Leadership

Entreprises et développement durable : quel leadership ?

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Face à l’évolution de l’économie, dictée par les enjeux du développement durable, les entreprises endossent un rôle crucial. L’enjeu qui se pose pour elles : adopter un leadership incarné et une vision fédératrice qui place le bien commun au cœur de leurs préoccupations.

Développement durable, RSE, ESG, 3P « People, Profit, Planet » : ces expressions correspondent à des enjeux dont nous ne cessons de prendre conscience, années après années, de la réalité dans nos modes de vie présents et futurs. Pour autant, les entreprises peuvent, pour une bonne partie d’entre elles, avoir des difficultés à appréhender cette évolution et à l’intégrer, donnant parfois le sentiment de verser dans le « greenwashing ».

Alors quelle place donner aux enjeux de développement durable au sein de nos organisations ? Et quel type de leadership permet de les traiter avec le maximum d’impact ?

Les enjeux de développement durable sont déterminants pour le futur des entreprises

Aujourd’hui, l’évolution du contexte exige des organisations de « changer de braquet » en matière d’implication dans le développement durable. Les opinions publiques ont accéléré leurs prises de conscience ces dernières années et attendent des entreprises d’être des acteurs conscients du développement durable.

Depuis la définition par l’ONU en 2015 des 17 objectifs de développement durable, les différentes études du GIEC (en particulier sur le « réchauffement climatique), ou encore la loi PACTE en France qui consacre la RSE comme obligation légale pour les entreprises, celles-ci sont de plus en plus interpellées dans leur rôle vis-vis de de l’environnement et de la société.

La production normative et réglementaire dans le monde, en Europe et en France sur ces sujets s’est ainsi fortement accélérée ces dernières années : directive européenne « CSRD » plus contraignante sur le reporting extra-financier ; loi anti-gaspillage pour une économie circulaire (AGEC) ; publication du bilan carbone, etc.

Par ailleurs, l’accès aux financements, qui constitue le nerf de la guerre, dépend de plus en plus de critères de durabilité (ESG). Ainsi, l’évolution de la conscience des enjeux de développement durable, conjuguée aux réglementations plus exigeantes, viennent influencer toujours davantage les décisions des entreprises et leurs modèles économiques.

De fait, les risques à adopter une attitude attentiste sont multiples, en particulier :

  • une perte de réputation et d’attractivité auprès du grand public, avec comme conséquences des difficultés à recruter/fidéliser les talents, des pertes potentielles de clients, et une image altérée durablement ;
  • une « ringardisation » des produits / services ;
  • une non-conformité réglementaire ;
  • des difficultés croissantes à trouver des fonds pour investir et préparer l’avenir, et des risques d’investissements mis en échec.

Les entreprises font ainsi face à un enjeu business majeur, avec des conséquences sur leur leadership, leur croissance future et même, pour certaines, leur survie.

Si les enjeux de développement durable peuvent être contraignants pour les entreprises, ils constituent aussi une véritable source d’opportunités pour innover

De nouvelles opportunités apparaissent pour donner un nouveau souffle à nos organisations autour des 3P « People, Profit, Planet ». La transformation qui en découle n’en représente pas moins un véritable « challenge » : faire évoluer les chaines de valeur, voire réinventer les business modèles, pour intégrer les enjeux de développement durable au cœur de l’activité, et non les juxtaposer à la marge comme un élément « en plus ».

Le concept d’économie circulaire, qui vise à réduire la consommation et le gaspillage des ressources, ainsi que la production de déchets, tient ainsi aujourd’hui une place essentielle : composants utilisés, sourcing, transports, mode de fabrication, emballages, réparabilité, seconde vie, multi utilisateurs, recyclage… L’économie circulaire rend ainsi possible la création de nouvelles offres sans extraire de nouvelles ressources.

Toutes les étapes de vie du produit sont concernées, qui impliquent les différentes fonctions l’entreprise : R&D, conception, achat, logistique, fabrication, marketing/relation clients, ventes, gestion de la fin de vie des produits, …

La recherche de durabilité peut amener à réinventer les produits/services et les business modèles associés. C’est ainsi que Michelin innove et propose un nouveau pneu bio-dégradable. Grâce à des matériaux inédits (bambous, papiers, bois, déchets recyclés,…), le pneu est construit comme une barrière de corail : il est increvable et on peut faire évoluer le même pneu pour des usages différents (été/hiver…) avec une simple imprimante 3D.

