Les managers n’ont pas pour mission que de gérer leurs équipes : ils doivent aussi en prendre soin.
En 2015, le Conseil d’Etat en France a jugé qu’un suicide sur le lieu du service devait dorénavant être reconnu comme un accident du travail. Dans le secteur privé, depuis plusieurs années, des entreprises comme Renault sont condamnées par la Cour de Cassation pour n’avoir pas été attentives au mal-être d’un salarié en lien avec sa situation de travail l’ayant conduit à mettre fin à ses jours. Cette jurisprudence montre à quel point notre société considère à présent le rôle d’un manager comme consistant à prendre soin de ses collaborateurs.
Reponsabilité morale
Ce phénomène est le résultat du développement de l’éthique du « care », à la suite des travaux séminaux de la psychologue sociale Carol Gilligan et à leur diffusion, par exemple en France par le sociologue Serge Guérin. La responsabilité morale ne consiste plus seulement aujourd’hui à porter des valeurs éthiques intemporelles mais aussi à se mettre en relation avec l’autre pour lui apporter son soutien dans une situation concrète. Or l’évolution indépendante des critères de l’efficacité en entreprise est venue renforcer cette tendance. Ces changements rendent nécessaire pour chaque responsable l’adaptation de son comportement managérial.
Méthodes dépassées
Pendant longtemps, les organisations ont fonctionné efficacement sur un modèle de l’obéissance à l’autorité dans des environnements relativement stables. La 2 C.V. a été commercialisée pendant près de quarante ans. Le cycle de vie d’une automobile était encore d’une dizaine d’années à la fin du siècle passé (alors qu’il ne dépasse pas cinq ans aujourd’hui).
Dans ce contexte où la production devait être la plus régulière possible, être un bon manager consistait surtout à faire respecter les règles en utilisant la carotte et le bâton. Etre à distance de ses salariés, avoir une voix forte, taper du poing sur la table, savoir punir quand il le fallait pouvait paraître adapté. Le bien être d’un salarié n’avait aucun rapport avec sa performance au travail et était considéré comme étant de sa seule responsabilité.
Le bien être, un gage de rentabilité
Les temps ont changé. Aujourd’hui de nombreuses études ont montré que les entreprises où il fait bon vivre ont des rendements en bourse très supérieurs à leurs compétiteurs. Dans des environnements véloces où la concurrence, les technologies, les besoins des salariés et les goûts des consommateurs évoluent rapidement sur des marchés mondialisés, les entreprises ont plus besoin d’initiative, d’adaptation au changement et d’engagement que d’obéissance. Or le meilleur moteur de ces comportements c’est le bien être.
Engagement et épanouissement dépendent du contexte
Encore fallait-il, pour que ce nouvel environnement ait un impact sur le métier de manager, que soit prouvé le lien entre le bien être des salariés et la situation de travail. Dans l’entreprise traditionnelle, la question de la motivation ne se posait pas. Comme le remarquait le chercheur en management Frederick Herzberg, quand un manager donnait un « coup de pied aux fesses » ou une récompense à un salarié pour le faire avancer, c’est luiqui était motivé, pas le salarié. Est-il possible pour les nouvelles organisations d’obtenir d’un salarié la motivation dont elles ont besoin ?
Des études en psychologie positive ont montré que le mal/bien-être a une composante personnelle et en particulier génétique. Pourtant on a aussi montré que cette composante n’entre en action qu’en présence d’une situation extérieure dé/favorable. Il y a donc ce qu’on appelle une « interaction » entre la personne d’une part et la situation dans laquelle elle se trouve d’autre part. Par exemple la dépression dépend de prédispositions personnelles et de la survenue d’une situation traumatique. Si la capacité à être engagé au travail dépend bien de la tendance au bien être qui est propre à chacun, il reste qu’il est de la responsabilité des managers de mettre en place le contexte de travail où cet engagement peut s’épanouir.
L’exemple de Danone
Comment le manager peut-il mettre en œuvre ce nouveau rôle ? Les entreprises les plus jeunes montrent l’exemple. Davidson Consulting, entreprise française de conseil créée il y a neuf ans, est déjà n°1 en France et en Europe dans le classement « Great Place to Work » des entreprises de plus de 500 salariés. Les rémunérations n’y sont pas plus élevées qu’ailleurs. Ce qui est différent, c’est l’atmosphère de travail « saine, dynamique et fun » selon le Davidson code qui promet que tout manager écoutera attentivement la réponse après avoir posé la question « comment ça va ? » à un collaborateur.
La société de conseil en ingénierie Extia créée il y a seulement sept ans est cinquième au même classement. Elle a en particulier adopté des méthodes managériales de résolution de problème en groupe qui gomment les différences de statut et invitent chacun à aider ses collègues. Certaines entreprises plus anciennes et de taille mondiale ne sont pas en reste. Le groupe Danone, où les managers sont évalués sur leur performance sociale, a lancé depuis 2011 le projet pilote « growth commitment » qui consiste pour le responsable à s’engager auprès de ses collaborateurs pour faciliter la réalisation de leurs projets personnels et professionnels dans le cadre de l’activité du groupe.
Attention et prévenance.
On attend aujourd’hui d’un manager qu’il prenne soin de ses collaborateurs. Ce n’est pas seulement un nouvel impératif moral promu par l’éthique du « care », c’est aussi devenu un impératif d’efficacité. On lui demande toujours qu’il entraîne ses collaborateurs vers la réalisation de leurs objectifs, mais la méthode a changé. Ce sont en effet de plus en plus l’attention et la prévenance managériales qui produisent du bien être pour les équipes et leur donnent envie de mettre en œuvre les comportements d’initiative et d’engagement créateurs de performance.
Par Thierry Nadisic
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