliser leur pensée lente et réflexive et s’ouvrir à de nouvelles perspectives. C’est le cas d’Alain Dinin, P-DG de Nexity, qui s’isole 30 minutes par jour pour se concentrer sur sa respiration ou laisser son esprit vagabonder. Dans la tech aussi, Jeff Weiner, P-DG de LinkedIn, s’accorde tous les jours 90 minutes de réflexion personnelle dont trois minutes de respiration – l’acte managerial le plus important, selon lui.
– Encouragez la pensée divergente face à l’infobésité
Le numérique ne fait qu’amplifier certains biais décisionnels. Prenez le phénomène d’infobésité : nous recevons dix fois plus d’informations (surtout numériques) qu’il y a 15 ans. Nous consultons nos e-mails toutes les deux minutes en moyenne. Ce tsunami informationnel ronge les organisations et ralentit le processus décisionnel. L’historien Yuval Noah Harari (auteur du best-seller « Sapiens : Une brève histoire de l’humanité », NDLR) nous met en garde. Avant, accéder à l’information était un signe de pouvoir. Aujourd’hui le pouvoir consiste justement à savoir ce qu’il faut ignorer dans le flot continu d’informations.
Et face à la surinformation et à la désinformation (comme les « fake news »), le leader peut utilement se nourrir de la diversité des points du vue en prenant les avis aussi en dehors de son premier cercle. Contrairement à un ordinateur, nous n’enregistrons pas les informations de façon factuelle et indépendante. Nous interprétons pour beaucoup en fonction de nos émotions et de nos expériences antérieures. Ainsi, les événements les plus récents, plus facilement accessibles à notre mémoire, prennent plus de poids que des évènements plus anciens, en partie oubliés, minimisés ou transformés. Le leader est ainsi beaucoup plus sensible au dernier conseiller reçu. D’où l’importance de prendre des notes écrites et de s’y référer ou bien d’encourager la pensée divergente et les évaluations collectives pour éviter ces biais émotionnels et de disponibilité.
– Découvrez les vertus de la présence attentive sur le discernement
Seules cinq minutes d’entraînement par jour à la « présence attentive » (mindfulness) permettent aux managers de déconnecter leur pilote automatique et de gagner en qualité. Mieux, après seulement huit semaines d’entraînement, les managers observent, de manière très significative, qu’ils acceptent mieux les changements et qu’ils réagissent moins de façon émotionnelle.
– La présence attentive aide à tenir compte de tous les facteurs expliquant les comportements individuels.
Les êtres humains ont une tendance naturelle à voir les actions des autres comme le reflet de traits de caractères stables plutôt que la conséquence de facteurs externes. Cette tendance à ignorer les circonstances est appelée « biais de correspondance ». Pratiquer la présence attentive permettrait de lutter contre cette tendance et nous rendrait plus empathiques, capables de dissiper les malentendus qui surgissent dans nos interactions sociales.
– La présence attentive nous aide à diminuer notre biais de négativité.
La plupart d’entre nous accordons plus d’attention et réagissons plus vivement aux événements négatifs qu’aux événements positifs (« biais de négativité »). Avoir ce biais peut nous rendre plus prudent face aux dangers mais aussi déclencher la peur d’être socialement rejeté. La présence attentive nous aide à réguler nos réactions et émotions face aux stimuli négatifs. Les personnes d’un groupe entraîné à la présence attentive présentaient, via l’imagerie cérébrale, une réaction plus faible face à des images négatives (de souffrance) et plus de sentiments positifs face à des images agréables (photos de bébé), grâce à une moindre activité de l’amygdale. Une qualité précieuse dans ce monde incertain.
Par Yves Le Bihan
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