On peut aussi citer par exemple les fabricants de voiture que le passage à l’électrique oblige à une reconversion massive (moteur sans rapport avec les moteurs à essence, fabrication de batteries…) pour répondre à ce marché émergent qui crée par ailleurs de nouveaux besoins (entretien des batteries, bornes de recharge,…).

Au-delà des produits/services, l’économie servicielle réinvente l’offre en vendant un usage et non plus simplement un produit, avec à la clé la possibilité de réduction de l’impact environnemental grâce à une meilleure utilisation des ressources.

Se réinventer implique de créer son marché et un modèle économique pérenne, car le choix des consommateurs est généralement guidé avant tout par des avantages économiques ou d’expérience client. Les succès de « Backmarket » et « Vinted », acteurs récents de l’économie « de seconde main », viennent notamment de la convergence chez les consommateurs entre leurs propres intérêts (ici : payer un produit donné moins cher avec une expérience consommateur fluide) et leurs préoccupations pour le durable.

L’offre servicielle vise également à concilier intérêt économique du client, celui de l’entreprise fournisseur du service et la durabilité.

Le développement durable implique donc des transformations stratégiques, technologiques, économiques et opérationnelles ; il induit également de profondes évolutions des « mindset » et des modes de travail au sein des organisations. Dès lors, de quel type de leadership nos organisations ont besoin pour mener à bien ces transformations ?

Les 3 visages du leadership porteur du développement durable

Relever les défis du développement durable nécessite une évolution du leadership. Le leadership porteur du développement durable présente 3 grandes caractéristiques :

1/ Un engagement fort et mobilisateur sur le sens : « quel est notre impact sur le monde » ?

Telle est la question fondamentale qui devrait interpeller toute organisation, à travers l’élaboration de sa vision : fondée sur le « pour quoi » de l’organisation à travers sa raison d’être (en fonction de son domaine d’activité, de son ADN et de son avantage stratégique), la vision rencontre nécessairement les enjeux durables, notamment dans l’ambition, les valeurs, les axes stratégiques et les principes d’actions.

La vision est ainsi potentiellement en mesure de rallumer la flamme au sein de collectifs souvent fatigués, éprouvés et démobilisés par le manque de sens !

Or cette vision ne peut se déployer avec impact que si elle est réellement incarnée et portée par le top management : niveau de conscience élevé des enjeux à court et moyen termes, intégration des 3P dans les intentions, les objectifs, les décisions, les prises de parole et les actes.

A cet égard, certaines entreprises font le choix d’adopter un statut spécifique, témoignant vis-vis de leurs parties prenantes qu’elles placent leur engagement pour des causes environnementales, sociétales et sociales au cœur de leur activité : « entreprise à mission », « B Corp » ou encore « ESS ». La CAMIF par exemple, est une des premières « entreprises à mission », avec 5 objectifs orientés notamment sur la consommation responsable, l’emploi local, la réinvention des filières, l’économie circulaire et la santé.

Avoir une vision c’est important ; encore faut-il être en mesure de la déployer et d’en mesurer les résultats à la fois économiques, et en termes d’impact durables. Une gouvernance intégrant le pilotage des objectifs durables est essentielle pour obtenir les résultats attendus : objectifs déclinés dans les différentes activités, roadmaps, décisions d’investissement et évaluation des résultats à l’aune des engagements de plus en plus placés sous le regard de tiers.

La recherche de résultats tangibles est une condition clé de crédibilité et de pérennité des actions menées. Ceci suppose un dispositif solide de mesure, car les informations à consolider sont de natures hétérogènes, souvent difficilement quantifiables et généralement dispersées ; l’effort de mesure ne devrait pas néanmoins amener à exclure des actions qualitatives à fort impact mais qui « ne rentreraient pas dans les cases » (par exemple un programme en faveur des « aidants » qui soutiennent des personnes vulnérables de leur entourage).

Cette démarche de vision intégrant les 3P, dans la mesure où elle est portée avec constance par le top management et réellement déployée et mesurée, est une formidable source de mobilisation et de fédération de l’ensemble des collaborateurs, quelle que soit leur génération !

L’engagement par le sens, aussi bien au niveau du « pour quoi » que du « comment », est en outre un vecteur puissant d’attraction et de fidélisation des Talents.

Pour autant, au-delà d’engager l’organisation sur une vision durable et sa mise en œuvre, il est indispensable de mettre à bord les parties prenantes externes.

