Le nombre de femmes à des fonctions de leadership n’a cessé d’augmenter au cours des dernières années. Pourtant, trop souvent encore, cela reste l’arbre qui cache la forêt.
Ces dernières années ont été marquées par des avancées vers une égalité entre les hommes et les femmes dans l’accès aux rôles de direction. On observe ainsi une représentation plus importante des femmes dans des fonctions de leadership – en témoigne par exemple la nomination de Sarah Mensah en tant que première femme présidente de Jordan Brand (marque Jordan spécialisé dans l’équipements sportifs), une meilleure parité dans les offres d’emploi, et une évolution des stéréotypes, qui reconnaissent l’égalité des compétences. Si ces améliorations sont encourageantes, elles ne doivent pas masquer des problèmes d’inégalités profonds et cumulés : alors que 75% des entreprises dans le monde ont adopté des politiques d’égalité des chances, de diversité et d’inclusion, les biais de genre persistent dans la sélection des leaders, entraînant des discriminations et pertes de productivité. Aussi, (1) les femmes sont jugées plus durement que les hommes, (2) les gens s’attendent à ce que les femmes soient punies plus sévèrement en cas d’échec, et (3) elles reçoivent des évaluations de potentiel plus faibles, expliquant jusqu’à la moitié de l’écart de promotion entre les genres. En conséquence, la représentation des femmes diminue à mesure que l’on monte dans la hiérarchie, et, en France, les hommes ont 53% plus de chances d’être promus sur des fonctions de leadership.
Des actions fragiles et insuffisantes
Ces constats sont préoccupants compte tenu de la persistance de certaines pratiques et théories naïves du leadership. D’une part, les hommes ont du mal à reconnaître l’ampleur des discriminations liées au genre perçues par les femmes, ce qui limite encore davantage leurs opportunités de promotion. D’autre part, les critères qui font l’émergence des leaders sont différents de ceux qui font leur performance. Par exemple, bien que l’agréabilité soit positivement corrélée à la performance, elle est associée à une diminution de la probabilité de devenir manager. Les différences de genre dans l’émergence des leaders s’expliquent ainsi par une préférence pour les traits d’agence (Une personne « agentique » est une personne autodirigée, qui prend la responsabilité personnelle de ses actions, qui est orientée vers des objectifs et qui a une forte croyance en sa capacité à accomplir des tâches et atteindre ses objectifs). Ces traits peuvent notamment inclure des aspects tels que l’indépendance, l’autodétermination, la volonté d’exercer un contrôle, l’assertivité et l’ambition.
Les stéréotypes associés à la performance des leaders sont d’ailleurs stables depuis 20 ans et valorisent la tyrannie, la force, le charisme et la masculinité. En somme, les leaders sont choisis pour leur force de conviction et car ils ressemblent à des leaders, pas car ils en ont la compétence. Cette tendance favorise les personnes narcissiques, autoritaires et psychopathes – qui plus est en période d’incertitude, qui pourrait s’avérer destructrice pour l’entreprise. Aussi, de nouvelles études démontrent que les dirigeants masculins sont plus susceptibles de prendre en compte leur affinité avec un successeur lors de l’évaluation de son potentiel, ou que les hommes qui ont un manager masculin sont promus plus rapidement. Enfin, les actions valorisées pour assurer l’équilibre des genres sont inefficaces :
1 – Les formations n’ont pas les résultats escomptés, perdent leur impact après quelques semaines, et peuvent contribuer à activer les stéréotypes.
2 – L’introduction de quotas se contente de traiter le problème de manière superficielle et intensifie les biais de deuxième génération.
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3 – les approches lean-in font l’erreur de penser que les femmes doivent changer et augmentent l’attribution de responsabilité des inégalités à celles-ci.
4 – Les directives sur l’équité peuvent être contreproductives et paradoxalement, dans les entreprises qui recommandent la méritocratie, les managers favorisent les hommes.
Ces initiatives manquent donc de robustesse pour contrer les biais cognitifs inhérents au cerveau humain. En effet, lorsqu’il s’agit de prendre des décisions, il est naturel de recourir à des heuristiques, qui sont des raccourcis mentaux utilisés par le cerveau pour économiser du temps, des ressources et des efforts cognitifs.
Les biais cognitifs peuvent ainsi être définis comme des schémas de pensée inconscients, systématiques et universellement présents qui s’écartent des principes de la logique et du raisonnement probabiliste, et faussent les décisions.
Si ces biais ont été attribués à des mécanismes psychologiques, de récentes études proposent qu’ils soient des caractéristiques essentielles du fonctionnement des réseaux neuronaux biologiques et de notre héritage évolutif : les biais trouveraient leur origine dans les caractéristiques du traitement de l’information neuronale. Penser remédier aux discriminations de genre dans le leadership par des actions de surface relève ainsi d’une utopie malheureuse, surtout quand chacun se pense moins soumis aux biais que les autres.
Qu’est-ce qui marche ?