2/ Un leadership étendu à l’éco-système

Il y a nécessité de passer « de l’égo-système à l’éco-système » nous dit Otto Scharmer dans sa réflexion sur la « théorie U ». Nous sommes en effet, notamment en France, habitués à un pouvoir vertical, cloisonné par fonction ou métier, avec une conscience plutôt individualiste. Ceci freine la conscience des enjeux transverses, la coopération et la prise en compte du bien commun.

Or les enjeux de développement durable sont par nature globaux et transversaux. Cela exige donc des dirigeants d’avoir l’intelligence globale de ce qui se joue dans et hors de l’organisation. Cette approche globale, « holistique », favorise la capacité à collaborer en transversal (à rebours des silos si fréquents dans nos organisations) en incluant les parties prenantes de l’éco-système. Certaines ONG par exemple sont à l’origine de standards en matière environnemental devenus des références incontournables (par exemple le GRI : « Global Reporting Initiative »).

Ce leadership se traduit concrètement par la capacité à organiser des espaces de conversations génératives favorisant la confrontation d’idées et l’innovation, mobilisant des acteurs de différents métiers et fonctions. Par exemple, le processus d’éco-conception permet de croiser les regards des différentes fonctions (R&D, achat, industrie, marketing,…) pour concevoir un produit/service en intégrant la logique de développement durable à toutes ses étapes de vie.

Au niveau de la gouvernance, les entreprises les plus engagées créent et font vivre un comité des parties prenantes (collaborateurs, fournisseurs, sous-traitants, partenaires, distributeurs, investisseurs, ONG, universitaires, média, représentants des territoires). C’est le cas par exemple chez Michelin pour les acteurs externes ; La Camif a, pour sa part, mis en place un comité de mission : « La Cellule’OSE ».

La pierre angulaire de ce leadership étendu à l’éco-système, fondé sur une vision globale et systémique, n’est plus l’individu et son expertise, mais les équipes transverses multi-disciplinaires, capable de gérer des enjeux complexes.

3/ Un leadership porteur d’empowerment

Parler de leadership, revient bien sûr à parler du P de « People » : au niveau humain, les collaborateurs de l’entreprise ne constituent-ils pas les premières parties prenantes de la vision durable ?

Le leadership dont nous parlons repose sur la confiance. Il reconnaît que les collaborateurs sont d’abord des « sujets en croissance », au-delà d’être des « objets de production » ; au titre du rôle qu’ils tiennent au sein de l’organisation.

Voir chez les collaborateurs des « sujets en croissance », c’est reconnaître et encourager leur capacité d’autonomie et d’initiative, et ainsi les aider à grandir, à exprimer leur potentiel, pour mieux évoluer dans la complexité.

L’empowerment des personnes et des équipes, c’est-à-dire ce pouvoir d’agir qui leur est donné, nous paraît indispensable au déploiement de la vision dans un environnement complexe : en effet, une fois le cadre stratégique business et les objectifs posés, la multiplicité et la complexité des décisions à prendre et des actions à mener, en intégrant les enjeux de durabilité, nécessitent une mobilisation de l’ensemble des acteurs concernés.

L’empowerment permet de collaborer avec agilité, en intelligence de situations, sous forme d’équipes multi-disciplinaires autonomes et performantes, telles qu’évoquées plus haut. Il s’agit donc de passer d’une logique hiérarchique et linéaire à une logique fractale : chacun, chaque responsable, chaque équipe, devient ainsi activement porteur de l’ensemble de la vision durable. Dans ce contexte, La fonction RSE est appelée à déplacer son centre de gravité : d’un rôle souvent centré sur la réponse aux demandes exogènes (réglementation, …) à celui, plus proactif, d’impulsion et d’accompagnement du déploiement de business modèles durables et innovants.

Les enjeux de développement durable nécessitent un mode de leadership fondé sur une implication incarnée des dirigeants, une vision fédératrice et mobilisatrice intégrant l’éco-système, une gouvernance adaptée ainsi que sur « l’empowerment » des collaborateurs et des équipes. Ce leadership régénératif, par l’attention donnée aux échanges tournés vers l’innovation et le bien commun, favorise le vivant au cœur de nos organisations ! C’est à ces conditions que les entreprises ont devant elles l’opportunité, singulière et enthousiasmante, de créer une nouvelle dynamique de croissance durable.

 

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