Au regard de leur sur-représentation dans les fonctions de direction, il est essentiel de veiller à ce que les hommes prennent part au débat et aient un intérêt à la parité hommes-femmes. Cependant, seulement 17% d’entre eux s’engagent activement dans des activités liées à l’égalité des genres, et la plupart ne sont pas en mesure de repérer les signaux d’alerte. De récentes études démontrent pourtant que :
1 – Avoir un allié masculin réduit la crainte d’isolement et d’hostilité au travail, tout en favorisant l’anticipation d’un soutien
2 – Les coalitions mixtes sont plus performantes que les coalitions exclusivement masculines ou féminines dans la promotion de l’égalité des genres
3 – Il existe différents types de comportements considérés comme efficaces. S’engager à remettre en question un système dont on bénéficie peut certes être difficile. Cependant, il convient de rappeler que les promotions discriminent surtout la compétence plutôt que le genre – lésant de nombreux hommes compétents, et que ces derniers n’ont pas de raisons de se sentir menacés par les femmes. Il est donc nécessaire d’identifier des « bons » alliés, conscients de leurs biais et privilèges, et dotés de véritables valeurs éthiques. En ce sens, alors que les leaders aux tendances narcissiques ont une disposition plus forte à promouvoir des personnes qui leur ressemblent, ceux qui ont une meilleure connaissance de soi sont plus susceptibles de faire émerger de bons leaders dans leurs équipes, ou encore de créer un climat qui limite les comportements non-éthiques. De plus, au lieu de se contenter d’actions de mentorat aux effets limités, les entreprises gagneraient à valoriser le sponsoring, où un manager défend les intérêts d’une femme pour une promotion, et veille à ce que ses résultats soient visibles.
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Par ailleurs, apporter de la structure au process d’évaluation et de sélection permet de limiter les discriminations et de faire avancer des personnes compétentes. Alors que l’évaluation des compétences, du potentiel et des performances est souvent teintée de biais et impactée par l’échelle d’évaluation elle-même, l’apport de structure permet d’évaluer les candidats sur des critères identiques et standardisés. Dans cette optique, les entretiens structurés ont constamment démontré leur efficacité, étant moins impactés par les biais de genre, en particulier lors de la sélection pour des postes dominés par les hommes, tels que les postes de direction. De plus, les entretiens structurés ont l’avantage de neutraliser les tactiques de gestion des impressions et d’autopromotion, qui sont plus courantes chez les hommes et favorisent leur avancement : les femmes ont en effet tendance à décrire leurs capacités et résultats de manière moins favorable que les hommes. De même, l’utilisation de tests psychométriques dans la sélection des leaders permet des décisions (1) plus efficaces et valides, étant donné que 50% de la performance d’un leader est expliquée par sa personnalité et ses capacités de raisonnement, et (2) plus équitables, car les attributs psychologiques et cognitifs sont largement similaires entre genres, bien que certaines différences sensibles existent. Les entreprises qui suivent les recommandations de tests – notamment de personnalité et de raisonnement, réalisent ainsi de meilleurs recrutements. Dans l’ensemble, ces deux méthodes se révèlent pertinentes et se complètent efficacement.
Enfin, l’utilisation d’algorithmes de recrutement permet aussi de dépasser notre intuition et nos biais, en apportant une standardisation aux décisions. Récemment, des chercheurs ont préconisé l’utilisation de tels algorithmes pour réduire les biais implicites et améliorer la diversité. Ces systèmes peuvent non seulement contrôler les biais liés au genre, mais aussi d’autres caractéristiques discriminatoires, au sens qu’ils peuvent être entraînés à filtrer les caractéristiques nécessaires requises, et à ignorer les autres. Ces conclusions sont étayées par de nouvelles études montrant que les algorithmes sont généralement plus justes et valides. Certains algorithmes, par exemple les algorithmes UCB (Upper Confidence Bounds), ou encore les algorithmes de recrutement basés sur la personnalité, peuvent augmenter la part de femmes sélectionnées jusqu’à un équilibre de 50%. Ces algorithmes pourraient également s’avérer bénéfiques en augmentant l’équité perçue du processus de recrutement : les femmes préfèrent en effet être évaluées par un algorithme de recrutement en raison de son objectivité anticipée par rapport à un évaluateur humain, tandis que les gens semblent moins offensés par une discrimination issue d’un algorithme.
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Les preuves scientifiques démontrent que les femmes possèdent un léger avantage en matière de leadership, grâce à des scores légèrement supérieurs sur des caractéristiques clés telles que l’agréabilité, l’humilité et l’intelligence émotionnelle. Elles sont ainsi plus susceptibles d’adopter des styles de leadership démocratique ou transformationnel, qui sont positivement liés à l’engagement et à la performance des collaborateurs. Les femmes ne sont pas toutes de bons leaders, et les hommes ne sont pas tous de moins bons leaders. En termes de leadership, les genres sont presque équivalents. Alors pourquoi les femmes ne sont-elles pas davantage représentées dans les postes de direction ? Simplement car la méritocratie est souvent illusoire, et que nous ne sélectionnons pas les leaders en raison de leur potentiel et de leurs compétences, mais en raison d’un besoin cognitif et inconscient de correspondre à nos théories implicites et de satisfaire notre intuition. Dans ce contexte, les hommes narcissiques ont souvent une longueur d’avance, même avec les stratégies généralement mises en place. Au lieu d’insister pour corriger des biais inhérents au fonctionnement de notre cerveau à travers des formations ou des actions qui invitent les femmes à imiter des modèles incompétents pour se fondre dans la masse, il est urgent de sélectionner les leaders sur la base de leurs compétences réelles, grâce à des processus structurés. Atteindre cet objectif permettra de résoudre deux des principaux besoins modernes des entreprises et de notre société : faire avancer des leaders efficaces et atteindre une quasi-parité naturelle dans les rôles de leadership.
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